BOMBARDEMENTS
FOIREUX SUR LA SYRIE

Richard Labévière

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D
’abord, qu’on arrête de parler de « frappes ». Chirurgicales ou non, ces actes de guerre sont destinés à tuer et à détruire et ne sauraient s’assimiler à de simples fessées punitives. Paradoxalement, les bombardements occidentaux du 14 avril 2018 effectués sur la Syrie n’ont fait que trois blessés légers ; ils ont suscité en tout cas des scènes de liesse populaire et renforcé le prestige de Bachar al-Assad, leader arabe qui aura mis en échec la stratégie occidentale au Proche-Orient. Brillant résultat !

 

LOGIQUE À MARCHER SUR LA TÊTE

Première étape : entre tweets et communiqués officiels, les Etats-Unis, la France et la Grande Bretagne affirment qu’ils vont attaquer, quoiqu’il arrive, et que leur riposte à des « attaques chimiques » présumées est inéluctable. Donc, s’ils ne le font pas, ils se déjugent, et fixent eux-mêmes l’engrenage du déclenchement d’une opération militaire.

Deuxième étape : ensuite seulement, on cherche des preuves qu’on aurait dû, semble-t-il, accumuler avant d’affirmer qu’on allait attaquer.

Troisième étape : enfin, on attaque « l’arsenal chimique clandestin du régime syrien », selon les propres termes du communiqué de l’Elysée du 14 avril dernier. Ouf ! Ainsi on peut considérer que le problème est réglé et définitivement réglé !

A ce stade, une question fondamentale s’impose : si l’arsenal chimique syrien n’a pas été démantelé comme prévu après l’accord russo-américain de septembre 2013 et que subsistent des laboratoires de recherche, des stocks de composants chimiques et des unités spécialement entraînées à utiliser ce type d’armements, pourquoi n’a-t-on pas réagi beaucoup plus tôt en amont, pourquoi après la dernière attaque présumée n’a-t-on pas immédiatement déployé – sur le terrain – les inspecteurs de l’Organisation de l’interdiction des armements chimiques (OIAC)2 ?

Pourquoi l’OIAC est-elle immédiatement saisie dans l’affaire de l’ex-espion russe empoisonné en Grande Bretagne, alors qu’on traîne les pieds pour envoyer les inspecteurs de l’ONU en Syrie ? La réponse à cette question est très simple : en 2002, le premier directeur général de l’OIAC – le grand diplomate brésilien José Bustani avait eu l’outrecuidance de vouloir envoyer ses inspecteurs en Irak afin de chercher les fameuses armes de destruction massives dans leur version chimique – armes qui, selon George W. Bush et Tony Blair, pouvaient menacer la terre entière en moins de 45 minutes !

A l’époque sous-secrétaire d’Etat pour le contrôle des armes et la sécurité internationale, John Bolton (patron depuis quelques jours du Conseil américain de sécurité nationale) s’était précipité au siège de l’OIAC à La Haye pour obtenir la tête de José Bustani, en menaçant au passage les enfants du diplomate brésilien vivant à New York. De fait, depuis 2002, l’OIAC est marginalisée par les Etats-Unis qui préfèrent s’adresser à des inspecteurs « indépendants », souvent rattachés aux services spéciaux américains ou britanniques…

Toujours est-il que face aux preuves des Casques blancs et de l’Observatoire syrien des droits de l’homme, le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov réplique que « l’attaque chimique présumée en Syrie est une mise en scène à laquelle ont participé les services spéciaux d’un État » (non nommé), mais désigné comme « russophobe ». Sergueï Lavrov en conférence de presse : « nous disposons de preuves irréfutables qu’il s’agissait d’une nouvelle mise en scène, et que les services spéciaux d’un État actuellement en première ligne d’une campagne russophobe ont participé à cette mise en scène ».

En effet, images et témoignages de la dernière attaque chimique présumée de la Ghouta ont été principalement rapportés par deux sources : l’ONG des Casques blancs – créée de pied en cap par le MI6 (service britannique du renseignement extérieur) pour appuyer Jabhat al-Nosra (c’est-à-dire la Qaïda en Syrie) durant la reconquête d’Alep par l’armée gouvernementale syrienne ; et l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), basée à Londres et citée par les médias occidentaux comme une agence de presse alors qu’elle est une officine politique liée aux Frères musulmans. Ces deux sources sont-elles suffisamment crédibles pour fonder une opération militaire d’envergure ?

Comme en septembre 2013, les autorités françaises exhibent une « note » des « services de renseignement ». Diantre ! Celle brandie à l’époque par le premier ministre Jean-Marc Ayrault était une collection de laborieuses suppositions.

La dernière n’est pas meilleure, puisqu’elle rassemble un condensé d’images collectées sur You-tube. Du solide ! En février 2003, l’auteur de ces lignes a assisté à la séance du conseil de sécurité qui a vu le général Colin Powell (alors secrétaire d’Etat) brandir un prétendu échantillon des armes chimiques irakiennes et projeter un diaporama voulant prouver que Saddam Hussein et Oussama Ben Laden étaient les meilleurs copains… On connaît la suite !

Toujours est-il que les sources des services spéciaux contactées (qui ne peuvent s’exprimer publiquement) ne sont pas très enthousiastes de se voir ainsi, une fois de plus, instrumentalisées pour justifier – a posteriori – une décision du pouvoir exécutif, prise sur la base de considérations plus politiques que tactiques ou stratégiques, en tout cas en fonction d’un enchaînement d’une logique à marcher sur la tête… qui ne tient pas debout. C’est peu de le dire ! Les journalistes – plus que jamais dans leur rôle de passe-plats de propagande – ont repris en cœur : « quelle riposte apportée à des attaques chimiques présumées ? ». Des ripostes présumées ?

 

POTION DE DOCTEURS DIAFOIRUS

S’ils avaient relu, ou seulement lu De la guerre, le fameux traité de Carl von Clausewitz, nos dirigeants auraient compris que toute opération militaire vise deux finalités : des objectifs opérationnels et des buts politiques. Avant de revenir sur ce dernier aspect, voyons donc les objectifs.

La communication gouvernementale officielle nous dit que les cibles ont été au nombre de trois. D’abord le CERS (Centre d’études et de recherches scientifiques de l’armée syrienne), situé au-dessus de Damas. Dès les années 1970, Allemands de l’Est, puis Allemands de l’Ouest y collaboraient avec des scientifiques arabes de plusieurs nationalités, tandis que des agents français y donnaient des cours de langue… Des bureaux de la Garde républicaine, dont la mission est de protéger Damas, sont aussi installés dans le bâtiment du CERS. Le chef de cette unité d’élite, Maher al-Assad (le frère de Bachar) aurait pu, selon différentes sources, commanditer la dernière attaque présumée chimique dans le dos de son frère ! A voir… Toujours est-il que ces locaux avaient été déménagés depuis belle lurette et qu’on y a vraisemblablement bombardé des cages à poules vides.

Les deux autres cibles se trouvent dans la région de Homs – sur l’Oronte au centre du pays – abritant des « centres de production et de stockage du programme clandestin chimique du régime ». Là-aussi, il semble bien que les locaux fussent désertés et que les missiles occidentaux aient fait chou blanc. A ce stade, une conclusion provisoire devrait s’imposer : cette fois-ci l’arsenal chimique syrien est détruit et on peut estimer que c’en est définitivement fini des attaques chimiques, donc aussi des bombardements occidentaux. Or Trump dit qu’il est encore prêt à dégainer ?

Dans tous les cas de figures, ces objectifs opérationnels s’avèrent mineurs et leur destruction ne change en rien l’anatomie et les évolutions majeures de la guerre qui se poursuit en Syrie. Selon le ministère russe de la Défense, sur une centaine de missiles tirés par la coalition occidentale, 73 auraient été neutralisés et déviés de leur cible par l’armée syrienne !? Ce bilan s’apparente à une potion digne du docteur Diafoirus de Molière ou du Knock de Jules Romains : « est-ce que ça vous chatouille ou est-ce que ça vous gratouille ? » Bref, n’importe quoi !

Diligenté au nom de la morale et des valeurs universelles visant à « protéger les populations », cette potion très inappropriée, risque au contraire d’aggraver le mal qu’elle était censée atténuer en confortant les différentes logiques conflictuelles en œuvre dans la guerre civilo-globale de Syrie.

 

GÉOPOLITIQUE EN CARTON

Le 17 février dernier, depuis la Conférence sur la sécurité de Munich, prochetmoyen-orient.ch révélait le contenu d’un télégramme diplomatique britannique détaillant la nouvelle stratégie occidentale en Syrie3(voir le Billet d’ESPRITSURCOUF.fr du n° 48 du 26 février dernier). En pure démonstration clausewitzienne, les objectifs militaires étaient parfaitement définis : miser sur la poursuite de la guerre en attisant la rivalité turco-kurde et la multiplication des ingérences militaires israéliennes. Sur le plan des buts politiques, sinon géopolitiques, même clarté de mise : punir Assad, intimider les Russes, menacer les Iraniens.

Avant d’engager toute espèce d’opération militaire, les dirigeants occidentaux devraient penser – bien-sûr – au jour d’après. Et l’on pense communément qu’ils sont suffisamment responsables pour le faire. Le fait est que plusieurs précédents récents ne confirment pas ce réflexe de bon sens : Irak (2003), Libye (2011), Yémen (2014). Alors que peut-il se passer maintenant ?

Le prestige de Bachar al-Assad est conforté : comme Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah, et Hassan Rohani, le président iranien, il incarne une espèce de nouveau Nasser qui résiste aux Occidentaux. Les Russes gardent tête et diplomatie froides, mais ils sont furieux et feront payer la note, tôt ou tard. De fait, le Hezbollah n’est pas (encore) puni, les Russes ne sont pas intimidés et les Iraniens se préparent à la décision de Donald Trump qui vraisemblablement abrogera l’accord sur le nucléaire iranien le 12 mai prochain.

Par conséquent, les buts de guerre des bombardements occidentaux s’avèrent particulièrement désastreux et il n’est pas exagéré de les qualifier de « fiasco diplomatique », d’autant que la France en rajoute sur le plan de la russophobie ordinaire. Il faut réécouter les déclarations de François Delattre – notre ambassadeur aux Nations unies – pour se demander quels sont les intérêts qui poussent ainsi notre pays à se mettre en pointe contre Moscou. En janvier 2016, l’auteur de ces lignes assiste – médusé – au discours de la Sorbonne de Jean-Yves Le Drian (alors ministre de la Défense), dissertant sur les deux ennemis principaux de la France : Dae’ch – l’Organisation « Etat islamique » et… la Russie !

Il y a quelques jours, le même (devenu ministre des Affaires étrangères) s’est rendu à Kiev où il a pris ouvertement parti pour les Ukrainiens contre les « séparatistes pro-russes », annulant ainsi d’un mot les accords de Minsk pourtant partiellement initiés par la diplomatie française. Le chercheur Emmanuel Todd, il y a quelques jours, sur l’antenne d’une radio de service public intervenait en s’étonnant de deux choses : de « l’hystérie russophobe française » et de cette insistance à combattre en Syrie et ailleurs « des gens qui partagent nos valeurs les plus fondamentales » en s’alliant à des pays (dont l’Arabie saoudite) qui financent et propagent l’Islam radical dans le monde entier depuis plus de trente ans !

Dans la production entretenue de ce délire antirusse, la palme revient – en particulier – à deux hauts fonctionnaires : Jean-Claude Mallet (inamovible conseiller de Jean-Yves Le Drian) et Jérôme Bonnafont, le patron d’ANMO (la direction Proche-Orient du Quai d’Orsay) qui déclarait à des proches qu’il préférait voir Dae’ch à Damas que Bachar al-Assad…

Charles (de Gaulle), réveille- toi, ils sont devenus fous, complètement fous !

 

 


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