DETROIT d’ORMUZ, MER ROUGE :
DJIBOUTI, un rôle pour la France

Par Richard Labévière
Rédacteur en chef

Le prochain Annuaire français des relations internationales (AFRI)1 – à paraître fin juin 2018 – comporte une longue étude dédiée à l’Etat portuaire : « Djibouti : un port-monde entre océans et Méditerranée ». Le 1er août 2017 à Djibouti, la Chine a inauguré sa première base militaire à l’étranger, événement qui coïncidait avec le 90ème anniversaire de la fondation de l’Armée rouge chinoise. Dans la Revue stratégique de défense et de sécurité – remise par Arnaud Danjean au président de la République en novembre dernier – est souligné et mis en perspective l’un des axes majeurs et prioritaires de notre pays : Méditerranée/canal de Suez/mer Rouge/océan Indien.

De très grande qualité (ce n’est pas toujours le cas pour ce genre de commande), ce texte sera-t-il abandonné à la critique rongeuse des souris comme tant d’autres rapports pertinents ? En mars dernier, Juste avant d’être limogé par Donald Trump, Rex Tillerson – encore secrétaire d’Etat – a effectué une tournée dans la Corne de l’Afrique. Au président djiboutien Ismaïl Omar Guelleh (IOG), il a à peu près tenu ce langage : « attention, il y a des lignes rouges à ne pas franchir. Vous ne pouvez pas tout céder aux Chinois qui, bientôt vont autoriser les Russes à utiliser leurs installations portuaires djiboutiennes. Nous sommes arrivés avant et ne le permettrons pas ! »

Pris dans l’étau américano-chinois, IOG s’est naturellement tourné vers la France éternelle, ce qui a permis une remise à flot de la relation bilatérale. Mais maintenant le temps presse et il s’agit de consolider à nouveau notre base militaire et d’intensifier nos échanges économiques avec Djibouti. Il faut faire vite car la fenêtre d’opportunité ne sera pas éternelle parce que la situation régionale se tend, la donne géopolitique rebat les cartes et se complexifie. Enfin, si le désir de France – entretenu et dynamisé par une équipe diplomatique et militaire hors du commun – est plus que jamais intacte en mer Rouge, il s’agit maintenant de le concrétiser !

Aujourd’hui, Djibouti constitue toujours un îlot de paix et de stabilité au beau milieu d’une zone de conflits, de tensions et de convoitises optimales.

Il y a d’abord la tragédie du Yémen, glissement et extension de la guerre civilo-globale de Syrie où s’affrontent l’Arabie saoudite et l’Iran entre autres. Perdure ensuite un bras de fer persistant entre Riyad, les autres pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG) et le Qatar, accusé de laxisme envers l’Iran et la Russie. Cette querelle de famille se traduit notamment par une guerre des ports entre mer Rouge et détroit d’Ormuz. Enfin, convergence des évolutions précédentes, l’Arabie saoudite fragilisée connaît certainement l’une des crises de régime les plus aigües de son histoire. De plus grandes difficultés encore sont – semble-t-il – à venir pour la monarchie wahhabite.

Et l’action des Emirats Arabes Unis depuis plus de quinze ans pour contrôler le trafic maritime dans cette région du monde au service de La DUBAI-PORT-WORLD (DPW) le 3ème port Container du monde.

In fine, cette stratégie économico-portuaire émirienne a favorisé et accéléré l’arrivée des investisseurs chinois auxquels les autorités djiboutiennes ont concédé certains attributs de leur souveraineté nationale.

Liant l’avenir de son pays aux intérêts chinois, IOG a toutefois bien intégré les dernières mises en garde américaines. Et c’est naturellement vers la France – avec laquelle Djibouti a signé ses plus vieux accords de défense – qu’IOG se tourne maintenant pour tenter de desserrer l’étau américano-chinois, notamment en favorisant l’arrivée de plusieurs gros investisseurs français.

DJIBOUTI A BESOIN DE LA FRANCE

Cette opportunité pourrait donner à nouveau un rôle régional – important, sinon stratégique – à la base militaire française de Djibouti d’autant que plus au nord en mer Rouge, une autre partie est engagée. Malgré son engagement au Yémen aux sein de la coalition menée par l’Arabie saoudite, le Soudan a ouvert largement ses portes aux investisseurs du Qatar et de la Turquie. Ainsi, Ankara et Doha se sont associés pour développer des infrastructures militaires dans l’île de Suakin sur la mer Rouge, situé juste en face du port saoudien de Djeddah.

En fait, Suakin est le grand port soudanais de la mer Rouge. Construit sur une île de 20 kilomètres rattachée au continent par une digue depuis le XIXème siècle, Suakin était en passe d’être supplanté par Port-Soudan se trouvant à quelque 45 kilomètres plus au nord. Ici comme ailleurs aux Proche et Moyen-Orient ainsi qu’en Asie, Ankara renoue avec son passé impérial : en 1517, le sultan Selim 1er a envahi Suakin, devenue pour les cinquante années suivantes la résidence du pacha de l’empire ottoman pour l’Eyalet (division administrative de niveau supérieur) d’Abyssinie (Habes en turc).

A Djibouti non plus, la Turquie ne reste pas inactive et construit notamment une grande mosquée, juste derrière l’Institut français. Privilégiant – pour l’instant – le softpower à l’implantation militaire, Ankara multiplie l’inauguration de madrassas (écoles coraniques) dans l’ensemble du pourtour de l’Etat portuaire. La Turquie a-t-elle une stratégie pour la corne de l’Afrique ? Toujours est-il qu’après Djibouti et le Soudan, elle appuie les efforts de déstabilisation de la Somalie et cherche aussi à développer ses investissements et son influence en Ethiopie.

Entre détroit d’Ormuz et mer Rouge, ce grand jeu naval – militaire et commercial – ramène inexorablement à l’Etat-portuaire de Djibouti, devenu un « épicentre stratégique monde ». Résumons, ce grand jeu djiboutien se situe à la résultante de trois dynamiques interactives : 1) l’extension de la guerre civilo-globale de Syrie à la Corne de L’Afrique et la mer rouge ; 2) une défiance accrue envers les avancées régionales de l’Iran, du Qatar de la Russie et de la Chine ; 3) enfin et en dernière instance, ce grand jeu vise à prévenir une implosion toujours possible de l’Arabie saoudite.

Pour toutes ses raisons, à Djibouti, la diplomatie doit agir maintenant, demain il sera trop tard !


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1 Publication du Centre Thucydide, diffusée par la Documentation française, l’AFRI a une vocation généraliste. Il s’intéresse aux relations internationales dans toutes leurs dimensions – politiques, stratégiques, économiques, culturelles, technologiques… Il rassemble dans un esprit pluridisciplinaire les spécialistes, universitaires et chercheurs, diplomates, experts, français ou étrangers. Il est préparé par un Comité de rédaction et de lecture. Il constitue un périodique sans équivalent dans la littérature francophone en la matière. 

En complément à ce Billet  il nous semble nécessaire de repositionner le rôle de la France dans le contexte régional de la Mer Rouge et du détroit d’Ormuz.

Le FOCUS de ce n° 64 est consacré à cet environnement géopolitique.


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