MONTRER L’HORREUR ?

 

Richard Labévière
Rédacteur en chef

 

Première bougie pour l’existence d’ESPRITSURCOUF.fr avec beaucoup de satisfaction en termes d’audience (en croissance continue), de nouveaux contacts et de projets. Autant de perspectives, à la fois en marge et en immersion avec l’actualité. Nous ne pouvions ignorer la polémique ayant ciblé Le Media (webtélé proche du parti La France insoumise) qui a refusé de diffuser des images de la guerre civilo-globale de Syrie.

Aussitôt, tous les médias bien-pensants sont tombés à bras raccourcis sur la webtélé d’informations alternatives, nourrissant une disputio métaphysique, le genre de controverses dont les médias parisiens raffolent. Bulletin récidiviste de bien-pensance, Courrier International a même fait sa couverture avec un grand titre de Une : « Pourquoi il faut montrer l’horreur – Les images de la guerre en Syrie relancent le débat sur la représentation de la violence dans les médias ». Inévitablement, on a droit à tous les poncifs de la « profession » : une image est une preuve, pour une éthique du regard, le métier de choisir, donner à voir l’indicible, etc., etc. Peut-on tout montrer ? Courrier international « répond oui », sans la moindre nuance…

L’image est-elle toujours une preuve ? Notre réponse est non ! Chaque image (photo, vidéo, croquis, etc.) s’effectue à partir d’un point de vue, d’une « instance », expliquait Michel Foucault, une instance qu’il s’agit toujours de préciser et d’expliquer. Et il ne suffit pas d’indiquer vaguement la source (espace et temps), mais il conviendrait aussi de mentionner les moyens techniques engagés et le diffuseur. L’une des sources redondantes des événements de Syrie, abondamment citée par la plupart des médias occidentaux, n’est autre que l’Observatoire syriens des droits de l’homme (OSDH). Et les répétiteurs de cette « source » sont d’autant enclins à multiplier ses citations qu’ils ne précisent jamais – jamais – que l’OSDH est très proche de l’organisation des Frères musulmans et d’autres factions de la rébellion armée syrienne, donc juge et partie prenante !

Ne parlons pas des images captées par téléphone et diffusées par les mal nommés « réseaux sociaux », dont on ne connaît que rarement la provenance. Certes, la position du Media fut trop abrupte et aurait demandé davantage d’explications. Elle a, aussitôt choqué tous les bobos qui pensent comme les réseaux numériques, de manière dualiste – j’aime/j’aime pas -, estimant qu’en Syrie « le boucher Bachar al-Assad » massacre allègrement son peuple et que les jihadistes sont les représentants d’une « opposition modérée », « laïque », sinon « démocratique ». Cette réduction idéologique caricature l’une des crises les plus complexes, survenues depuis la fin de la Guerre froide.

Répétons-le, et ESPRITSURCOUF.fr ne cesse de le rappeler : la crise syrienne est une « guerre civilo-globale ». A la différence de la guerre civilo-régionale du Liban (1975 – 1990), la guerre de Syrie superpose et fait inter-agir cinq niveaux de conflictualité : Etats-Unis contre Russie ; Arabie saoudite contre Iran ; Turquie contre Kurdes ; jihadistes globaux (Al-Qaïda) contre jihadistes locaux (Dae’ch) ; Israël contre Hezbollah libanais, notamment sur le plateau du Golan. Dans ces conditions, la diffusion d’images (quelles images ?) ajoute souvent un sixième niveau de « guerre de communication massive », en comparaison de laquelle nos gentilles discussions sur les Fake News, apparaissent comme autant de plaisanteries.

La confrontation dialectique entre l’erreur et la vérité constitue le plus vieux ressort de l’histoire de la raison occidentale – des présocratiques à aujourd’hui – et ce n’est pas une loi improbable qui y changera quoi ce soit, d’autant que la législation française en matière de droit de la presse est suffisamment élaborée et précise pour qu’on puisse se passer de ce nouvel Halloween de circonstance en provenance directe des Etats-Unis.

Dans l’abondante et continue production d’images – sur à peu près tout et n’importe quoi – convient-il, non seulement de vérifier sources et diffuseurs, mais aussi surtout de hiérarchiser et de contredire en apportant d’indispensables contre-champs. A cet égard, l’exemple des événements de la Ghouta est parfaitement emblématique, sinon le symptôme d’un traitement propagandiste de l’actualité : comme durant la bataille de libération d’Alep, chaque jour que Dieu fait, nous montre des gravats de ce qui aurait été, nous affirme-t-on, un hôpital, comme si cette banlieue de Damas en comportait des dizaines. On nous ressort les « Casques blancs » au service de la veuve et de l’orphelin alors qu’il est établi depuis longtemps que cette pseudo-ONG est la création des services spéciaux britanniques mise au service des groupes jihadistes engagés contre les autorités syriennes. Enfin, on ne déplore pas de nouvelles attaques chimiques, mais on affirme qu’il s’en prépare d’autres…

Dans le même temps, les quartiers, qui jouxtent la place des Abbassides (au Nord-Est du centre de Damas), reçoivent quotidiennement des centaines d’obus de mortier tirés par les jihadistes de la Ghouta. Aucune image ne relate les quelques 75 morts, dernièrement enregistrés dans cette zone par les autorités. Aucune image non plus des quartiers chrétiens (comme par hasard) de Bab Touma et Bab Cherki, eux-aussi quotidiennement ciblés depuis le réduit terroriste de la Ghouta… Enfin, Courrier International, qui aime tellement les images ne s’inquiète guerre de l’absence de couverture d’un conflit voisin pourtant très meurtrier : la guerre qui sévit au Yémen où la chasse saoudienne et les canons des Emirats arabes unis massacrent quotidiennement des centaines de civils… Alors, les indignations, c’est bien, faudrait-il encore qu’elles ne s’avèrent pas aussi sélectives et unidimensionnelles…

A propos des « images justes », Jean-Luc Godard avait une belle formule : « juste des images ». L’auteur de ces lignes, qui a été reporter pour la Télévision suisse romande (TSR) durant quinze ans, ne peut s’empêcher d’ajouter : « les images, c’est comme les trains, ça peut en cacher d’autres… »          

 

Richard Labévière     

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