POURQUOI
LA FRANCE DOIT AVOIR

DEUX PORTE-AVIONS !


Par Richard Labévière

A l’occasion du salon Euronaval, la ministre de la Défense Florence Parly a annoncé le lancement du programme du (ou des) futur(s) porte-avions français, conformément à la loi de programmation militaire (LPM 2019-2025).

Dans le contexte de la Guerre froide, le Conseil de défense du 23 septembre 1980 avait décidé la construction de « deux » porte-avions à propulsion nucléaire de 35 000 à 40 000 tonnes. Inscrit dans la LPM 1984 – 1988, le Charles de Gaulle (CdG) a été mis en chantier en 1986. Le second devait l’être en 1991. Après plusieurs décalages, il a finalement été décidé, lors de la LPM 1997 – 2002, de reporter sa construction, « quand les conditions économiques le permettront », précisait-on alors.

Aujourd’hui, notre pays ne dispose d’un porte-avions que pendant environ 65% du temps. La disponibilité complète du CdG est amputée par les contraintes d’entretien du bâtiment ainsi que les périodes de mise en condition opérationnelle de son équipage et de son groupe aérien. La permanence à la mer du GAN passe donc nécessairement par l’acquisition du second porte-avions que prévoyait la LPM 2003 – 2008 et dont la livraison était annoncée pour la mi-2014, en vue d’une mise en service début 2015. Encore une fois, Bercy est passé par là et le programme n’a pu être tenu.

D’une manière générale, posséder un deuxième porte-avions permet – outre de garantir la mise en condition opérationnelle du GAN en toutes circonstances – de procéder, durant les périodes de double disponibilité, à des relèves pendant des missions de longue durée (supérieures à 4 ou 6 mois selon l’intensité de l’activité aérienne) ; mais aussi d’entraîner les pilotes de relève ou en formation pour assurer l’aptitude à durer à pleine capacité du groupe aérien pour les missions longues ; de combler, à terme, une lacune capacitaire européenne[1] ; éventuellement en mission secondaire, de conduire ou de soutenir une opération aéromobile à partir de la mer avec les hélicoptères d’autres armées, notamment au bénéfice des forces spéciales, ou de renforcer temporairement la capacité de lutte anti-sous-marine (ASM), si la menace l’exige.

La possession d’un second porte-avions n’augmente pas le besoin en nombre de bâtiments d’accompagnement, ni le format de l’aviation embarquée. En effet, celle-ci est dimensionnée par la capacité de déployer – « loin et longtemps » – un seul groupe aérien, avec des relèves partielles sur zone, tout en poursuivant à terre les tâches d’entraînement des pilotes et l’entretien des aéronefs.

LA DÉCISION, C’EST MAINTENANT !

Lorsque deux porte-avions sont simultanément disponibles, un seul met normalement en œuvre le groupe aérien. Le second est utilisé, soit pour l’entraînement des pilotes en formation ou de relève avec les avions de l’échelon arrière, soit pour des opérations aéromobiles ou d’appui à partir de la mer (récupération de ressortissants, assistance dans les opérations humanitaires, appui feu ou contrôle de zone, capacité RESCO[2], etc.) avec l’utilisation d’hélicoptères de combat d’autres armées (Tigre HAP, HAC, etc.). Dans le deuxième cas, il s’intègre au sein du groupe aéronaval ou amphibie déjà constitué qu’il renforce de manière substantielle, ouvrant la possibilité de marquer, par exemple, une forte détermination à déployer des moyens terrestres ou à prendre le premier rôle dans le commandement à partir de la mer.

Aujourd’hui, la permanence à la mer du GAN n’est pas assurée, puisque le CdG doit effectuer – régulièrement – des séjours au bassin pour entretiens et modernisations[3]. Depuis son entrée en fonction en 2001, le Charles et son groupe ont effectué plus d’un million de kilomètres autour de la planète pour défendre la sécurité et les intérêts de la France. L’équation de la permanence englobe, non seulement le remplacement du Charles (à l’horizon 2040), mais aussi la nécessité d’un sister-ship – un bâtiment jumeau, pas obligatoirement homozygote – afin d’assurer la cohérence stratégique que garantissait le duo Foch-Clémenceau. Lorsque l’un des deux bâtiments entrait au bassin, le second appareillait. Dans cette perspective, le projet sera celui du remplacement du CdG par deux porte-avions d’un nouveau type. Il s’agirait d’avoisiner les 70 000 tonnes contre le 42 500 tonnes du CdG, afin de s’adapter au nouveau contexte stratégique et aux outils de demain : chasseurs de nouvelle génération et drones (programme SCAF).

Le calendrier est, désormais connu : études achevées en 2021, prochain CPM (gouvernance du personnel militaire) en 2025, la mise en chantier est prévue pour 2026, la livraison en 2036 avec deux ans d’essais pour une admission en service en 2038. D’ici un an et demi, le président de la République disposera donc de l’ensemble des données pour prendre sa décision en toute connaissance de causes : remplacement du CdG avec ou sans sister-ship ? A voir… étant entendu que les contraintes budgétaires auront, comme d’habitude, le dernier mot.

A ce propos, il serait illusoire de penser qu’un futur porte-avions classique coûterait moins cher qu’un bâtiment nucléaire. Une telle option s’accompagnerait obligatoirement de la construction d’un quatrième pétrolier ravitailleur dédié (environ 500 000 euros) et d’autres infrastructures d’accompagnement qui – au final – rejoignent, voire dépassent le coût d’un porte-avions nucléaire (entre 4 et 5 milliards d’euros). Il ne faut pas perdre de vue non plus les nécessités de notre BITD/Base industrielle technologique de défense dont la DGA (Direction générale de l’armement) reste comptable. Que faire si la composante nucléaire civile venait à faire défaut ? Les tribulations de l’EPR (réacteur pressurisé européen) valide la question. Plus largement, il s’agit aussi de défendre une filière nucléaire française fragilisé et d’assurer l’avenir de savoir-faire menacés. A force de repousser les échéances, nous prenons du retard sur tous les plans : technologiques et stratégiques.

Concoctée en période de cohabitation, la LPM 2003-2008 a renvoyé les choix à plus tard. En 2007, Nicolas Sarkozy, candidat à l’Élysée, affirmait qu’un deuxième porte-avions était une « évidence opérationnelle et politique ». Mais celle-ci ne constituait toujours pas une urgence pour la LPM 2009-2013, pas plus qu’elle ne le fut pour la LPM en cours d’exécution. Cela, en raison bien-sûr des sacrosaintes contraintes budgétaires. « Quand on veut faire quelque chose, on trouve les moyens. Quand on ne veut pas, on trouve des excuses », aimait dire le général George Patton.

UN INVESTISSEMENT PLUTÔT QU’UN COÛT

Hormis les évidences stratégiques et diplomatiques du dossier, c’est – avant tout – sur la dimension économique (et pas seulement budgétaire) qu’il faut insister, tant celle-ci réclame une véritable révolution copernicienne dans la façon de considérer nos dépenses de Défense. Au-delà des investissements directs, le CdG a coûté environ 4 milliards d’euros et son IPER[4] de 2017 est estimée à 1,3 milliards. Ce choix, en définitive, plus politique que budgétaire entraîne de multiples retombées en matière d’emplois, de sous-traitance et de recherche. Comme l’a rappelé à de nombreuses reprises l’amiral Bernard Rogel[5] : « lorsqu’on parle du deuxième porte-avions, on se demande toujours ce que cela nous coûte et presque jamais ce que cela nous rapporte… » En effet, les apports induits sont plus difficilement quantifiables, moins immédiats et plus difficiles à communiquer au grand public.

A ce propos justement, il faut rappeler que deux filières françaises notamment ont beaucoup bénéficié – et continuent à le faire – de la construction et remise à niveau du CdG : évidente, la première concerne l’industrie nucléaire de notre pays et ses différents sous-traitants dont il faut répéter que le devenir n’est pas coulé dans le bronze. Moins connues sont les apports à notre filière aérospatiale, elle-même niche d’excellence et d’investissements dont les retombées profitent à l’ensemble des secteurs de haute technologie.

Même si comparaison n’est pas toujours raison, regardons seulement le coût de l’opération Sentinelle[6], déployée au lendemain des attentats de 7, 8 et 9 janvier 2015, censée répondre à la menace terroriste en protégeant les « points sensibles » du territoire. Ajoutée à une efficacité des plus discutables, celle-ci dépasse désormais un montant qui excède 500 millions d’euros ! Certes, eux-aussi difficilement quantifiables, les résultats de Sentinelle n’entraînent assurément aucune retombée en matière de création d’emplois, encore moins en termes d’investissement, de recherche et de toute autre impulsion économique.

Autre comparaison d’échelle : celle des OPEX (opérations militaires extérieures). La Marine nationale émarge « très peu au surcoût des OPEX. En moyenne annualisée, elle met cinq mille marins en permanence à la mer. Ces cinq mille hommes et femmes en opérations – qui incluent donc les déploiements du porte-avions – émargent pour moins de 100 millions d’euros sur le 1,2 milliard d’euros affecté aux OPEX.

Ainsi, en examinant les chiffres du CdG, on peut estimer que le coût d’un futur porte-avions adapté aux formats technologiques et stratégiques adaptés et d’un sister-ship se situe entre 4,5 et 5 milliards d’euros. Les productions de notre filière nucléaire militaire n’étant pas exportables, les coûts demeurent relativement fixes, d’autant que le format du futur porte-avions doit excéder celui du CdG (70 000 tonnes contre le 42 500 tonnes) pour s’adapter aux mutations technologiques et stratégiques. Prévoir une enveloppe plus large pour la construction du futur porte-avions est, sans doute, légitime et justifié au regard des expériences de plusieurs programmes d’armements français ou européens, qui dépassent souvent les montants des devis initiaux. Quoi qu’il en soit, le fait est que l’investissement devrait s’étaler sur près de quinze ans, soit environ 300 millions d’euros par an.

Cette option s’insère certainement dans le cadre d’une volonté plus large d’assainissement des dépenses publiques afin de dégager les marges nécessaires pour la défense et la Sécurité. Mais surtout, ce choix doit s’accompagner du changement radical de perspective ouvert par l’emblématique rapport du Sénat[7] consacré à la maritimisation de l’économie mondiale qui démontre – chiffres à l’appui – comment l’effort français de Défense pourrait se transformer en « axe de croissance », soulignant que la construction d’un ou de deux futurs porte-avions pourrait dégager nombre de gains en matière d’emplois, d’investissements et de recherches fondamentales et appliquées.

Notes de bas de page :

[1] Deux PA de projection de puissance pendant au moins un an, donc quatre en parc.
[2] RESCO : mission de recherche et sauvetage au combat.
[3] Le Charles de Gaulle a ainsi été indisponible pendant trois ans et demi, sur les 16 années de service ; ce qui représente pour notre pays trois années sans les « 42 000 tonnes de diplomatie » du seul Groupe aéronaval de la Marine nationale.
[4] IPER : indisponibilité périodique pour entretien et réparations.
[5] Amiral Bernard Rogel : ancien chef d’état-major de la Marine nationale (du 12 septembre 2011 au 13 juillet 2016). Il est actuellement le chef d’état-major particulier du président de la république.
[6] Après les attentats du 13 novembre 2015, l’effectif de Sentinelle est porté à 10 000 militaires. 6 500 sont déployés en Île-de-France et 3 500 en Province. Au total ce sont 50 unités qui ont été mobilisées pour faire face à cette augmentation du nombre de militaires participants à l’Opération Sentinelle. À cela s’ajoutent les 1 500 marins qui assurent la défense des approches maritimes de la France et les 1 000 militaires de l’Armée de l’Air qui assurent la sécurité permanente de l’espace aérien français. Cela porte donc à environ 13 000 militaires qui assurent la sécurité sur le territoire métropolitain. Selon le ministre de la Défense, la mission de Sentinelle va au contraire « s’élargir » en étant « plus déployée en province » et en agissant « à la fois sur la sécurisation des frontières », avec les forces de sécurité intérieure, et « sur les flux », notamment dans « les zones touristiques » et « au moment des grands événements culturels ou de musique ». En février 2017, on dénombrait 7.000 militaires (pouvant aller jusqu’à 10.000) déployés sur tout l’ensemble du territoire.
[7] Maritimisation : la France face à la nouvelle géopolitique des océans. Rapport d’information de MM. Jeanny LORGEOUX et André TRILLARD, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées n° 674 (2011-2012) – 17 juillet 2012.

Extrait de http://prochetmoyen-orient.ch/

 
Le site Proche & Moyen-Orient  est répertorié 
dans la rubrique Revues et Lettres de la "Communauté Défense et Sécurité" d'ESPRITSURCOUF.fr

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Vous pouvez consulter aussi:

–       Le BILLET de ce n°80 : Porte-avions : vecteur géopolitique.

–       La REVUE DE PRESSE, rubrique Défenses de ce n°80 : La France a -t-elle vraiment besoin de porte-avions.

–       Les BILLETS des  numéros 8 et 12 :

        –  L’Inde a compris l’importance des porte-avions

        –  La Chine lance un deuxième porte-avions « made in China ».


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