COHABITATION

AUX ETATS UNIS

Par Guillaume Berlat,
Chroniqueur de Géopolitique mondiale

Qu’en est-il en vérité après les élections ? Même si Donald Trump doit céder la chambre des représentants au parti démocrate – ce qui ne constitue pas une énorme surprise -, il conserve néanmoins le Sénat à l’issue de multiples scrutins ayant enregistré une participation record.

En somme, les résultats de cette consultation populaire ne présentent rien de révolutionnaire quoi qu’en pensent certains 1. Donald Trump se félicite d’un « immense succès » ! Afin de mieux appréhender la signification profonde de ces élections de mi-mandat (« midterms », pour reprendre le vocable consacré Outre-Atlantique), il importe d’en déchiffrer ses trois principales significations : institutionnelle, interne et internationale.

Nous commencerons par ce qui nous, français, nous concerne plus directement, les conséquences internationales :

 

  • LA SIGNIFICATION INTERNATIONALE DES ÉLECTIONS DE MI-MANDAT

Si tant est que cela relève du domaine du possible, est-il ou non possible de tirer quelques enseignements de ce scrutin du 6 novembre 2018 sur le plan international dans un pays où les préoccupations « domestiques » l’emportent très largement sur les considérations diplomatiques ?

Nous pouvons essayer de comprendre ce que cette élection pourrait emporter comme conséquences sur la scène internationale. Et cela en nous plaçant dans une double perspective.

Au regard de la montée des populismes dans le monde

La légère remontée des démocrates lors du scrutin du 6 novembre 2018 n’est pas suffisamment significative pour démontrer qu’un coup d’arrêt aurait été donné au phénomène que l’on a coutume de désigner par l’expression de « montée des populismes ». Manifestement, Donald Trump possède encore un socle assez solide d’électeurs qui se reconnaissent dans son slogan America First.

Quand les élites méprisent trop les peuples, il arrive qu’ils se rebellent en rejetant les partis traditionnels. Les citoyens américains ont gardé le plus mauvais souvenir de Bill Clinton comme président et de son épouse Hillary, comme responsable des Affaires étrangères. À ce jour, l’économie américaine est prospère à coups de baisses d’impôt et de déficits. Qu’ajouter de plus ?

Donald Trump conduit ouvertement le combat contre tous les États qui exportent plus qu’ils n’importent des États-Unis : Allemagne mais surtout la Chine à laquelle des sanctions sont imposées. Aucun de ses prédécesseurs n’avait voulu dénoncer ces déficits et mener le combat, y compris avec la plus grande brutalité. Pourquoi les peuples appelés aux urnes, hier et demain considèreraient-ils le « populisme » ou le « nationalisme » comme une « lèpre », pour reprendre une formule d’Emmanuel Macron ? Pourquoi n’y aurait-il pas d’autres Brésil en Amérique latine (Argentine ?) ou ailleurs ? Pense-t-on sérieusement que c’est par une politique permanente de l’anathème que les partis dits populistes seront écartés lors des prochaines élections. Le populisme a sans doute encore de beaux jours devant lui. Depuis l’élection de Donald Trump et le vote en faveur du « Brexit », les évènements confirment cette tendance en dépit des discours de nos élites politiques.

Au regard du rejet du multilatéralisme par les États-Unis

Quoi que prétendent les dirigeants démocrates, il y a fort à parier que les politiques étrangères qu’ils mèneraient auraient peu différences avec celles de Donald Trump, hormis quelques inflexions dans la forme et dans la sémantique. Les distances structurelles avec le multilatéralisme sont inscrites dans l’A.D.N. du « peuple à la destinée manifeste ».

Imagine-t-on un seul instant une nouvelle administration démocrate prenant aujourd’hui les commandes du paquebot US rejoindre à nouveau l’accord sur le climat, l’accord sur le nucléaire iranien, signer au bas d’un parchemin tous les accords commerciaux de libre-échange conclus par les précédentes administrations… ? Et, l’on pourrait multiplier les exemples à l’infini. L’Amérique n’a toujours pas ratifié le traite d’interdiction complète des essais nucléaires (TICEN en français ou CTBT en anglais), refuse toujours de rejoindre un éventuel protocole de vérification à la Convention d’interdiction des armes biologiques de 1972, la convention d’interdiction des mines antipersonnel, dite convention d’Ottawa, n’est pas revenue sur sa décision d’abandonner les traités ABM et START pour s’en tenir à quelques exemples pris dans le domaine de la maîtrise des armements, du désarmement et de la non-prolifération. Veut-elle renoncer à quitter le traité sur les forces nucléaires intermédiaires (FNI) ? Accepterait-elle la mise en place d’une défense européenne entièrement autonome et indépendante de l’OTAN ? Dans le domaine de la justice pénale internationale, a-t-on entendu une seule fois une haute autorité démocrate faire part de son engagement sérieux à adhérer au statut de la Cour pénale internationale ? Dans le domaine du commerce international, serait-il concevable qu’une administration démocrate abandonne le combat lancé par Donald Trump contre le fonctionnement de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) basée à Genève ? Dans le domaine du droit international, envisagerait-elle de renoncer à l’application extraterritoriale du droit américain, arme de guerre particulièrement efficace contre tous ses concurrents, y compris ses alliés ? Serait-il envisageable de revenir sur le rapprochement avec la Corée du nord ? Quid des relations avec l’Union européenne et ses membres ? Quid des relations avec la Russie et la Chine ? Sur le dossier du Proche et du Moyen-Orient (solution du conflit israélo-palestinien, Syrie, Irak, alliance avec l’Arabie saoudite après l’assassinat de Jamal Khashoggi, fin de la guerre au Yémen, remise en ordre de la Libye…), que savons-nous sur les intentions démocrates ? Rien ou pas grand-chose à ce jour qui nous éclaire.

La campagne pour les élections de mi-mandat n’a apporté aucune réponse à toutes ces questions lancinantes qui intéressent les experts des relations internationales. Tout le reste n’est que chimère et rêve de Candide qui ne comprennent rien à l’Amérique éternelle ! La seule chose à laquelle puisse conduire une Chambre des représentants démocrate est un faible contre-pouvoir à quelques initiatives malheureuses de Donald Trump par effet de blocage. En effet, il existe de grandes tendances structurelles dans la politique étrangère américaine qui rendent difficiles des évolutions drastiques. L’énorme paquebot américain ne se manie par comme un frêle esquif. En un mot, pour conclure sur ce chapitre, le monde devra s’adapter à la diplomatie trumpienne et non le contraire, deux ans après sa prise de fonctions. Les dernières élections n’ont rien changé dans ce domaine de la politique internationale comme dans bien d’autres.

 

  • LA SIGNIFICATION INSTITUTIONELLE DES ÉLECTIONS DE MI-MANDAT

Alors que les médias nous fournissent une information incomplète et biaisée sur ce que sont en réalité ces élections de mi-mandat aux États-Unis, sorte de galop d’essai avant la prochaine élection présidentielle de 2020, tentons d’être le plus clair et le plus précis possible. Retournons-nous vers l’encadré que nous livre le quotidien Le Monde à la veille du scrutin ! Il résume objectivement l’enjeu de cette journée du mardi 6 novembre 2018 :

« Les élections de mi-mandat du mardi 6 novembre aux États-Unis, doivent déterminer la majorité au Congrès pour les deux dernières années du mandat de Donald Trump. C’est la première consultation nationale depuis son élection. Elle concerne les 435 sièges de la Chambre des représentants qui sont renouvelés pour deux ans, et 35 des 100 sièges du Sénat, qui sont remis en jeu pour les six prochaines années.

La Chambre des représentants et le Sénat sont actuellement à majorité républicaine. Les postes de 36 des 50 gouverneurs (chefs exécutifs des États) sont également soumis au vote. Enfin, les électeurs de 38 États sont appelés à s’exprimer sur 160 référendums locaux ».

On comprend ainsi que le scrutin dépasse largement le cadre d’une élection législative à la Française puisqu’elle concerne les exécutifs des États fédérés mais aussi le renouvellement des juges

On comprend ainsi que tirer les leçons de multiples scrutins complexes aux significations différentes n’est pas chose aisée et nécessite une analyse particulièrement fine.

Que peut-on ou doit-on, à ce stade, penser des significations intérieure et internationale de cette kyrielle de scrutins ?

 

  • LA SIGNIFICATION INTERNE DES ÉLECTIONS DE MI-MANDAT

Peut-être est-il plus sage de procéder, par touches successives, à la manière des peintres de l’école impressionniste pour tenter de comprendre ce qui a changé et ce qui n’a pas changé depuis novembre 2016, date de l’élection de Donald Trump ! Une sorte de moment de vérité à travers plusieurs caractéristiques objectives.

Une participation élevée

La participation aux différents scrutins a été particulièrement élevée, contrairement à la tradition. Les deux camps ont œuvré en ce sens. S’impliquant personnellement, Donald Trump effectue un marathon électoral, se démultipliant pour galvaniser ses troupes en faveur de sa politique. Du côté du parti démocrate, l’on a ressorti Barack Obama de sa retraite pour battre les estrades. Cette participation record est à mettre en relation avec les 10 000 comptes appelant à ne pas voter que Twitter a supprimé. Elle conduit aux résultats suivants : Chambre des représentants (219 démocrates, gain de 26 sièges ; 193 républicains), Sénat (45 démocrates, 51 républicains, gain de 2 sièges).

L’émergence d’un nouvel électorat

La campagne a fait émerger une frange de l’électorat moins visible dans les scrutins précédents. Ceux qui n’avaient pas cru bon voter en 2016 et qui ne voulaient pas voir une victoire écrasante da Donald Trump. Nous avons assisté à une mobilisation importante des femmes comme jamais dans le passé en réaction aux discours machistes de Donald Trump, des LGBT, des représentantes des minorités particulièrement actives dans ce pays (à l’instar des Latinos). Cet électorat semble avoir voté massivement pour le Parti démocrate et fait basculer la Chambre des représentants.

Une Amérique fracturée

Les résultats de ces scrutins font apparaître une fracture géographique et sociale du pays, voire même à l’intérieur des familles. Le pays n’est pas « un » comme certains voudraient le croire. En effet, les États-Unis apparaissent plus divisés que jamais après le mardi 6 novembre 2018. Le thème de l’immigration (comme dans le reste du monde) est en arrière-fond du débat, alimenté par la caravane de migrants venus d’Amérique latine. Caravane que le président de la République, Donald Trump a promis de chasser, y compris par la. Le discours de Donald Trump « flirte avec les zones à risque de l’inconscient américain ».

Il relève de l’évidence que la surenchère a caractérisé cette campagne électorale hors-norme dans un pays fortement divisé sur divers enjeux de politique et de société.

Une politique pérenne

On peut affirmer, sans grand risque d’erreur, que les « midterms » ne vont pas changer grand-chose à la politique de Donald Trump qui dispose toujours de la possibilité de gouverner par « décrets » en cas de blocage de la Chambre des représentants dont la prochaine présidente pourrait être la démocrate Nancy Pelosi, réélue députée de Californie le 6 novembre 2018. Si le 45ème président des États-Unis perd la Chambre des représentants, il renforce ses positions au Sénat, preuve que le désamour avec le peuple américain n’est pas aussi important que nos médias veulent bien nous le laisser entendre, il ne jouait pas sa présidence dans ses élections.

Il faut admettre que Donald Trump a réussi le tour de force de faire mieux que ses prédécesseurs en pareille occasion.

L’avenir du trumpisme

Deux ans après l’élection présidentielle, il existe un « véritable ancrage du Trumpisme » en Amérique. Le Washington Post pourra continuer à mettre en exergue au-dessus de son titre « La démocratie meurt dans les ténèbres » depuis l’élection de Donald Trump sans que cela ne change rien à la situation actuelle. Il gagnerait à méditer la célèbre formule du général de Gaulle selon laquelle « il n’y a pas de politique qui vaille en dehors des réalités ». Mais en Amérique, tout peut arriver.

*******

 

« Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres » (Antonio Gramsci). Et, c’est bien ce dont nous sommes les témoins à suivre les résultats relativement convergents des élections au quatre coins de la planète. Quoi qu’en pensent certains, le Trumpisme n’est pas mort et, en toutes hypothèses, il survivra à Donald Trump tant il pose des questions essentielles pour l’avenir de l’Amérique et de la gouvernance mondiale ! Même s’il révèle les fractures de l’Amérique, il paraît en partie conforme aux espérances d’une large frange de l’électorat américain. Qu’on le veuille ou non ! Et c’est avec cette Amérique atomisée qu’il faut travailler pour imaginer le monde de demain et non se lamenter sur celui d’hier. Dans ses extravagances non contestables, Donald Trump pose de vraies questions que Barack Obama n’avait jamais posées. Le moins que l’on puisse dire est que bon nombre de nos dirigeants n’éprouvent pas la moindre envie de se remettre en question et de remettre en question le paradigme des relations internationales du XXe siècle. Ils nous rappellent ce qu’écrivait Frederik Nietzsche dans son Crépuscule des idoles : « Ramener quelque chose d’inconnu à quelque chose de connu, cela soulage, rassure, satisfait. Avec l’inconnu, c’est le danger, l’inquiétude, le souci qui apparaissent – le premier mouvement instinctif vise à éliminer ces pénibles dispositions ». Et c’est bien cela qui rend notre monde encore plus complexe, imprévisible et lourd de menaces. Telle est l’intolérable vérité. Avec cette seconde partie du mandat de Donald Trump s’ouvre une nouvelle phase que l’on pourrait emprunter, en l’adaptant, à Alexis de Tocqueville : de la cohabitation en Amérique.

Extrait de http://prochetmoyen-orient.ch/

 

 
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N°55 « L’ami américain » de Patrick Toussaint
N°60 « Iran, Trump veut étrangler ses concurrents » de Richard Labévière
N°65 « G7, Trump et OCS » par Guillaume Berlat
N°67 « OTAN, combien de temps ? » par Jean-Dominique Giuliani


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