LA FRANCOPHONIE POLITIQUE DANS TOUS SES ETATS (2ème partie)

« NOUVELLE AMBITION FRANCOPHONE ET INFLUENCE »

Anne Gazeau-Secret

Comme ambassadrice ou comme directrice générale de la coopération internationale et du développement (DGCID) – devenue Direction générale de la mondialisation – l’auteure Anne Gazeau-Secret a toujours défendu la dimension francophone et la diplomatie culturelle qui l’accompagne. Elle continue à le faire au travers de rapports, souvent alarmants et sans langue de bois.

Dans cette deuxième partie l’auteure fait « plusieurs propositions d’action », dans le précédent numéro N° 47 du 19 février elle présentait « l’état des lieux »

La Rédaction

 

C’est un enjeu prioritaire qui relève directement de notre intérêt national et qui est inestimable pour que les partenaires francophones renforcent leur position dans l’économie et le commerce mondial.

Condition sine qua non : la francophonie doit être reconnue par tous les acteurs en France non seulement comme une force diplomatique et culturelle mais comme une potentialité immense de développement économique. C’est d’abord une question de prise de conscience et de motivation au plus haut niveau politique mais aussi chez les acteurs économiques et dans toute la société active.

Les 17 propositions d’Hervé Bourges, les 53 de Jacques Attali regroupées en 7 axes, la vingtaine de Pouria Amirshahi se recoupent souvent et sont toutes intéressantes, le problème est d’établir des priorités (et le défaut de notre diplomatie est justement de n’en point établir) et de donner des moyens à cette ambition, moyens financiers certes, mais aussi et peut être surtout moyens en personnel. M. Attali prétend à tort que ses propositions peuvent être mises en œuvre à budget constant : la réorientation de nos actions, l’introduction de nouvelles méthodes de travail, ou formes de coopérations, la recherche de financements privés nécessitent un travail gigantesque pour des ressources humaines qui ont déjà souffert depuis de nombreuses années de fortes restrictions d’effectifs. Se pose aussi le problème de la formation des personnels et notamment des diplomates, certes très bons dans la rédaction de télégrammes diplomatiques et de notes de synthèse mais peu compétents et peu motivés pour le reste : questions managériales, technologie numérique, portage de projets, appels d’offres, gestion des ressources humaines etc.

UN AXE STRUCTURANT DE NOTRE POLITIQUE ÉTRANGÈRE

De l’avis général, le point noir depuis au moins 10 ans est l’absence de volonté politique. Preuve en est que sous la Présidence Sarkozy le poste ministériel a été vacant pendant 18 mois et que sous la présidence Hollande quatre ministres, une ministre déléguée puis trois secrétaires d’Etat chargés du développement et de la francophonie, se sont succédés en 5 ans, qui n’avaient pratiquement aucun poids et n’ont joué aucun rôle significatif en ce domaine.

 La première décision nécessaire serait d’ en faire un portefeuille ministériel en soi, de ministre délégué au minimum. Confier ce portefeuille bien identifié à une personnalité forte ayant la confiance du chef de l’Etat conduirait à lui donner une visibilité durable dans le gouvernement et des moyens, y compris sur le plan interministériel. Pourquoi ne pas   lui attribuer la tutelle de la Direction générale de la mondialisation, de la culture, de l’enseignement et du développement international ainsi que celle de la Délégation aux affaires francophones (qui dépend aujourd’hui de la direction des Nations Unis et des organisations internationales), et de la Délégation aux fonctionnaires internationaux[1]. Au moins rassemblerait-il sous sa houlette l’essentiel du budget opérationnel du quai d’Orsay, ainsi que les tutelles sur les opérateurs extérieurs, tâches auxquelles le ministre des Affaires étrangères absorbé par les affaires politiques n’a guère de temps à consacrer. Cela signifierait clairement les priorités à donner à nos instruments de coopération et actions d’influence partout dans le monde, dans toutes leurs dimensions. Ce serait mettre les actes en conformité avec les discours ronflants sur l’importance de la diplomatie d’influence !

Le ministre aurait aussi en charge naturellement non seulement la question de l’usage du français dans les institutions internationales, du placement de francophones à des postes clés mais devrait aussi veiller à développer les concertations entre ambassadeurs francophones dans toutes les négociations internationales importantes (à l’instar de ce qui a été fait à la COP 21).

BUDGETS PRIORISES ET CIBLAGES GÉOGRAPHIQUES

Une prévisibilité pluriannuelle des moyens financiers et en ressources humaines ainsi qu’une contractualisation via de vrais contrats d’objectifs et de moyens – si Bercy pouvait enfin s’y résoudre- permettraient un management public plus efficace. Pour parvenir à une inter-ministérialité qui fonctionne entre les nombreuses administrations concernées, ne faudrait-il pas inventer l’équivalent du Comité interministériel de la coopération internationale et du développement, présidé par le Premier ministre, chargé de définir la stratégie et les priorités pour la promotion de la francophonie puis d’en superviser la mise en œuvre via les programmes. Ce comité interministériel veillerait à la cohérence des actions via les organismes multilatéraux et des actions à titre bilatéral (dont la visibilité et les effets sur l’influence française sont spontanément mieux assurés).

S’agissant des ciblages géographiques, l’orientation politique à la mode qui consiste à privilégier les grands pays émergents, essentiellement en Asie, au détriment de nos voisins et de nos zones d’influence traditionnelle et historique est contestable. Au Maghreb ce n’est pas le moment de baisser la garde, comme en Tunisie où l’enveloppe de coopération bilatérale a diminué de moitié en 4 ans ! Il faudrait se  recentrer tout d’abord sur l’Europe, continent où la langue française connait le recul le plus catastrophique et où on ferme d’ailleurs petit à petit les Instituts français ; sur le Maghreb et la Méditerranée (Liban notamment) où nos positions sont encore relativement fortes quoique menacées ; bien sûr sur  l’Afrique et d’abord l’Afrique francophone, sachant que dans nombre de pays le français n’est maîtrisé que par les élites ; et enfin sur  l’Amérique latine pour des raisons là aussi de culture commune.

PROMOTION LANGUE, CULTURE ET ÉDUCATION 

Le chantier est immense et les propositions nombreuses. On pourrait retenir quelques axes forts d’une politique plus visible tels que :

– Remettre les enjeux du français, langue internationale, au centre de l’action de l’Organisation Internationale de la francophonie (parent pauvre de la Déclaration de Madagascar).

Cela signifie la défendre dans les organisations internationales, notamment à Bruxelles et à Genève et appliquer sérieusement le Vademecum adopté il y a 10 ans –  Cela signifie promouvoir partout où on le peut et avec persévérance le plurilinguisme, en évitant d’être dans un rapport de forces bilatéral face à l’anglais- ce qui appelle des stratégies d’alliance contre les tenants du tout-anglais avec la Chine, le Brésil, l’Espagne, les Latino-américains, les Russes, etc.

Remettre aussi de l’ordre chez nous dans les priorités de l’Education nationale, en prenant conscience que, pour que l’on parle davantage le français, nous devons connaître et pratiquer la langue des autres, et pas seulement l’anglais.  Quelle erreur   de songer à supprimer les classes bilingues alors qu’il faut au contraire les multiplier !

Enfin, et ce n’est pas le moins important, devrait être poursuivie une politique dynamique valorisant le métier de traducteur et d’interprète et visant à en favoriser les recrutements.

– Soutenir les systèmes éducatifs en Afrique, en commençant par lutter contre la grande idée fausse du moment selon laquelle la francophonie ne connaîtra pas de difficultés du fait de la démographie galopante en Afrique francophone. C’est faux : les systèmes éducatifs se dégradent partout. Il faut donc y mettre les moyens car sans aide, il n’y aura plus de développement du français en Afrique. Aidons à reconstruire les systèmes éducatifs en privilégiant si possible l’aide bilatérale.

Il faut ainsi encourager encore davantage les initiatives telles que l’Initiative francophone pour la formation à distance des maîtres (IFADEM) et d’autres projets annoncés, notamment « 100 000 professeurs pour l’Afrique », de même que les formations effectuées par le réseau et les formations par internet de professeurs. Mais tout ne peut pas passer par Internet, il conviendrait de voir comment dégager les ressources humaines nécessaires (formateurs, universitaires, experts techniques), le défi démographique étant en effet considérable.

– Promouvoir notre culture à l’étranger c’est-à-dire sur le terrain, car c’est là que se joue l’influence de la France, en menant une politique proactive de la demande – et non de l’offre, du type « la nuit des idées », opération de communication initiée par Laurent Fabius à Paris et qu’on demande aux postes de reproduire à l’étranger sans se préoccuper de l’impact et de la diversité des situations locales…  Dans cet ordre d’idées il sera inévitable de redresser le budget des Instituts culturels français et des Alliances françaises et surtout d’en réformer la gouvernance -dispersée entre plusieurs services administratifs, ministères, établissements publics – d’où l’absence de direction générale, de transparence, de priorités, et l’impossibilité de mener une politique intelligente de redéploiement des moyens.  

– Suivi des élèves de nos lycées en les aidant à rester dans un système universitaire francophone et soutien à la mobilité universitaire (étudiants et professeurs). La pression est énorme : en 1960, il y avait 13 millions d’étudiants dans le monde, aujourd’hui il y en a 165 millions !

Aux Etats-Unis, 50% des thèses soutenues en science le sont par des étudiants étrangers. De retour dans leur pays d’origine, ces étudiants deviennent les acteurs du rayonnement économique et culturel de leur pays d’accueil universitaire. Mais l’animation des réseaux d’alumni étrangers est quasi inexistante en France. Ainsi j’ai regretté que l’association des anciens élèves de l’ENA (plusieurs milliers d’étudiants étrangers) dont j’ai fait partie un temps n’ait aucun moyen pour monter un dispositif efficace en la matière, alors que le budget de cette association permettrait d’en faire une priorité. Il nous faudrait aussi faciliter le recrutement par les entreprises françaises de cadres de haut niveau ouverts au multiculturalisme et polyglottes venus en France pour achever leurs études supérieures et bien sûr assouplir leur accès au marché du travail.

La question du visa francophone est bloquée du fait de la peur migratoire : elle s’est retrouvée coincée dans le débat entre la volonté de fermeture des frontières et les velléités d’immigration choisie. Il existe pourtant une position intelligente, celle de la mobilité et des allers-retours. En limitant les démarches administratives, on désengorgerait nos consulats et nos préfectures et cela favoriserait en particulier la circulation des créateurs et des chefs d’entreprise. Trop souvent, nous sommes encore confrontés au cas d’entreprises implantées à l’étranger qui veulent envoyer leurs cadres pour une formation professionnelle en France et se heurtent à un refus de visa.

LA FRANCOPHONIE ÉCONOMIQUE

La Francophonie s’est tardivement saisie des questions économiques, alors qu’en la matière, le Commonwealth est depuis longtemps très actif et doté de moyens. Le rapport Attali et les publications d’Hervé Bourges entre autres ont alimenté les réflexions au moment de l’élaboration puis de l’adoption de la Stratégie économique pour la Francophonie au Sommet de Dakar (2014). Celle-ci part du constat que l’espace francophone représente un potentiel économique énorme, insuffisamment exploité : la nébuleuse des quelque 80 pays francophones et supposés francophiles d’alors (84 aujourd’hui) représente 16% du PIB et 20% du commerce mondial.

Depuis deux ans cette stratégie a commencé d’être mise en œuvre de diverses façons :

programmes dédiés de l’OIF tournés vers les jeunes et les femmes créateurs d’entreprises ; organisation de forums économiques invitant des entreprises (Dakar en 2014, Paris en 2015, Madagascar en 2017) ; réunions de concertation des ministres des Finances francophones en marge des assemblées annuelles de la Banque Mondiale et du FMI ; lancement d’un réseau des ministres francophones du Commerce ;  actions de plaidoyer auprès de la présidence du G20 (de concert avec le Commonwealth) ; organisation de la  Journée de la Francophonie économique et numérique.

Cette refondation est capitale pour la France compte tenu du constat du désinvestissement du continent africain par les entreprises françaises qui ont perdu leurs « chasses gardées ». C’est désormais la Chine qui est le premier partenaire de l’Afrique…

Il est clair que c’est de notre intérêt national que d’appuyer cette stratégie de francophonie économique, de multiplier les accords économiques comme celui signé récemment dans le domaine de l’électricité – ces accords signifiant des formations professionnelles, des normes technologiques, des brevets et inventions françaises.

Il est non moins clair que notre influence au final est conditionnée par le retour de notre puissance économique et de sa capacité de projection sur les marchés francophones, où il y a une demande très forte. L’ambition du Medef sur cette question est assez illisible.

LA FRANCOPHONIE NUMÉRIQUE

C’est un facteur commun à la promotion de la langue et de la culture française et à la croissance économique durable.

Priorité absolue doit être donnée au numérique où tout se joue pour la jeunesse.  Sans renforcement de la présence de contenus en français sur les réseaux numériques

–  nouvel espace de confrontation d’idées, de recrutement, de formation, de création, seul outil d’information et unique référentiel des jeunes –  l’ambition de la promotion de la francophonie restera lettre morte.

Aujourd’hui, seulement 4 à 5% des contenus en ligne sont en langue française, qui occupe le 8e rang par la qualité de ces contenus et le nombre d’utilisateurs.

A noter qu’en Afrique, la multiplication des chaînes de télévision numérique bénéficie éditorialement aux anglophones et aux chinois pour le contrôle de la diffusion.

Une idée serait de nommer un délégué auprès du ministre de la Francophonie chargé de mettre de l’ordre dans les projets des uns et des autres dans ce domaine, en tenant compte de ce que font les autres francophones comme le Québec par exemple…

A l’Unesco il nous faut soutenir les militants qui travaillent à l’élaboration d’un projet de directives opérationnelles sur le numérique pour la mise en œuvre de la Convention de l’Unesco sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles (2005).

L’Internet et les réseaux numériques conditionnent sans aucun doute le succès de la relance de l’ambition francophone et francophile !

Tout nouveau Président de la République, monsieur Emmanuel Macron, vous avez dit lors de votre discours d’investiture « la mission de la France dans le monde est éminente ». Sa dimension culturelle est à la fois la moins coûteuse et la plus conquérante, qu’attendez-vous pour vous en occuper, sachant que les paramètres économiques sont les suivants : montants à investir très faibles (de l’ordre du coût d’un Rafale), risque nul, potentiel énorme, impact très vite visible….

 Vous ne pouvez pas ne pas savoir que le statut particulier de la langue française, fruit de l’Histoire – celle d’une vieille nation et d’une ancienne grande puissance – et du « testament français » – celui des Lumières – est aujourd’hui gravement menacé.

Or si l’on veut que la langue française, son rayonnement à travers le patrimoine culturel qu’elle véhicule et la possibilité d’accéder à la connaissance que sa maîtrise doit permettre, restent l’un des vecteurs de notre influence dans le monde, au sens du « soft power » dans la terminologie anglophone, il est urgent d’engager une action volontariste à votre niveau.

Nous espérons enfin   une politique ardente et durable en faveur de la francophonie, non seulement à travers le soutien que nous apportons à l’OIF et à la défense du plurilinguisme et de la diversité culturelle sur la scène internationale, mais aussi et encore sur le terrain de l’éducation et de l’enseignement supérieur mis au service du développement – et ce grâce au dispositif important dont la France dispose à l’étranger. Il est encore présent quasiment partout à travers le monde et les instruments existent : il reste à leur redonner une impulsion politique, les moyens humains et budgétaires indispensables ainsi qu’une gouvernance efficace et responsable, ce qui est sans doute le plus improbable car on touche là aux problèmes gigantesques d’une réforme de l’Etat dont on n’ose même plus parler. Même vous, M. Macron ?

 

 

[1] On aurait pu imaginer aussi que le représentant personnel du chef de l’Etat pour la francophonie, distinct du ministre, s’implique fortement dans cette action interministérielle. N’ayant que peu de prise sur les administrations, ce fut une fonction purement honorifique. En tout cas pour plus de clarté et de cohérence, il vaut mieux que le ministre soit en même temps représentant personnel.

 


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Pour lire 1ère partie  
LA FRANCOPHONIE POLITIQUE DANS TOUS SES ETATS : "UN ÉTAT DES LIEUX INQUIÉTANTS" 
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