LA FRANCE
PEUT-ELLE ASSURER
LA PROJECTION DE FORCES ?

 

Patrick Toussaint

Lorsque l’on parle de projection de forces, on pense tout de suite à la nécessité de  disposer d’avions de ravitaillement afin de permettre aux avions de chasse et d’appui d’arriver sur la zone d’opération mais souvent, on ne mentionne pas souvent la projection de forces par la mer.

Cet article ne traitera que la projection aérienne, la projection maritime sera traitée ultérieurement dans un autre article.

La projection de forces au niveau aérien se fait de plusieurs façons mais soit essentiellement sans troupes au sol soit comme le début de l’intervention de troupes au sol ce qui implique, l’appui au développement de l’action au sol et la couverture de celui-ci.

Dans un premier temps, soit l’action aérienne seule ou dans la préparation de l’intervention au sol, il s’agit de pouvoir intervenir rapidement dans un ou plusieurs théâtres d’opérations hors de portée du rayon d’autonomie des avions.

Ceci impose, le plus souvent, le ravitaillement en vol à l’aller comme au retour.

La France dispose d’avions ravitailleurs – les C 135 au nombre de 14 – qui permet de mener des missions lointaines tant pour les avions d’attaque que pour les avions de guet aériens E-3 F(AWACS) que les avions de transports ou de ravitaillement d’hélicoptères.

Ces avions ravitailleurs sont maintenant  obsolètes et nécessitent de tels temps de travail et de préparation qu’ils entrainent des coûts prohibitifs. Ils font, d’ailleurs, l’objet de remplacement par des commandes d’avions neufs dérivés d’avion de ligne mais optimisés aux fins de cette tâche, les A330 MRTT, avec une distance franchissable de plus de 10.000 Km avec plus de carburant à délivrer,  déjà adoptés par d’autre pays, notamment de l’Europe. Ils seront quinze.

Ces avions dévolus à cette tâche peuvent également transporter du personnel et du fret et remplaceront les deux A340 et les trois A310 trop vieux, eux aussi.

Il ne faut oublier que les avions sur zones ont besoin de personnels  que les MRTT pourront acheminer pour créer une base projetable ce qui nécessite du personnel et du matériel au sol.

L’autre grand vecteur, l’avion de transport proprement dit comprendra le A400 M baptisé Grizzly qui est commandé à cinquante exemplaires.

Cet avion, totalement nouveau et qui n’a  pas encore toutes ses capacités tactiques, peut transporter jusqu’à 37 tonnes à 3.330 km ou 20 tonnes à 6.400 km.

A ce jour, la France en possède treize avec un taux de disponibilité pas très bon et un coût d’entretien élevé car l’avion est trop neuf.

Néanmoins cet avion est une révolution compte tenu de ses caractéristiques alors que la France ne disposait que du Transall C 160, appareil excellent du point de vu tactique et robustesse mais avec des limitations importantes.

Ces limitations, un peu plus de 8 tonnes de charge utile  ou 6 tonnes à 5.000 km, ne permettaient plus une projection de puissance suffisante et ces appareils de transport sont, de surcroît, usés pour avoir été utilisés intensément pendant des années.

L’Armée de l’Air les a remplacé par des avions de nouvelle génération à la pointe du progrès, l’A400M appelé Grizzly

 Cet avion peut être défini comme un avion  destiné à faire la liaison inter-théâtres – même si ses capacités  lui permettent d’être utilisé comme vecteur stratégique, ce que l’Armé de l’Air, fait mais sans régler problème du transport stratégique lourd avec un appareil de grosse capacité  doté d’une soute de grandes dimensions.

¨Pour pallier cette absence,  les armées ont utilisé pendant des années le gros porteur russo-ukrainien, l’Antonov 124 Condor, capable de transporter jusqu’à 150 tonnes et de transporter des matériels, comme le NH90, jusqu’ à 4.500 Km et d’atterrir sur des terrains sommaires.

Ces avions étaient principalement russes et ukrainienne mais 80 % des pièces détachées étant fournis par la Russie ce qui induisait une dépendance stratégique.

De toute façon, la société russe qui louait ces appareils a annoncé la fin de location et il faut donc trouver une solution.

Un autre problème est la nécessité de pouvoir ensuite répartir le fret transporté par cet avion entre les diverses unités ou positions.

Les CASA de l’Armée de l’Air ont une capacité de transport réduite et un  rayon d’action trop limité c’est-à-dire faire du transport tactique.

La solution a été trouvé par un appareil américain, le C130 dont la France en détenait 14 mais d’un modèle ancien (C130 H) et l’achat de quatre appareils neufs dont deux pour le ravitaillement d’hélicoptères mais qui ont une capacité d’emport d’environ 20 tonnes donc supérieur aux Transall C160 (C130 J).

Le problème des C130 est que ce sont des machines fragiles- surtout les moteurs et les hélices- à entretenir, d’où des problèmes de disponibilité  et aussi leur impossibilité de les faire atterrir sur des pistes non préparées.

Il faut donc voir s’il est possible de trouver ou de créer un appareil de transport de même capacité de transport du C130, soit 20 tonnes au maximum mais avec les capacités d’atterrissage du Transall C160 et ses atouts : un appareil simple, robuste et fiable comme l’était l’ancêtre.

Le développement d’un tel avion peut se faire à partir d’éléments ou « briques » existant ce qui simplifiera sa conception, sa fabrication et ses certifications.

Il est bien évident que cet appareil devra être conçu, financé et fabriqué à l’échelon européen si possible sinon au moins par la France et l’Allemagne.

Pour que l’avion soit européen, il faudra voir si Airbus Industrie peut le faire mais, cas, il faudra éviter le piège de l’A400M (trop de versions avec des contraintes impossibles) et aussi être sûr d’avoir un marché car cet avion sera le concurrent du C130 de Lockheed Martin.

L’appareil italien C27 (G222) ne devrait pas être un concurrent qui est plutôt de la classe des CASA.

Une solution de financement pourrait être trouvée en  le proposant  dans des pays africains, sud-américain ou asiatiques : il existe un besoin  pour un transport tactique militaire de ce genre et sur le plan civil, un avion de transport de fret  pour un tel appareil fiable, rustique,  pouvant se poser facilement partout et avec un grand rayon d’action comme le Transall.

L’exemple de l’avion Embraer KC 390 qui a été développé à partir de « briques », qui est lui aussi est concurrentiel du C 130 J américain, a quand même trouvé un marché et a été développé rapidement.

Il serait, évidemment merveilleux que l’Union Européenne en fasse un marché européen mais ne rêvons pas.

Il reste le problème du transport stratégique lourd et là, la légèreté des dirigeant passés est complète mais les dirigeants militaires ne peuvent pas non plus être exonérés.

Dans le cadre de l’intervention en Afghanistan, les avions militaires stratégiques n’étaient que trois, deux américains : le Boeing C5 Galaxy et le Lockheed Martins C17 Globemaster et l’Antonov 124 Condor russe ou ukrainien.

L’appareil C 17 Globemaster, qui a été produit au départ par McDonnell Douglas qui a été racheté et « englouti » par Boeing était très cher à l’achat et n’est plus fabriqué.

Le Boeing C17  enlève  une charge utile jusqu’à 77 tonnes avec  un rayon d’action jusqu’à  7.770 km et jusqu’à 5.200 km avec 72,7 tonnes dans une soute de grande dimension.

279 avions ont été construit et l’Angleterre en a acheté 8 exemplaire comme le Qatar, les Emirats Arabes-Unis –EAU, le Koweït en a pris deux, l‘Inde en a pris 10 et trois pour le pôle OTAN Strategic Airlift Capability tandis que les Américains en ont gardé222.

Cependant, cela fait des années que l’armée française utilise l’avion ukrainien, l’Antonov ,124 Condor dont le prix d’exploitation paraissait très inférieur à celui des avions américains.

Dans certains milieux militaires, il y a une petite dizaine d’années, la réflexion suivante courait : vu le prix d’achat de cet avion américain,  il faut 20 ans d’exploitation d’un Antonov 124 pour atteindre le prix d’achat d’un Boeing C17.

On remarquera que cette boutade masquait une réalité affligeante : les pays dotés d’avions américains étaient autonomes ce qui n’était pas le cas avec les avions Antonov.

De toute façon, cet appareil n’était pas suffisant pour pallier le manque de capacité de transport des A400M en tant qu’avion stratégique lourd.

Il ne reste, pour l’instant, en lice, que deux appareil : l’Antonov 124 et le Lockheed Martin C5 Galaxy.

Le C5 Galaxy a été développé dans les années 60 pour pouvoir amener en Europe, les soldats dont le matériel était stocké dans les immenses camps de matériels  existant principalement en Allemagne.

Cet appareil enlève 130 tonnes sur 6.000 km dans la version la plus récente, le C5M.

Cet appareil présente deux inconvénients : il est extrêmement cher à l’exploitation et il lui faut des pistes longues et très solides pour pouvoir y atterrir et selon les aviateurs US, il n’y avait que 850 aérodromes dans le monde capables de recevoir cet appareil en fin des années 1980 (et seulement 18 pistes sur les 47 existant en Allemagne de l’Ouest à la même époque) ce qui rendait sa possibilité de projection très limitée car les Soviétiques savaient à l’avance quels aérodromes il fallait détruire en priorité.

Les Américains ont fait des propositions à l‘Armée de l’Air : ils offraient de vendre gratuitement quelques appareils (de l’ordre d’une dizaine tout au plus) avec une mise à nouveau d’un coût de 85 à 115 millions de dollars selon la modernisation demandée.

Il apparait que cette solution reste coûteuse et limitée du fait des aérodromes nécessaires à utiliser (surtout dans le cadre africain par exemple). En effet, si l’on retient un besoin de seulement 6 appareils pour en avoir au moins trois ou quatre disponibles, le coût de possession, de formation des personnels, des rechanges s’élève très vite au-delà du Milliard d’Euros.

Il faut souligner que les américains étaient si conscients de ces graves limitations qu’ils ont développés le McDonnell Douglas C17 qui peut se poser sur des pistes courtes et sommairement préparées.

Il ne reste donc que l’Antonov 124 qui reste en piste et les autorités ukrainiennes avaient fait, il y a longtemps, des propositions de développements, d’améliorations et de modernisation de leur avion ce qui a été refusé il y a déjà quelques années car cela était jugé trop coûteux.

Il apparait cependant que l’Europe n’a pas d’autre choix que de se lancer dans une telle opération car ne pas le faire implique une totale dépendance des Etats-Unis dont on sait que leur appui n’est plus garanti et que la seule solution serait alors de se tourner vers la Russie, qui a suspendu la location des appareils russes en représailles des sanctions mises en œuvre à son encontre à propos de l’Ukraine.

Soit il est recherché une indépendance soit c’est l’acceptation d’une dépendance étroite.

Il ne faut pas oublier que l’opération Serval du début 2013, n’a été possible que grâce aux américains, que ceux-ci continuent d’apporter leur soutien logistique en terme de transport, de ravitaillement en vol et de fourniture de renseignements satellites, drones et autres moyens de renseignement mais aussi des Russes car ils ont fournis de lliouchine II-76 Candid.

Il convient aussi de remarquer que la Grande-Bretagne appuie les forces françaises dans la bande sahélo-saharienne avec un C 17 qui livre tous les mois du ravitaillement.

Pourquoi, là aussi, ne pas créer un groupement d’entreprises pour la modernisation des Antonov ukrainien – les Russes se sont, en, principe, lancés dans cette direction :  mettre au point la modernisation des appareils sur le plan civil et sur le plan militaire.

Le plan civil peut être intéressé par un avion utile pour de gros transports spécialisés que seul peut le faire cet appareil.

Le bémol qui doit être fait est que les membres de l’Union Européenne ne se sentent pas très impliquer dans les opérations extérieures que pratiquent la France et le Royaume Uni.

En ce qui concerne l’opération Barkhane, leur soutien va plutôt à fournir des moyens, limités, à l’action de l’ONU plutôt qu’à l’opération française.

Cela n’est pas le cas de l’Espagne qui participe, un peu, au profit de l’opération française et les Anglais fournissent aussi des hélicoptères lourds- CH 47 Chinook.

Là encore, il faut une intervention européenne car le budget à mettre en œuvre est trop lourd pour la France seule.

Il reste encore une solution : partir d’un gros transport européen style Airbus civil ou un avion du type de celui qui transporte les éléments des avions Airbus civils d’Allemagne en France.

Cela implique de longues études de modifications, de modernisation étant entendu que ce gros porteur doit pouvoir  « s’agenouiller », pouvoir être chargé aussi bien par devant que par derrière, avoir un train d’atterrissage renforcé et capable de supporter des pistes peu préparées.

Il semble que les coûts seraient trop importants.

En tout cas, il faut bouger car sinon l’indépendance ou du moins une certaine liberté d’action de l’Europe sera menacée.

 


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