CE QUE VLADIMIR POUTINE AURAIT PU RÉPONDRE…

Richard Labévière
Rédacteur en chef

Versailles, tout un programme ! Mais était-ce bien le lieu pour se demander si les autorités russes s’étaient effectivement invitées dans la campagne présidentielle française? Inévitablement la question a été posée à Vladimir Poutine et Emmanuel Macron dans le cadre de leur conférence de presse commune après leur échange versaillias, le 29 mai dernier.

« Emmanuel Macron n’a manifesté aucun intérêt pour le sujet. Moi, encore moins », a d’abord éludé Vladimir Poutine. C’était compter sans l’envie de son homologue français d’en dire plus, beaucoup plus. Emmanuel Macron a d’abord confirmé qu’il n’a pas été question des hackers russes pendant la campagne présidentielle. Relancé, le président russe s’est une nouvelle fois refusé à discuter le sujet : « comment voulez-vous que je commente quoi que ce soit, des on-dit… Comment peut-on tirer des conclusions ? La presse peut tout se permettre pour présenter tous les points de vue mais pas un politique qui ne peut rien bâtir sur des suppositions que ne sont pas confirmées », a réaffirmé Vladimir Poutine.

En revanche, Emmanuel Macron a lancé une attaque frontale visant deux médias financés à 100% par l’Etat russe. Déjà virulent pendant la campagne contre Russia Today et Radio Sputnik qui n’avaient plus été accrédités lors de plusieurs événements macronistes, le président français leur a dénié le qualificatif de journalisme. « Quand des organes de presse répandent des contrevérités infamantes, ce ne sont plus des journalistes, ce sont des organes d’influence. On va se dire les choses en vérité, Russia Today et Sputnik ne se sont pas comportés comme des organes de presse mais comme des organes de propagande mensongère », a-t-il lancé à une journaliste de Russia Today, ajoutant qu’il ne « cédera rien sur le sujet ». Bigre !

Ne voulant pas polémiquer, Vladimir Poutine aurait pu répondre trois choses, au moins : 1) depuis des mois, sinon des années la Russie et ses dirigeants sont régulièrement et systématiquement critiqués, voire traînés dans la boue par la presse occidentale et tout particulièrement par les médias parisiens[1] ; 2) ce faisant, la presse parisienne ne fait que reprendre, reproduire et répéter ce que diffusent les médias anglosaxons depuis la fin officielle de la Guerre froide ; 3) enfin, Vladimir Poutine est-il plus responsable du contenu des médias publics russes qu’Emmanuel Macron ne l’est des partis pris idéologiques quotidiennement diffusés par France-2, France-3, France-24 ou Radio France Internationale (RFI) ?

En effet, Emmanuel Macron est-il responsable des questions partielles et partiales que David Pujadas et Laurent Delahousse posent régulièrement à leurs invités et de la bêtise – encore plus insondable – de la petite Léa Salamé ? Evidemment, la réponse est négative mais concerne une interrogation plus vaste touchant à l’évolution des médias publics et privés à l’heure du voyeurisme des chaînes en continu (notamment BFM dont le patron a financé la campagne d’Emmanuel Macron) et des réseaux « numériques » qui n’ont rien de sociaux. Tout au contraire, ces derniers produisent l’atomisation sociale de leurs usagers qui finissent par lire et interpréter le monde de manière strictement dualiste : j’aime/j’aime-pas !!! Vaste programme …

De fait, la petite leçon médiatique du président soleil Emmanuel Macron était des plus mal venues, laissant entendre que seuls les médias russes – bien-sûr ! – s’adonneraient foncièrement à la propagande ! Les nôtres – les médias parisiens s’entend ! – se caractérisant par un sens aigu de l’objectivité journalistique ! Soyons sérieux, et en la matière, si l’on atteignait déjà le stade de l’honnêteté intellectuelle (qui consiste notamment à citer des sources pluralistes), ce ne serait déjà pas si mal…

En dépit des millions de personnes qui se sont proclamés être Charlie au lendemain des attentats de janvier 2015, la censure a, pourtant refait son apparition en France. A plusieurs reprises des colloques consacrés à la guerre en Syrie (pour ne prendre que ce seul exemple), appelant des intervenants (universitaires, diplomates et journalistes) ne partageant pas les certitudes de l’Elysée et du Quai d’Orsay, ont été clairement censurés au Mémorial de Caen, à la Sorbonne et à l’Assemblée nationale. Ces coups de force n’ont guère ému l’Elysée, le CSA ou toutes autres administrations gardiennes de nos libertés civiles et politique… Ne parlons pas des mal-pesants qui ont été sèchement congédiés parce qu’ils ne partageaient pas la doxa gouvernementale !

A l’évidence, le président soleil voit la paille dans l’œil de son interlocuteur russe. Il devrait d’abord commencer par découper la poutre qui émerge du sien. A trop vouloir faire de la com., on finit toujours par se prendre les pieds, l’esprit et l’intelligence dans le tapis de l’immédiateté. Même numérisés, les gens ne sont pas tous devenus des crétins applaudissant les affirmations du 20 heures. 

Après la taxation des assurances-vie, l’augmentation substantielle de la CSG qui va plomber les petits retraites et une loi El-Khomri deux qui annonce ses ordonnances pour la rentrée, on en reparlera d’ici Noël prochain…

Richard Labévière  

[1] Guy Mettan : Russie-Occident, une guerre de mille ans : La russophobie de Charlemagne à la crise ukrainienne. Editions des Syrtes, mai 2015.