BERNARD SQUARCINI, LES LOUPS SOLITAIRES
ET LES JOURNALISTES EN MEUTE…

 Richard Labévière
Rédacteur en chef

Dernièrement, la presse parisienne s’en est donnée à cœur joie affirmant de manière pressée, péremptoire, sinon accusatoire que l’ancien patron de la DCRI (Direction centrale du renseignement intérieur) – Bernard Suarcini -s’était… trompé, voire contredit dans l’affaire Merah… La belle affaire ! Morceau choisi dans Libération du 19 octobre dernier : « très attendu au procès d’Abdelkader Merah, jugé pour complicité des assassinats commis par son frère Mohammed, l’ex-patron du renseignement intérieur, Bernard Squarcini, s’est habilement faufilé entre les gouttes. Le grand flic de la Sarkozie a même nié toute faute commise par son ex-service : « je concède certains retards dans l’enquête, pas des ratés ».

Le problème initial avec les donneurs de leçons de Libération, c’est qu’avant de donner la moindre information factuelle, il s’agit d’ériger Bernard Squarcini en « ennemi de classe » parce qu’il a été proche de Nicolas Sarkozy. Lorsque ce dernier était à l’Elysée, la majorité des petits marquis de la presse parisienne lui cirait les pompes. Aujourd’hui, les mêmes « journalistes » sonnent et resonnent l’hallali dès qu’ils le peuvent, accordant sans la moindre retenue leurs faveurs au pouvoir du moment en brocardant le président déchu et ses sympathisants. Comme dit un proverbe arabe : c’est lorsque le buffle met un genou à terre que les bouchers se multiplient…

Toujours est-il que si nos chers « confrères » travaillaient un tant soit peu, ils auraient pu lire dans le livre de Bernard Squarcini – Renseignement français : nouveaux enjeux[1] – comment la DCRI avait géré l’affaire Merah, et comment son patron avait été le premier à ramener cette tragédie dans son contexte jihadiste tandis que l’enquête était en train de se fourvoyer sur la piste de l’extrême-droite… Hormis des dysfonctionnements imputables principalement aux parquets, ils auraient compris, et replacé dans son contexte, la théorie du « loup solitaire », expliquée par Bernard Squarcini dans Le Monde du 23 mars 2012.

Libération encore : « depuis le début du procès, les différents policiers entendus inscrivent au contraire Mohammed Merah dans une nébuleuse fournie, à laquelle appartenait aussi son frère Abdelkader. L’avocate générale, Naïma Rudloff, achève ainsi le « Squale » : « savez-vous combien de personnes ont été condamnées pour « entreprise individuelle terroriste » depuis la création de cette infraction il y a trois ans ? » Squarcini ne dit mot. « Seulement deux, c’est dire que votre théorie du « loup solitaire » est hautement contestable ». Alors là, le scribouillard de Libération n’a rien compris du tout – rien, absolument rien – parce que « deux arrestations » ne contredisent en rien une configuration de « loup solitaire ou en meute », surtout lorsque les arrestations sont effectués dans l’entourage et la proximité de la vie quotidienne du criminel !

De quoi parle-t-on ? Le concept de « loup solitaire » a été popularisé par des criminologues américains à la fin des années soixante-dix. Il s’agissait ainsi de qualifier des criminels agissant seul, en dehors de réseaux opérationnels constitués. Et lorsqu’à l’époque de l’affaire Merah, Bernard Squarcini qualifié le criminel de Toulouse et Montauban de « loup solitaire », il souligne bien que – durant le passage à l’acte – l’homme a bien agi seul, ce qui ne veut pas dire qu’il est absolument seul, en apesanteur dans la vie, qu’il n’a pas de famille, ni quelques complicités de proximité. Seul, le loup entretient toujours quelques relations avec la meute…

Le concept de « loup solitaire » signifie que l’on n’est pas en présence d’un réseau – « dormant » ou « réactivé » – puissamment constitué et ramifié à travers des connexions nationales ou internationales, mais bien confronté à un criminel radicalisé, de manière « individuelle », plus ou moins rapidement. En la matière, toute enquête criminelle s’efforce de reconstituer « le » ou « les » processus de « radicalisation », afin d’identifier leurs acteurs, supports et financiers. Mais dans le cas de l’affaire Merah, le criminel organise sa propre logistique et ses moyens opérationnels de manière artisanale en recourant à sa famille et ses relations de proximité, quitte ensuite à revendiquer le parrainage de Dae’ch, de la Qaïda ou des partisans de la lune…

Et il est, particulièrement significatif que les mêmes « journalistes » qui affirment que « le Squale s’est contredit dans l’affaire Merah », soient les premiers à reproduire la thèse du « loup solitaire » pour expliquer le dernier attentat à la camionnette-bélier de New York. Tellement à plat ventre devant la presse américaine – colonisés dans leur tête -, les plumitifs parisiens en reproduisent les schémas et les partis pris idéologiques : l’explication du « loup solitaire » de New York suscite leur admiration, tandis que celle de Toulouse et Montauban leur sert à cracher – une nouvelle fois -, leur venin sur « le grand flic de la Sarkozie ». Affirmer la bien-pensance et la morale bobo dominante avant d’informer est devenu le crédo de la presse parisienne, la presse la plus médiocre d’Europe !

Encore une fois, renvoyons les imprécateurs du moment à la lecture du livre de Bernard Squarcini – Renseignement français : nouveaux enjeux. Ce livre important aurait pu aussi s’appeler Le terrorisme pour les nuls… parce qu’il identifie les causes et les ressorts des menaces contemporaines. Par conséquent, après la lecture de cet ouvrage autant technique que pédagogiques, les « journalistes » parisiens auraient pu apprendre et comprendre mécanismes, financements et invariants du terrorisme contemporain.

L’analyse de la menace et la projection de moyens de riposte adaptés requièrent une véritable expertise ! Rares sont aujourd’hui les journalistes français à maîtriser ce savoir. Après plus de quarante ans de carte de presse, l’auteur de ces lignes peut témoigner : les journalistes ne lisent pas leurs confrères et on ne les voit pas souvent avec un livre sous le bras. Leur arrogance est trop souvent proportionnelle à une arrogance encouragée par les puissants qu’ils servent… 

Tout aussi rares sont les grands experts français en matière de terrorisme et de contre-terrorisme. Bernard Squarcini est l’un de ceux-là, l’un des spécialistes français du terrorisme qui, aujourd’hui se comptent sur les doigts de la main… Il connaît les causes, les procédures de cette menace toujours changeante. Il sait aussi comment mettre en œuvre les réponses qui doivent y être apportées. Alors, oui il y a eu des ratés dans l’affaire Merah. Anti-terrorisme et contre-terrorisme ne sont pas des sciences exactes… mais les parties civiles et leurs avocats ont été satisfaits des explications techniques apportées par l’ancien patron de la DCRI ! 

Messieurs les « journalistes », avant de refaire l’histoire dans la torpeur de vos rédactions parisiennes, franchissez le périphérique, partez un peu à l’étranger faire du terrain, apprenez les langues et lisez les bons livres ! La lumpen-prolétarisation de la presse parisienne n’est pas une fatalité. Faudrait-il encore que les écoles qui prétendent apprendre ce métier se remettent aussi à niveau… Bonne lecture, néanmoins et bonne semaine.  

 

Richard Labévière         

[1] Bernard Squarcini et Etienne Pellot : Renseignement français – Nouveaux enjeux. Editions Ellipses, 2013.