ARABIE SAOUDITE
AU
POINT MORT…

Richard Labévière
Rédacteur en chef

 Il y a quinze jours[1], l’hebdomadaire Le Point nous livre une édition dont la couverture reproduit un portrait – pleine page – du prince-héritier Mohammad ben Salman (MBS), barrée d’un gros titre : « Islam, Moyen-Orient, Jérusalem… Le prince qui peut tout changer – Mohammed ben Salmane, héritier du trône d’Arabie saoudite ». A l’intérieur, un dossier de 25 pages, pas moins, à la gloire du grand réformateur : 25 pages de communication d’entreprise et de publi-reportages, sans évoquer du tout la réalité du coup d’Etat du 3 novembre dernier qui consolide la dictature wahhabite.

En gestation depuis le 23 janvier 2015, depuis la mort du roi Abdallah et l’accession au trône de son frère Salman, ce coup d’Etat prend d’abord la forme d’une révolution de palais. Le 21 juin 2017, le prince héritier officiellement en charge Mohammad ben Nayef est déposé « manu militari » pour laisser la place à MBS. C’est d’autant plus une surprise que cet ancien ministre de la Défense aux compétences reconnues dans la lutte contre le terrorisme jouissait d’une popularité réelle. Depuis l’été, le roi Salman (84 ans) accélère les nominations favorables à son fils MBS jusqu’à la fameuse nuit du 3 au 4 novembre dernier – la nuit des longs cimeterres – qui conduit à l’arrestation de plusieurs milliers de personnes. La Cinquième Flotte[2] est mise en alerte et la chasse américaine survole Djeddah et Riyad. Jared Kushner – le gendre de Donald Trump – tient la main de MBS jusqu’à 4 heures du matin. Dans ce contexte un mois plus tard le président américain décide unilatéralement que Jérusalem sera la capitale d’Israël et répète que les pays sunnites doivent isoler l’Iran… scellant ainsi un nouveau Pacte du Quincy.

Brutal et irréversible, ce coup d’Etat se dissimule sous les prétextes d’une improbable lutte contre la corruption, nécessaire à la mise en œuvre du plan Vision-2030. La société américaine de conseil McKinsey a concocté ce plan pour préparer l’après-pétrole, diversifier l’économie saoudienne et mettre la classe moyenne au travail. Depuis l’été 2014, le prix du baril a diminué de 60% et la pétromonarchie a enregistré plus de 200 milliards de déficit budgétaire. Or, contrairement aux autres pays du Golfe, l’Arabie saoudite possède une population nombreuse (20 millions de nationaux), massivement employée par le pléthorique secteur public.  L’Etat-providence, c’est fini : chaque année, près de 300 000 jeunes arrivent sur le marché du travail et alimentent un taux de chômage galopant (13%, à savoir 30% chez les jeunes). A ce rythme, dans les trois ans qui viennent, les ressources de l’Etat risqueraient  tout simplement de disparaître. C’est ainsi que MBS doit impérativement récupérer des fonds de toutes les manières possibles et imaginables, environ 1000 milliards de dollars selon les comptables américains et britanniques de Vision-2030.

Lancée pour neutraliser toute espèce d’opposition politique, la campagne « anti-corruption » de MBS a déjà permis de récupérer quelques 100 milliards de dollars. Le premier prince « libéré », Mitab ben Abdallah (65 ans) a accepté de verser 1 milliard de dollars. A l’appui d’une campagne de communication montée par de grands cabinets occidentaux et relayée par la presse internationale dont Le Point, cette pseudo-lutte contre la corruption est évidemment approuvée par la jeunesse et les classes moyennes saoudiennes. Une question demeure : les fortunes privées visées ne vont pas être encouragées à investir de nouveau dans le pays, ce qui est pourtant indispensable pour la bonne réalisation de Vision-2030. Le message est d’autant plus contradictoire que le chantre de la lutte anti-corruption ne s’astreint pas lui-même à ses propres règles. Mais tout cela n’intéresse pas Le Point qui préfère mettre en œuvre la communication du « prince qui peut tout changer ».

A son dossier de pure propagande sur l’Arabie saoudite, et pour faire bonne mesure, s’ajoute l’éditorial du directeur de l’hebdomadaire : « N’en déplaise aux révisionnistes, Jérusalem est la capitale d’Israël ». Là, on atteint les sommets himalayens de la mauvaise foi, du parti pris et du contresens historique : un tissu de non-sens ! Le titre suffit : « N’en déplaise aux révisionnistes… » Toute personne qui contesterait la décision de Donald Trump se verrait ainsi qualifier de « révisionniste », terme couramment employé pour qualifier les illuminés qui contestent les crimes contre l’humanité, notamment la Shoah…

« Révisionnistes ! » Comme disent les enfants, « c’est celui qui dit qui l’est ! » ; Jean-Paul Sartre aurait pu ajouter que celui qui est capable d’écrire une chose pareille est un véritable « salaud ! » Inutile de relire L’Être et le néant pour aussitôt comprendre que de tels propos ne peuvent qu’entretenir la haine, le désarroi et un rejet radical de la prose lamentable du Point.    

Après la dernière résolution de l’Assemblée générale des Nations unies, le directeur du Point pourra écrire que l’ONU est « révisionniste », voire même que l’ONU n’existe tout simplement pas ! Ce plumitif, qui n’a jamais vraiment brillé par sa connaissance des relations internationales, devrait davantage s’en tenir aux derniers ragots de ses dîners en ville…

Toujours est-il que conformément aux actions de la campagne BDS[3], nous boycotterons désormais, avec méthode et détermination Le Point, ses mensonges et sa propagande.

Malgré tout, passez de bonnes fêtes de fin d’année.

Richard Labévière

[1] Jeudi 14 décembre 2017.

[2] La Cinquième flotte de l’US Navy a été créée le 26 avril 1944 puis supprimée en janvier 1947. Dans les années 1990, suite à la guerre du Golfe, le Pentagone a décidé de créer une flotte chargée des forces navales au Moyen-Orient. Elle est donc recréée le 1er juillet 1995. Son quartier général se trouve à Manama, au Bahreïn. Le soulèvement bahreïni de 2011 aurait conduit le commandement américain à envisager d’implanter le quartier général de la flotte dans un pays plus stable, le Qatar ou les Émirats arabes unis. La Ve flotte opère sous l’autorité du CENTCOM.

[3] Le Mouvement Boycott, Désinvestissement et Sanctions (également connu sous le nom de BDS et le Mouvement BDS ) est une campagne mondiale visant à augmenter la pression économique et politique sur Israël pour mettre fin aux violations du droit international. La campagne BDS appelle à « diverses formes de boycott contre Israël jusqu’à ce qu’il remplisse ses obligations en vertu du droit international ». Les objectifs déclarés de BDS sont: la fin de l’occupation israélienne et la colonisation par les colons des terres palestiniennes et des hauteurs du Golan , l’égalité totale pour les citoyens arabo-palestiniens d’Israël et la reconnaissance du droit au retour des réfugiés palestiniens. Organisée et coordonnée par le Comité national palestinien BDS la campagne a été lancée le 9 juillet 2005 par plus de 170 organisations non gouvernementales palestiniennes.