UN ANCIEN CEMA, NOS OPEX ET LE DOS DE LA CUILLÈRE …

 

Le général Henri Bentégeat – ancien chef d’état-major des armées/2002-2006 (CEMA), qui fût aussi chef d’état-major particulier du président de la République sous Jacques Chirac – n’y va pas avec le dos de la cuillère quand il revient sur nos opérations extérieures (OPEX) : « l’Irak, où nous n’étions pas en 2003, l’Afghanistan où nous n’étions pas, mais aussi la Libye et même l’opération Sangaris en République centrafricaine, n’ont pas été de grands succès et ont même été parfois carrément des échecs »[1].

Jugement pesé et soupesé… Les retours d’expériences du général Bentégeat sont d’autant plus légitimes qu’il a été – lui-même – le concepteur de la doctrine française des opérations extérieures, la plus claire, sinon la plus pertinente : 1) des interventions courtes avec un point d’entrée et un point de sortie ; 2) des objectifs et ennemis clairement identifiés ; 3) enfin, un soutien sans faille de la représentation nationale, donc du pays profond sans lequel aucune intervention militaire ne saurait être engagée.

Alors pourquoi un tel écart s’est-il creusé entre le concept, la réalité et le discours ? Le général Bentégeat avance plusieurs causes dont les plus « graves » et « profondes » sont d’ordre politique et sociétal. Il y a d’abord ce diktat de l’information permanente et continue de médias dont la responsabilité est de plus en plus discontinue, voire totalement absente. Sans aucun discernement, mise à distance et remise en perspective, médias et réseaux numériques (qui n’ont rien de sociaux), livrent leurs subjectivités partielles et partiales : j’aime/j’aime pas, dans une inflation « d’émotions et d’impatience ». Ajoutons l’arrogance, proportionnelle à l’ignorance qui caractérise désormais la profession de « journaliste » !!!

Exemple emblématique : la Libye en 2011 avec l’opération Harmattan. « A l’époque, franchement je ne la sentais pas bien… » se souvient le général. « Au départ, il s’agissait de faire uniquement de l’humanitaire, de protéger les populations, et puis les buts ont changé, et on en a profité pour faire disparaître Kadhafi. Alors, on s’est trouvé pris dans un engrenage et puis on est parti le plus vite possible en laissant derrière nous le chaos… » De cette séquence dont on peut mesurer quotidiennement les désastres (en matière de terrorisme et de flux migratoires), qui se sont propagés à l’ensemble de la bande sahélo-saharienne – se déversant en Méditerranée pour se propager à l’ensemble des pays européens -, le général Bentégeat relève, identifie et codifie un « cycle infernal » ayant happé nombre d’OPEX : « émotion, intervention, lassitude, retrait ». On pourrait ajouter la déglingue de l’expertise, de l’élaboration et la diffusion des savoirs et, bien-sûr, la disparition croissante, sinon l’implosion du courage politique et de l’honneur ! Oui l’honneur, sans lequel aucun pays n’a de véritable avenir…

Alors comment éviter que ne se répètent ce genre d’égarements et de syndromes afghan et libyen ? Réponse du général Henri Bentégeat qui dirigea aussi le Comité militaire de l’Union européenne entre 2006 et 2009 : « d’abord, que les pays européens se donnent les capacités d’agir avec les moyens nécessaire ». Ce n’est pas gagné ! Mais, « c’est possible, même si le retrait de la Grande Bretagne est très dommageable », ajoute-t-il en citant les « pays qui bougent, comme l’Allemagne ». A voir…

Pour les armées françaises – « parmi les meilleures du monde » -, nous restons confrontés aux défis du suremploi et de l’obsolescence. Mais le cap est parfaitement clair, affirme Henri Bentégeat : « tenir, tenir en attendant qu’arrivent les crédits nécessaires et en apportant une extrême attention aux hommes et aux femmes qui vivent un rythme infernal depuis plusieurs années ». Cette évidence, qui s’imposera au prochain président de la République, est susceptible – si elle est sérieusement prise en compte – de porter et de développer plusieurs axes de croissance très prometteurs.

Dans cette perspective d’avenir – comme nous avons eu déjà l’occasion de l’écrire à plusieurs reprises – il serait grand temps de mettre en chantier le deuxième porte-avions français, en ayant bien conscience, qu’au-delà du coût, ce chantier représente et rapporte nombre d’emplois industriels, de sous-traitances et de lignes de recherches scientifiques et technologiques d’importances vitales, notamment dans la filière aérospatiale, pour ne citer que ce domaine d’excellence… Encore un effort, camarades candidats : pensez à l’avenir de la France et à celui de ses enfants !

Richard Labévière       

 

 

[1] Le Figaro, mardi 4 avril 2017.