Les SMP
« Sociétés Militaires Privées»
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David Hornus (*)
Expert en sécurité et défense
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Le putsch avorté des miliciens russes de « Wagner » a propulsé de manière spectaculaire la question des sociétés militaires privées sur le devant de la scène. L’auteur, un professionnel de la sécurité, constate la multiplication rapide de ces sociétés et s’étonne de l’absence presque totale de la France dans ce secteur, face à un contexte géopolitique en pleine mutation.
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Si l’appellation SMP (Société militaire privée) est entrée dans le langage courant, cette terminologie ne saurait plus être utilisée aujourd’hui. Tout d’abord, elle entretient une confusion et un amalgame dans l’esprit du grand public en mettant en confrontation deux termes que tout oppose : militaire et privé. Ensuite, elle ne correspond à aucune réalité juridique. Enfin, elle nie les mécanismes de régulation de cette activité de services, jetant qui plus est l’opprobre sur tout un secteur économique.
Aujourd’hui, la France a adopté le terme d’ESSD (Entreprise de Sécurité et de Service de Défense), qui semble plus en adéquation avec la réalité des services proposés par les quelques acteurs français revendiquant cette appellation. Elle permet de comprendre que des sociétés privées font aujourd’hui commerce de l’expertise d’anciens « militaires » dans le cadre de prestations de service de sécurité ou de sûreté, qui peuvent parfois intervenir dans un contexte « chaud » ou en zones de combat. C’est le cas des ESSD françaises en charge de la sécurité des emprises diplomatiques en Irak, en Afghanistan ou Libye par exemple, tels Amarante International et Geos. D’autres, comme Themiis ou Corpguard, ont pu, dans le cadre de relations contractuelles privé/public, assurer des formations militaires très encadrées sur les plan juridique et législatif (autorisation d’export auprès de la DGA, demande de classement, fiscalisation du contrat en France, paiement des collaborateurs en France via des contrats de droit français …).
Une émergence exponentielle
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En septembre 2021, on pouvait lire dans u article de référence : « …À part le cas de Wagner group, il ne semble pas aujourd’hui se profiler, contrairement à certains phantasmes, une émergence exponentielle de « SMP » actives sur les champs de batailles. Cette déclaration est désormais caduque, contredite par l’apparition de plusieurs « milices » ou armées privées, telle l’éphémère « Groupe Mozart » américain, ou l’entité russe « Groupe Patriot » du ministre de la défense Serguei Choigu.
Selon Jean-Marc Four, de France info, ce sont au moins 27 armées privées qui auraient vu le jour en Russie. En plus du groupe Wagner et de ses quelque 50 000 hommes sous la houlette d’Evgueni Prigojine, il faut désormais compter avec le groupe du tchétchène Ramzan Kadyrov estimé à 12 000 hommes. Le patriarche orthodoxe Kirill a, quant à lui, donné sa bénédiction à une unité religieuse : « la Croix de Saint-André ». On peut également citer « le bataillon Sparta », « le corps slave », « l’unité cosaque », avec à chaque fois quelques milliers d’hommes. Près de 11 de ces 27 milices combattent en Ukraine.
Début février 2023, Gazprom annonçait qu’elle était autorisée à se doter de sa « Compagnie Militaire Privée ». L’apparition d’acteurs de guerre non-étatiques, intervenant en zones complexes ou post-conflictuelles, semble un phénomène qui tend à se généraliser … et pas seulement à « l’Est ». L’action de la société turque SADAT, dont la présence a été observée en Syrie, en Libye et au Kahraba, vient confirmer le processus. On a aussi vu la société de sécurité privée « Dyck Advisoty Group », de l’ancien colonel sud-africain Lionel Dyck, intervenir lors des évènements au Cabo Delgado en avril 2021.
L’analyse du phénomène doit aussi adapter sa grille de lecture au cas particulier des sociétés de sécurité « privées » chinoises et de la très forte influence, pour ne pas dire plus, du gouvernement dans leur activités.
Des « ESSD » françaises
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Si la culture anglo-saxonne, et notamment américaine, est particulièrement favorable à la dynamique libérale d’externalisation (outsourcing) de services de défense, il n’en est pas de même dans la vieille Europe et en France. Il n’est qu’à comparer le nombre d’entreprises de sécurité privée anglo-saxonnes et françaises accomplissant des prestations de défense en zone complexe pour s’en rendre compte.
Selon le colonel Peer de Jong, le corporatisme des ministères de la Défense et de l’Intérieur est le principal obstacle à l’émergence d’ESSD françaises. Ceux-ci considèrent que les ESSD mordent sur leurs prérogatives régaliennes…
L’argument est recevable, mais reste faible tant que le domaine d’intervention des ESSD ne concerne que des prestations de formation, d’appui et de soutien (en particulier logistique).
Ce corporatisme est également présent au travers de Défense Conseil international (DCI), opérateur parapublic, qui intervient en appui des contrats de vente d’arme et assure depuis plusieurs années la formation des Forces Spéciales saoudiennes à Tabouk et pourrait être considéré comme l’unique ESSD française. DCI occupe certes une partie du spectre des ESSD dans le domaine de la formation, mais uniquement vers des pays considérés comme des partenaires de la France et plutôt en accompagnement de grands contrats d’armement.
Ainsi, depuis plus de 20 ans, la France n’a pas su se doter d’un écosystème d’Entreprises de Sécurité et de Services de Défense capable de contribuer à la défense et à la promotion de ses intérêts régaliens, de participer à la reconversion de ses anciens militaires et de rivaliser avec les entreprises anglo-saxonnes du secteur.
Pourtant, nos entreprises ont du talent et peuvent faire des choses dans le respect du cadre légal et des standards internationaux. Nous en voulons pour preuve qu’entre 2015 et fin 2017, la société Corpguard a obtenu consécutivement deux contrats dans le cadre d’un partenariat public/privé avec le ministère de la Défense de la République de Côte d’Ivoire.
Corpguard en Côte d’Ivoire
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Le premier contrat consistait à diligenter un audit de sécurité sur l’ensemble de sites sensibles, soit les armureries et soutes à munitions de la moitié sud du pays. Le deuxième, de bien plus grande envergure (6,8 M€) visait à doter la République de Côte d’Ivoire, d’un outil militaire lui permettant d’agir comme élément stabilisateur dans la sous-Région et de devenir un pays contributeur aux opérations de maintien de la Paix.
À cet effet, une proposition d’accompagnement destinée à la formation de trois bataillons « projetable » fut présentée aux autorités qui, en 2016, ont validé la formation d’un premier bataillon pilote. La société Corpguard obtint même une autorisation de la DGA pour former sur place, pendant plus de 10 mois, ce bataillon (soit environ un millier d’hommes) aux opérations de maintien de la paix. Jusqu’à 21 consultants, tous anciens officiers ou sous-officiers, se sont ainsi déployés afin d’assurer la formation des quatre unités élémentaires du bataillon.
À l’issue de cette formation, le bataillon a bien été projeté au Mali dans le cadre de la MINUSMA (Mission Multidimensionnelle Intégrée des Nations Unies pour la Stabilisation au Mali). Le contrat relevait du droit français. Il était fiscalisé en France. Les consultants ont tous eu un contrat de prestataire de droit français et ont été payés en France.
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Avant sa mise en œuvre et dans le cadre de nos processus internes, une étude de faisabilité et une étude du risque avaient été diligentées. Les prestataires étaient formés et sensibilisés aux risques d’atteintes au droit de l’homme et au droit humanitaire, aux abus et violences sexuels, à l’esclavagisme moderne … Tous ont signé une charte d’éthique rappelant les règles de bon comportement et rappelant les sanctions auxquelles ils s’exposaient en cas de manquement.
Par ailleurs, en bonne intelligence et dans un esprit de coopération, des contacts avaient été pris avec les autorités françaises afin de s’assurer qu’il n’existait aucune contre-indication à la mise en œuvre de cette prestation qui s’inscrivait dans une démarche de patriotisme économique et de promotion des intérêts français.
En mars 2017, un deuxième contrat portant sur la formation d’un deuxième bataillon était signé par le ministre de l’époque. Malheureusement, à ce jour, et pour des raisons qui restent inconnues, ce contrat ne s’est jamais concrétisé. Selon la lettre confidentiel « Africaintelligence », il semblerait que les autorités militaires françaises voyaient d’un mauvais œil l’intervention de la société Corpguard au profit de la République de la Côte d’Ivoire.
Il apparaît, cependant, qu’un deuxième bataillon « maintien de la Paix » a bien été formé par la société américaine Engility, une société du groupe Sincerus global.
En mai 2020, l’action de formation de Corpguard au profit de la RCI était citée en référence dans le rapport « Évolutions et défis du maintien de la paix dans l’espace francophone » de l’Observatoire Boutros-Ghali du maintien de la paix.
Régulation et gouvernance
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Alors que différentes entités internationales occupent désormais le théâtre des opérations de guerre ou de post-conflit, les entreprises françaises, capables, dans le respect des normes et des standards internationaux d’offrir des prestations de sécurité et de défense non combattantes, sont absentes. Ce qui laisse ainsi le champ libre à d’autres acteurs dont le niveau d’éthique et de gouvernance n’est pas au niveau de celui que l’on est en droit d’attendre, et que nos entreprises françaises sont en mesure de proposer.
Nous laissons ainsi l’opportunité à d’autres acteurs étatiques d’intervenir. Dans un contexte de guerre économique, ceux-ci n’ont aucun scrupule à promouvoir leurs intérêts de puissance au détriment des nôtres.
Depuis plus de 20 ans, la France tergiverse sur l’externalisation de certaines prérogatives régaliennes au profit de structures privées. Cela permettrait pourtant à l’État de se concentrer sur les questions majeures et de laisser à d’autres des prestations « secondaires » loin du champ de bataille.
Le cadre de gouvernance internationale existe, même s’il est, certes, perfectible. Malheureusement, la France n’a pas rejoint l’initiative du Code de Conduite international créé en 2009 par les acteurs de l’industrie de sécurité privée, à l’initiative de cette démarche de gouvernance et de régulation. Sept pays contributeurs sont aujourd’hui en soutien de cette initiative portée par la Fédération Helvétique : Suisse, Suède, Norvège, USA, Canada, Australie, Royaume Uni).
Seules, deux entreprises françaises (sur 249) revendiquent la mise en conformité de leur gouvernance aux standards internationaux. Elles sont ainsi titulaires de la certification ISO 18788 et membres certifiés : il s’agit d’Amarante international et de Corpguard. Une troisième, Géos, est membre affiliée.
En ne s’inscrivant pas dans cette dynamique initiée par le gouvernement suisse, la France laisse le champ libre à d’autres intérêts qui vont bâtir le cadre d’une gouvernance sans que nous puissions avoir notre mot à dire. C’est à l’évidence très dommageable et une erreur stratégique majeure.
En 2003, il y a 20 ans, on pouvait lire sur le site infoguerre.com : « dans le but de se concentrer uniquement sur leurs missions opérationnelles … les forces armées françaises vont devoir privatiser un certain nombre de fonctions de défense non combattantes (à l’image de ce qui se passe aux Etats-Unis et en Grande Bretagne). À terme, des Sociétés Militaires Privées pourraient soulager les forces armées françaises de certaines missions vitales mais non combattantes et garantir, grâce à l’emploi d’anciens militaires ou policiers, la continuité dans la qualité des prestations fournies »
Depuis 20 ans, rien n’a bougé. Face à nous, pourtant, de Wagner à Mozart, un orchestre symphonique fourbit ses instruments, ses armes et grignote notre pré-carré dans une guerre militaire, économique et de l’information, dont nous subissons sans cesse les effets.
Alors que la guerre de haute intensité est à nos portes, que nous avons subi sur notre sol, en dix ans, les pires attentats terroristes, qu’une guerre perlée du faible ou fort nous est livrée presque quotidiennement, que nous approchons de la Coupe du monde de rugby, des JO de Paris 2024 (il manque d’ailleurs 20 000 agents de sécurité privée), que nos zones d’influence et d’échanges traditionnelles sont remises en question et se réduisent comme peau de chagrin ; qu’attendons-nous pour réagir ?
Confrontés aux enjeux sécuritaires (séparatisme, crime organisé, trafics, crise migratoire, énergétique, sanitaire, climatique, sociale…), et à l’aube de grands évènements sportifs, il est urgent de mettre en œuvre le continuum de sécurité qui permettra, en bonne gouvernance, à tous les acteurs d’assurer, conjointement, sur notre territoire et dans nos zones de développement économiques, notre sécurité globale.
Nous avons, je le crains, beaucoup de retard à rattraper. Nous réfléchissons comme Gamelin, alors que c’est la pensée de Foch qui devrait nous inspirer.
(*) David HORNUS, membre fondateur de Secopex (2003/2006), a fondé Corpguard en 2006. Il dirige aujourd’hui Vigilantis, un cabinet spécialisé dans la sécurité économique. Pendant trois ans (2019/2022), il a été élu au poste Directeur Europe-UK pour l’industrie de sécurité privé de ICoCA qu’il a rejoint dès sa création en 2009. La société Corpguard a été la 4ème société française certifiée ISO 18788 en 2018. Il est l’auteur de Danger Zone (présenté dans le numéro 197 du 23 septembre 2022), un ouvrage dans lequel il revient sur son parcours et sur les missions de sécurité et de défense auxquelles il a contribué. |
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