Les effets d’une hausse du SMIC.

Alexandre Mirlicourtois (*)
Directeur de la conjoncture et de la prévision – Xerficanal

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La question de la hausse du SMIC est au cœur des débats politiques et économiques, au moment où peine à se dessiner un nouveau gouvernement, en France. L’auteur fait le point sur ce sujet économico-social particulièrement sensible, sachant que la paupérisation d’une partie de la population et les inégalités se sont accrues…
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Porter le SMIC à 1 600 euros nets pour booster le pouvoir d’achat, la consommation, la croissance et réduire les inégalités salariales. Cette proposition du Nouveau Front Populaire divise, car pour certains, il s’agit plus d’une machine à briser l’activité, casser les entreprises et détruire les emplois. Il faut revenir sur le postulat de départ. Les effets en chaîne espérés d’une forte augmentation du salaire minimum passent évidemment par un coup de fouet au pouvoir d’achat des salariés les moins payés, ceux qui dépensent la majorité de leur revenu. Petit bémol cependant, l’expérience montre que la réduction des inégalités salariales ne s’explique pas uniquement par la forte augmentation des rémunérations des employés proches du salaire minimum, mais aussi par la pression mise par les employeurs sur les rémunérations des salariés les mieux payés pour éviter une trop grande dérive de la masse salariale. Bref, l’écrasement de la hiérarchie des salaires fait aussi des victimes.

Financer l’aggravation du déficit extérieur

Globalement, toutefois, le choc de la demande est positif : la consommation accélère. C’est bon pour les rentrées de TVA. C’est bon aussi pour l’ensemble des activités BtoC (commerçants, services aux ménages, etc.) et de leurs fournisseurs. De quoi donner un nouvel élan à la croissance, donc à l’emploi. Plus d’emplois, c’est plus de croissance. La boucle vertueuse se referme, avec de surcroît mécaniquement plus d’impôts sur le revenu, d’IS et de cotisations sociales, et finalement une amélioration des finances publiques. CQFD.

Le premier grain de sable se situe au niveau des fournisseurs de leurs origines. Pas de problème du côté de la consommation de services. Ces activités sont produites à 90% par des résidents, même si elles peuvent mobiliser des composants étrangers (un restaurant français utilisant de l’agneau néozélandais par exemple). En revanche, plus de 85% des biens fabriqués consommés par les Français sont eux importés. De surcroît, le contenu en importations de la consommation est plus intense pour les bas revenus. Avec la hausse du SMIC, il faut donc s’attendre à une aggravation du déficit extérieur, déficit qu’il faut bien financer.

 

La hausse du coût du travail butte sur la stagnation de la productivité


Deuxième écueil, le schéma présenté n’intègre pas les conséquences du choc d’offre défavorable aux entreprises, c’est l’aspect gonflement du coût du travail. Il pourrait être absorbé par un bond spectaculaire de la productivité, mais toutes les dernières enquêtes montrent au contraire une tendance à sa stagnation, voire sa dégradation en France. L’alternative pour les entreprises est alors soit d’augmenter les prix. C’est envisageable pour les sociétés de services dont les activités ne sont pas en concurrence frontale avec l’extérieur mais cela réduit l’effet de relance attendu de la consommation. Soit pour les autres de comprimer les marges.

Mais c’est entrer là dans un jeu mortifère. Les grands groupes disposent certainement de la latitude pour le faire, mais ils ont aussi le choix de la délocalisation, en particulier ceux opérant dans des secteurs à forte intensité de main-d’œuvre. Pour les autres, deux cas de figures se présentent. Soit il s’agit d’entreprises intervenant dans des secteurs à faibles marges et soumis à la concurrence étrangère, dans ce cas, le risque est bien celui d’une avalanche de défaillances dans un contexte où elles sont déjà en forte progression. Soit elles disposent de quelques degrés de liberté, mais il ne faut pas perdre de vue que les marges servent à embaucher, à investir, c’est donc l’avenir qui est en partie sacrifié.


Des effets défavorables sur l’emploi et les finances publiques


Une chose est sûre, l’emploi en fera les frais. Tout le monde a sorti sa calculette et dans ce jeu de poker-menteur, les estimations vont de 29 à 500 000 destructions. D’anciens travaux estiment à 15 000 postes supprimés par point de pourcentage de hausse du SMIC, soit environ 180 000 destructions pour un SMIC porté à 1 600 euros, de quoi peser sur la croissance et les rentrées fiscales et sociales. C’est même la double peine pour les finances publiques. La forte augmentation du salaire minimum fait ipso facto tomber les rémunérations situées dans sa périphérie supérieure dans la catégorie ouvrant droit aux plus fortes exonérations de cotisations sociales compte tenu du profil dégressif de ces dernières.

À la suite des accords de Grenelle en 1968, le salaire minimum avait bondi de 35% et ouvert une période faste de croissance… mais l’économie française était alors peu ouverte sur l’extérieur et la Chine ne s’était pas encore éveillée. Autre temps, autres mœurs, il faudra trouver d’autres instruments pour relancer le pouvoir d’achat des plus modestes.

Vidéo publiée le 22 juillet 2024 sur le site XerfiCanal, pour la visionner cliquez ICI

 


(*) Alexandre Mirlicourtois, directeur de la conjoncture et de la prévision du groupe Xerfi depuis 2006, est en charge de la direction économique et quantitative des études sectorielles et responsable des scénarios macro-économiques. Il est également responsable de la lettre de conjoncture Xerfi-Previsis.