ARABIE SAOUDITE :
LE MONDE IDIO DE DONALD TRUMP !


Richard Labévière 

En novembre 2015, prochemoyen-orient.ch nous souhaitait la Bienvenue dans le monde VUCA. Selon les stratèges du Pentagone, notre monde serait devenu VUCA, acronyme pour Volatility, Uncertainty, Complexity, Ambiguity. Avec la tournée proche et moyen-orientale du président américain Donald Trump et tout particulièrement lors de son escale en Arabie saoudite, le 20 mai dernier, nous avons atteint les sommets d’un monde encore plus désopilant : un monde IDIO, acronyme pour incohérent, dangereux, immonde, obscène.

Incohérent : Donald Trump n’a cessé de répéter que sa tournée proche et moyen-orientale était animée par sa volonté de recherche de la paix. Pour ce faire, la Maison blanche a triomphalement annoncé 110 milliards de ventes d’armes…! Ce montant représente plus de trois fois les exportations d’armement américaines réalisées en 2016, qui avaient atteint 33,6 milliards de dollars selon la DSCA (Defense Security Cooperation Agency), ou sept fois les exportations d’armement françaises en 2015, année exceptionnelle avec 16,9 milliards d’euros de commandes. Selon le Secrétariat d’Etat, ces ventes concernent des chars, des hélicoptères, des frégates, des patrouilleurs, des pièces d’artillerie, des systèmes de missiles et de commande-contrôle, mais aussi la formation, l’entraînement associés et la maintenance.

Gonflé pour des raisons d’affichage et de communication, le chiffre englobe d’anciennes annonces et nombre d’accords de principe. Même en comptant très large (1,15 milliard de dollars de chars Abrams, 11 milliards de dollars de frégates et d’équipements associés, 3,5 milliards de dollars de Chinook, 5,4 milliards de dollars de missiles Patriot…), on n’arrive pas à dépasser 40 milliards de dollars d’équipements et services associés, dont une bonne partie sous forme de lettres d’intention, encore soumises à l’approbation du Congrès. Mais c’est déjà colossal et parfaitement disproportionné pour une région déjà surarmée en proie à de nombreux conflits. Parmi les vraies nouveautés figure la vente du système antimissiles THAAD (Terminal High Altitude Area Defense) de Lockheed Martin, un système déjà vendu aux Emirats Arabes Unis et en cours d’installation en Corée du Sud.

Sur le plan de l’incohérence encore, on ne peut pas ne pas souligner que Donald Trump en campagne avait affirmé que « l’Islam nous déteste ». Une fois élu, il avait même suspendu les visas américains pour plusieurs pays musulmans, épargnant, il est vrai, l’Arabie saoudite, partenaire économique essentiel des Etats-Unis. Lancé par le vice-prince héritier Mohammed ben Salmane, le plan Vision-2030, destiné à moderniser et diversifier l’économie saoudienne, a été concocté par McKinsey&Company et sera mis en oeuvre avec l’aide de la même célèbre société de conseil américaine.

Dangereux : même si les Saoudiens ne savent pas toujours se servir correctement du matériel sophistiqué qui leur est livré – certains équipements n’étant parfois même pas déballés (de nos yeux vus lors d’un voyage ministériel avec Dominique de Villepin à Riyad en 2003) -, ces ventes d’armes vont – bien évidemment – nourrir les guerres en cours en Syrie, en Irak, au Yémen, ainsi que la répression menée contre la population majoritairement chi’ite de Bahreïn avec l’aide de Riyad. En matière de recherche de la paix, on fait mieux ! Mais c’est surtout l’appel de Donald Trump à « isoler l’Iran » qui ajoute un danger supplémentaire dans une région dévastée par les conflits.

Devant une cinquantaine de représentants de pays sunnites, dont 37 chefs d’Etat et de gouvernement, le président américain a osé déclarer : « en attendant que le régime iranien montre sa volonté d’être un partenaire dans la paix, toutes les nations dotées d’un sens des responsabilités doivent travailler ensemble pour l’isoler ». Et lui faire la guerre ? Il a aussi accusé l’Iran d’attiser « les feux du conflit sectaire et du terrorisme ». Sur le plan du sectarisme, le mot prête plutôt à sourire, prononcé depuis le sanctuaire du wahhabisme – l’une des doctrines les plus sectaires, réactionnaires, sinon fascisantes de l’Islam – où les femmes n’ont toujours pas le droit de conduire… Sur celui du terrorisme, la déclaration relève encore plus de l’incroyable, comme si on enfermait un diabétique dans une pâtisserie.

Quelques minutes avant le président américain, le roi Salmane s’était lui aussi livré à une attaque en règle contre l’Iran qu’il a qualifié de « fer de lance du terrorisme mondial ». L’un et l’autre n’ont vraiment pas – mais alors vraiment pas – peur d’insulter l’intelligence universelle ! Au-delà du fait que 17 des 19 pirates de l’air – responsables des attentats du 11 septembre 2001 – sont saoudiens ou d’origine saoudienne, chacun a appris depuis lors que la dictature wahhabite finance, soutient et arme l’expansion de l’Islam radical et le terrorisme dans le monde depuis plus de trente ans1.

Quant à « isoler l’Iran »… pas de chance ! Cette déclaration de guerre à peine voilée intervenait au lendemain de la victoire du Président Hassan Rohani, réélu par 57 % des voix contre son rival conservateur, victoire interprétée par la presse comme la consécration de sa politique d’ouverture à l’étranger et son libéralisme mesuré. En effet, ce scrutin du 19 mai 2017 en Iran s’inscrit d’ores et déjà sur les plus belles pages de l’histoire mondiale de la démocratie : campagne électorale pluraliste par voie d’affichages, de meetings et de débats télévisés, scrutin techniquement exemplaire (dans les écoles, les bâtiments publics et les mosquées) avec une participation de plus de 70% des inscrits, publication et reconnaissance des résultats dès le lendemain2. Quel contraste avec les régimes de l’Arabie saoudite et des autres ploutocraties du Golfe : l’élection présidentielle iranienne – qui n’a rien à envier aux modes de fonctionnement des plus vieilles démocraties occidentales – constitue certainement un défi inacceptable pour une bande de bédouins attardés qui se cooptent dans le dos des peuples pour se maintenir au pouvoir…

Immonde : selon le Larousse, l’immonde est considéré comme impur, ou comme contraire à la pureté morale. Qui suscite la répugnance par sa malpropreté, son état d’abandon, sa laideur : un immonde taudis. Qui atteint un degré extrême d’immoralité, de bassesse : intentions immondes. Le qualificatif résume à merveille ce dernier sommet de Riyad qui a ainsi atteint le paroxysme de la novlangue telle qu’elle s’exprime dans le 1984 de George Orwell : « la guerre c’est la paix, la liberté c’est l’esclavage, l’ignorance c’est la force ». Addict des Tweets lapidaires, Donald Trump a déjà imposé au monde une pensée politique binaire des plus simplistes sur le mode des réseaux numériques – j’aime/j’aime pas -, mais à Riyad, il vient de se surpasser, ancrant ainsi l’expression officielle de la première puissance du monde dans l’ère de la post-vérité, des Fake News et autres balivernes consistant à nous prendre …pour des cons !

Lors de sa première conférence de presse depuis sa réélection vendredi pour un second mandat de quatre ans, le président iranien Hassan Rohani a déclaré que « la réunion en Arabie saoudite était un show qui n’a aucune valeur politique ni concrète, l’Arabie saoudite a déjà organisé de tels shows par le passé ». Il a rejeté les accusations de soutien au terrorisme formulées contre l’Iran par Donald Trump et le roi Salmane. « Ceux qui ont lutté contre les terroristes sont les peuples irakien et syrien. Les conseillers militaires iraniens les ont aidés (…) et vont continuer à le faire », a ajouté Hassan Rohani, qui a également défendu le Hezbollah libanais. Depuis plusieurs années, prochetmoyen-orient.ch décrit la réalité du terrain, à savoir que le Hezbollah défend la souveraineté et l’intégrité du territoire libanais. En effet, sans son engagement militaire résolu pour défendre les frontières du Pays du cèdre, cela fait belle lurette que Dae’ch, Jabhat al-Nostra et les autres mercenaires de l’Arabie saoudite auraient pris pied dans la Bekaa, à Tripoli, à Tyr, voire à Beyrouth même !

« Ceux qui ont soutenu les terroristes ne peuvent pas les combattre », a en revanche accusé Hassan Rohani. « je ne pense pas que le peuple américain oubliera le sang versé le 11 Septembre », a-t-il poursuivi ; « vous ne pouvez pas résoudre le problème du terrorisme simplement en donnant à une superpuissance l’argent de votre peuple », a conclu le président iranien. S’adressant directement à Donald Trump. « Sachez que, lorsque nous aurons besoin techniquement de faire des tests de missile, nous le ferons et nous ne demanderons la permission à personne », a par ailleurs rappelé Hassan Rohani : « nos missiles sont pour notre défense et pour la paix, ils ne sont pas [faits] pour agresser ». Il a également dénoncé les erreurs et le manque de connaissance des États-Unis concernant les Proche et Moyen-Orient : « malheureusement, les Américains se trompent toujours concernant notre région : quand ils ont attaqué l’Afghanistan, ils se sont trompés, quand ils ont attaqué l’Irak, ils se sont trompés, quand ils nous ont imposé des sanctions, ils se sont trompés ». Enfin, « ils se sont trompés en Syrie, et si vous connaissez un seul exemple où ils ont agi sans se tromper, dites-le-moi », a-t-il conclu.

Obscène : ce dernier niveau du sommet de Riyad touche encore à l’argent et ses irrépressibles nécessités qui font – plus que jamais – la loi dans une mondialisation dont on voudrait nous persuader qu’elle doit être heureuse… En effet, la contrepartie de ce barnum pathétique est très éclairant : l’Arabie saoudite va investir plus de 100 milliards de dollars aux Etats-Unis, créant autant d’emplois et d’effets multiplicateurs dans les rouages de l’économie américaine. Le summum de l’obscène trumpien – inféoder la recherche de la paix et de la justice, et plus largement tous principes politiques, philosophiques et moraux à la course au fric – n’est ni une nouveauté, ni une surprise.

Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, chacun sait qu’en réalité les Etats-Unis n’ont pas de politique étrangère en tant que telle – pouvant se justifier par des valeurs et des principes -, mais seulement des intérêts, des intérêts sonnants et trébuchants à défendre. Avec le dernier sommet de Riyad, ce cynisme atteint des sommets, d’autant qu’elle fonctionne dans les deux sens – Washington/Riyad et retour. L’obscénité exponentielle veut faire passer cette réalité morbide pour la seule voie possible associant la recherche de la paix et la lutte contre le terrorisme alors que c’est tout l’inverse qu’elle ne manquera pas de produire !

Mais la cerise sur le gâteau, le sommet himalayen du cynisme de Donald Trump est d’avoir osé encore parler/tweeter de « paix » après son entretien d’une trentaine de minutes avec la pape François qui, semble-t-il, lui a bien remonté les bretelles sur le mur mexicain et sur son mépris du réchauffement climatique.

Mais l’obscène – encore – est de voir l’acceptation tacite des pays européens devant une telle mascarade. La chancelière Angela Merkel a précédé Donald Trump en Arabie saoudite de quelques jours. Elle s’est engagé devant le roi Salmane à former en Allemagne… des soldats saoudiens ! Durant la crise de la dette grecque, c’est elle aussi qui, devant le premier ministre Alexis Tsipras et François Hollande, se levait brutalement afin d’interrompre une réunion en s’exclamant : « vite, parce que le marché nous attend… » Quelle vulgarité !

En définitive, avec le dernier sommet de Riyad, triomphe la victoire imposée d’une obscénité globale qui consiste à inféoder toute espèce de pensée et d’action politique au marché, à l’argent qui – en dehors de toutes autres considérations – dicte sa loi aux relations internationales, aux nations et aux peuples, aux femmes, aux hommes, à la terre, à la vie : une honte collective… Cette dernière mascarade Riyad et le monde IDIO de Monsieur Trump resteront dans l’histoire comme une tache – un déshonneur – sur la conscience de l’humanité !

Richard Labéviere



1 Richard Labévière : Les Dollars de la terreur – Les Etats-Unis et les islamistes. Editions grasset, 1998.


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L’Iran consolide son retour – prochetmoyen-orient.ch, numéro 127, lundi 22 mai 2017.