AU-DELÀ DES CLICHES :
GÉOPOLITIQUE DE MONACO !
Richard Labévière
08/01/2018
Ces clichés auraient pu être le sujet de l’une des Mythologies de Roland Barthes : d’une manière générale, les journalistes ont immédiatement la dent dure dès qu’il s’agit de Monaco, bien davantage qu’à l’encontre de n’importe quelle autre destination ou objet d’investigation. Les critiques fusent d’autant plus aisément que la Principauté est étroitement associée à la France. Elles ciblent automatiquement ses péripéties princières et ses facilités fiscales, tandis qu’elles épargnent les paradis fiscaux et places off-shore de la planète entière dont la majorité sont sous pavillons américain ou britannique.
En deçà de toute histoire et en omettant les activités internationales de la Principauté, il s’agit d’essentialiser le Rocher pour en faire une robinsonnade princière – par nature -, une espèce de repoussoir, sinon d’alibi aux malversations financières les plus voyantes de la mondialisation contemporaine. Il y a bien, de temps en temps, quelques Panama ou Paradise Papers, inspirés par d’opaques lanceurs d’alertes sur lesquels il faudrait s’interroger sérieusement comme le fait l’excellent juriste Frédéric Delorca1. Il nous rappelle que derrière les indignations financières sélectives se dissimulent souvent le spéculateur international Georges Soros et d’autres ONGs mondialistes. Par conséquent, d’une manière générale – donc mythologique -, Monaco est ausculté comme une espèce de surmoi salvateur qui rendrait plus admissibles toutes les autres injustices du monde et leurs supports territoriaux comme les Bahamas, les îles Vierges ou les îles Caïman…
A défaut de produire une psychanalyse de la Principauté, faut-il revenir à sa propre histoire et examiner son statut international, comme le faisait Jean Duhamel pour Le Monde diplomatique en 1959. Le statut international de Monaco est essentiellement défini par le traité conclu le 17 juillet 1918 entre la France et Monaco. Par ce traité la principauté de Monaco et le gouvernement de la République française sont placés sur un pied d’égalité. Telle est la stipulation fondamentale. Le traité constate ensuite que les intérêts des deux pays sont liés par la nécessité de la situation géographique de la principauté. Il affirme enfin le désir des deux pays de confirmer, par un acte formel de « mutuelle confiance », « l’amitié protectrice que, selon une heureuse tradition, la principauté a toujours rencontrée auprès du gouvernement français ».
LE PLUS PETIT ETAT DU MONDE
La France garantit l’intégrité du territoire monégasque « comme s’il faisait partie de la France ». Elle s’engage à le défendre, ce qui exclut toute possibilité d’incorporation. De son côté, le gouvernement princier s’engage à exercer ses droits de souveraineté en parfaite conformité avec les intérêts politiques, militaires, navals et économiques de la France. Il est à remarquer que ce traité a été entériné dans l’article 436 du traité de Versailles du 28 juin 1919, ce qui lui donne une portée internationale universelle.
Pour clarifier leurs relations, les deux pays ont été amenés à signer plusieurs conventions particulières, et notamment celle du 10 avril 1922 de voisinage (cette convention est surtout douanière), celle du 5 juin 1925 sur la répression des fraudes fiscales et celle du 14 avril 1945 sur la répression des fraudes fiscales et l’assistance mutuelle administrative. Ces conventions firent, en 1951, l’objet d’une refonte, pour devenir une convention dite de voisinage et d’assistance administrative mutuelle, véritable pacte économique et financier franco-monégasque. Son préambule ne manquait pas de réaffirmer « que les dispositions envisagées, en raison de la situation géographique de la principauté de Monaco, tiennent compte de la structure politique et économique qui lui est propre, de l’amitié traditionnelle et des liens particuliers qui l’unissent à la France dans le respect de sa souveraineté et de son indépendance, etc. ».
Un nouveau traité d’amitié est signé le 24 octobre 2002. Il est destiné à confirmer les rapports de coopération entre la République française et la Principauté de Monaco. Une Commission technique se réunit chaque année. Des relations diplomatiques sont établies entre les deux pays, avec élévation du Consulat de France au rang d’ambassade depuis le 1er janvier 2006.
En 2006, la Principauté de Monaco occupait une superficie de 1,974 km2. Aujourd’hui, elle s’étend sur 2,02 km2, pour partie gagnés sur la mer. Le pays est ainsi le deuxième plus petit État indépendant du monde, après le Vatican. Lors du dernier recensement de 2016, Monaco comptait 37 308 habitants. Ce chiffre total est révisé en fin de chaque année par estimation sur base d’un recensement partiel et de données relatives aux immigrations et acquisitions de nationalité. Avec 19 009 habitants au km2, et une urbanisation qui couvre presque toute sa superficie, c’est le pays le plus densément peuplé au monde.
A cette configuration très atypique, s’ajoutent moult activités internationales, qui se développent tous les jours et qui sont, au surplus, l’une des heureuses conséquences de son indépendance. Face aux crises et aux déchirures suscitées par la mondialisation dans de nombreux pays, Monaco a su jusqu’ici faire respecter sa souveraineté, du fait notamment de la personnalité et de l’engagement de ses dirigeants, qui depuis plus de cent ans se sont mobilisés autour de grands enjeux du monde au nom de valeurs universelles.
Dès le début du XXème siècle, le Prince Albert Ier a ainsi fondé l’Institut International de la Paix, préfiguration des organisations internationales qui verront le jour après les conflits mondiaux, ainsi que l’Institut Océanographique, dédié à la connaissance des mers ou encore le Bureau Hydrographique International qui deviendra l’Organisation Hydrographique Internationale. Quelques décennies plus tard, le Prince Rainier III a contribué à la définition d’accords régionaux pour la protection du milieu marin et a fait passer la Principauté du statut d’observateur à celui de membre à part entière de l’ONU.
OBJECTIFS DE DEVELOPPEMENT DURABLE
Depuis le début de son règne (avril 2005), le Prince Albert II participe activement à toutes les négociations internationales consacrées à l’environnement, aux mers et au climat, et s’investit dans de nombreux projets humanitaires. Il est membre actif du Comité de soutien de l’Organisation mondiale de protection de la nature (WWF) et multiplie les partenariats avec elle, d’autant qu’il lance sa propre fondation dès 2006.
Dans le concert des Nations, Monaco fait ainsi entendre la voix d’un État dont l’influence n’est pas proportionnelle à sa dimension, mais reflète la constance de ses valeurs et son souci de respecter un principe de neutralité active et d’intermédiation, dans les domaines qui ont toujours été portés par ses dirigeants : la paix, les Droits de l’Homme (en particulier des femmes et des enfants), le développement durable et la préservation de l’environnement. Ce sont ces idéaux que Monaco fait entendre dans les enceintes internationales et met en œuvre au travers d’une politique conforme aux principes des Objectifs de Développement Durable (ODD)2, à l’intérieur comme à l’extérieur de ses frontières.
Les efforts de mise en œuvre des ODD constituent un axe prioritaire de l’action gouvernementale monégasque. Toutes les entités gouvernementales ont donc été mobilisées pour viser une réalisation effective du Programme de développement durable à l’horizon 2030. Cette démarche inclusive et exemplaire favorise une appropriation des enjeux de développement durable par les acteurs locaux. Les échanges ainsi suscités ont permis de conjuguer les efforts des différentes parties prenantes – y compris le secteur privé et la société civile – dans la mise en œuvre d’actions, non seulement au niveau national, mais également au niveau international. C’est d’ailleurs dans cet esprit que la Principauté apporte son soutien aux organisations non-gouvernementales locales et internationales.
Placé sous l’autorité du Ministre d’État (Chef de Gouvernement) et piloté par le Département des Relations Extérieures et de la Coopération, un groupe de travail interministériel a été créé, composé d’un référent de chaque département. Ainsi, la Principauté de Monaco se conforme aux indicateurs de suivi des ODD tels que définis par les Nations unies. La méthode est vraiment exemplaire et l’on peut souligner que peu de pays sont aussi impliqués dans la mise en œuvre de tels programmes.
Lors de la conférence sur les océans, qui s’est tenue aux Nations unies à New York du 5 au 9 juin 2017, le Prince Albert II lance un vibrant appel pour « réconcilier l’humanité et la mer » : « Monaco s’est associée, dès son lancement, à la Coalition internationale contre les déchets plastiques, aux côtés notamment de la France et du Maroc. Les sacs plastiques à usage unique y ont été interdits. Les ustensiles de cuisine jetables le seront prochainement. Le tri sélectif, le recyclage, le traitement des eaux avant rejet, les opérations de nettoyage du littoral et les actions de prévention font aussi partie de nos priorités. De même, la Principauté se tient prête à agir en cas d’accidents : des exercices de simulation grandeur nature y sont régulièrement organisés dans le cadre du plan RAMOGEPOL avec nos voisins français et italiens, pour améliorer notre réaction contre les pollutions accidentelles ».
Les autres points importants du discours portent sur la lutte contre le changement climatique. Monaco s’engage à atteindre la neutralité carbone dès 2050, mobilise la communauté internationale sur la question de l’acidification des océans, soutient les travaux du GIEC3 auquel il a commandé un rapport intermédiaire sur les océans et la cryosphère.
DES AIRES MARINES PROTEGEES
La Monaco Blue Initiative a été lancée en 2010 à l’initiative du Prince Albert II. Elle est co-organisée par sa propre fondation, l’Institut Océanographique et la Fondation Albert 1er. Chaque année, ses membres se réunissent afin d’évaluer les données mondiales de la protection des océans. Le 24 juin dernier à Monaco, l’Initiative a connu sa 4ème édition. Plus de soixante décideurs politiques, de grands entrepreneurs et d’experts se sont réunis autour du Prince Albert II pour consolider les bases de notre avenir marin.
Aujourd’hui, mers et océans subissent des dommages humains irréversibles. Ces masses d’eau sont exploitées pour satisfaire des besoins croissants en ressources alimentaires ou énergétiques comme si elles étaient inépuisables. Les hommes pêchent toujours plus loin, plus profond, jusqu’aux confins polaires et ils exploitent toujours plus profond les réserves minérales, augmentant ainsi les risques de catastrophes environnementales.
Le déclin des stocks de thons rouges et de requins est le triste symbole de ce que cette liberté des mers et des océans s’est transformée en pillages, pirateries, voire terrorismes. L’histoire récente a montré la difficulté et la lenteur pour réagir collectivement. Quelques signes d’amélioration sont aujourd’hui constatés pour certaines espèces, qu’il convient d’analyser et de confirmer. Pour mesurer si notre réaction – tardive – s’avère enfin efficace et pour apprécier si nous sommes véritablement capables de prendre conscience des limites des océans et de les gérer en toute connaissance de causes. De nouvelles solutions sont donc à penser, à adopter et à suivre durablement.
Un impératif catégorique : fixer et accepter les limites des mers et des océans pour repenser la pêche dans le contexte d’une ressource limitée à gérer durablement, dans un environnement fragile qu’il faut comprendre et préserver, dans l’intérêt de tous. Il faut installer des programmes d’aquaculture sur les bases solides de la durabilité en gérant les impacts sur le milieu naturel. C’est en fait toute notre relation à la mer qu’il faut revoir en mettant sa préservation au cœur de stratégies et d’actions globales.
La création d’Aires Marines Protégées (AMP), comme projets de développement durable en mer, partagés par l’ensemble des acteurs, peut et doit être au centre de cette nouvelle relation collective à l’environnement marin. Différentes annonces importantes ces dernières années vont dans le bon sens tels que l’engagement d’atteindre un quota d’AMP. Mais derrière les chiffres, il faut aujourd’hui s’assurer des effets concrets sur le terrain et développer le lien entre mesures de protection et gestion des activités marines, deux approches complémentaires qui trop souvent encore s’ignorent. Avec la Fondation du Prince Albert II, le gouvernement de Monaco contribue de manière substantielle aux premiers projets lancés par l’Association pour le financement durable des AMP de Méditerranée.
La liberté d’user et d’abuser de la mer doit céder la place à une vision de long terme, équilibrée, dans laquelle nous profitons des ressources et des bienfaits des océans sans dilapider ce capital naturel essentiel.
NOTRE AVENIR COMMENCE AU LARGE
N’en déplaise aux chasseurs de scoops mondains et financiers, la géopolitique de Monaco est utile et nécessaire. Elle rejoint les intérêts de la France tels qu’ils sont magistralement exposés dans le fameux rapport des sénateurs Jeanny Lorgeoux et André Trillard – Maritimisation : la France face à la nouvelle géopolitique des océans4. L’armature conceptuelle de ce rapport – le plus complet jamais écrit sur cette question vitale – est double, aussi simple que capitale : investir dans une Marine nationale moderne et performante ne concerne pas seulement notre défense et notre sécurité mais ouvre un axe de croissance immense ; il ne suffit pas de se féliciter de posséder le deuxième espace maritime mondial (qui représente quelque 11 millions de kilomètres carrés de Zone Economique exclusive), faut-il encore en faire quelque chose et définir de vraies stratégies maritimes et navales pour la France.
5 juillet 2017, le Prince Albert II passe la nuit en immersion à bord du sous-marin nucléaire d’attaque Saphir5. Après avoir enfilé sa tenue Marine nationale, sertie de ses manchons de capitaine de vaisseau de réserve6, il embarque en pleine mer. Quelques instants de soleil encore, avant que les volets ne se referment sur les entrailles du monstre d’acier. Après l’ouverture des purges pour vider les ballasts de leur air, le sous-marin s’enfonce progressivement avant de disparaitre de la surface.
A bord, le programme est dense. Les 70 marins de l’équipage sont tous attelés à faire avancer le porteur, en toute sécurité. Le contraste est total. Là-haut, la mer, étendue immense et calme. En-bas, l’obscurité, le confinement et l’activité. Le Prince découvre le mode de vie de ces hommes qui passent plusieurs mois par an dans cet espace confiné. Il se familiarise avec les machines, câbles, baies sonars, purges, soupapes et installations complexes qui constituent l’environnement familier du sous-marinier.
Il est 6 heures du matin, « moteur avant 2, 90 tours, 16m – on reprend la vue ». Le sous-marin hisse son périscope d’attaque pour jeter un œil à l’extérieur après avoir été aveugle pendant toute une nuit. Dans un tourbillon bouillonnant, le massif crève le dioptre pour faire surface. La mer est là, tout autour. Notre défense, notre sécurité, notre croissance et notre avenir commencent au large. Comme l’a dit Aristote, « il y a trois sortes d’hommes : les Vivants, les Morts et ceux qui vont sur la mer… »
1 Frédéric Delorca : Les Régimes populistes face au mondialisme – Du coup d’Etat égyptien au soulèvement catalan. Editions du Cygne, novembre 2017.
2 Dix-sept objectifs pour éradiquer la pauvreté, protéger la planète et garantir la prospérité pour tous ont été adopté par l’ONU en 2015. Pour que ces objectifs soient atteints à l’horizon 2030, chacun doit faire sa part : les gouvernements, le secteur privé, la société civile et chaque citoyen.
3 Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) est un organisme intergouvernemental, ouvert à tous les pays membres de l’ONU. Créé en novembre 1988, Il « a pour mission d’évaluer, sans parti-pris et de façon méthodique, claire et objective, les informations d’ordre scientifique, technique et socio-économique qui nous sont nécessaires pour mieux comprendre les risques liés au réchauffement climatique d’origine humaine, cerner plus précisément les conséquences possibles de ce changement et envisager d’éventuelles stratégies d’adaptation et d’atténuation.
4 Maritimisation : la France face à la nouvelle géopolitique des océans. Rapport d’information de MM. Jeanny Lorgeoux et André Trillard, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces arméesn° 674 (2011-2012) – 17 juillet 2012.
5 Cols Bleus, juillet 2017.
6 De septembre 1981 à avril 1982, le Prince effectue son stage à bord du porte-hélicoptères Jeanne d’Arc de la Marine nationale avec le grade d’Enseigne de vaisseau de deuxième classe.