CYBERNÉTIQUE
« EXCURSION » NUMÉRIQUE
par Xavier Raufer (*)
Criminologue français
Nous commençons dans ce numéro cette étude de Xavier Raufer sur le monde de la CYBER-CRIMINALITÉ.
La criminologie parcourt désormais deux univers – distincts mais qui toujours s’observent, se copient et souvent s’entremêlent : le physique et le numérique. Or si la criminalité du monde physique, terrorisme inclus, est vaguement sous contrôle, le chaos numérique est à présent déchaîné. Non-seulement les cyber-attaques d’ampleurs n’entraînent presque jamais de riposte et donc s’amplifient mais, surtout, aucun moyen efficace n’a été conçu pour les contrer. Cela tient notamment à la difficulté pour les États de définir les agressions numériques ainsi que les lignes rouges marquant une déclaration de guerre.
Or en France, cette inquiétante réalité tend à disparaître derrière une autosatisfaction de façade. Dans ses rapports, notre appareil officiel de lutte contre les cyber-menaces semble content de lui mais survole dans ses texte le cœur du problème, , tout comme la récente « Revue Stratégique de cyber-défense » (168 pages, février 2018) qui ne s’intéresse malheureusement guère à l’ennemi (pirate, État hostile, mafieux). A ignorer l’ennemi, comment « construire la paix et la sécurité du cyberespace international » ? Comment « anticiper », « prévenir », « détecter » des attaques, si on ignore QUI regarder et surveiller ; si l’on néglige la NATURE de la cyber-menace ?
Enfin, cet irénisme face aux cyber-bandits affecte toute l’Union européenne (UE), qui veut bien sûr instaurer un marché digital commun à ses pays-membres. Pour le « mois de la cyber-sécurité en Europe » d’octobre 2015, l’organisme dédié de l’UE, l’ENISA (European Union Agency for Network and Information Security) publie une liste de 40 enseignements et diplômes, au total 375 cours différents, dispensés dans la plupart des pays de l’UE. Leurs thèmes ? Là encore, que du calculable (…). On combat des nuées.
PROLOGUE – L’HOMME DE SILICON VALLEY – FRAGILE O COMBIEN [1]
« Sans patrie ni frontières » – étrange retour du rêve du Komintern. Dans le kaléidoscope post-hippie californien de Silicon Valley la bonne vie est sans attaches, mobile, flexible, fluide. Nouveau royaume des élus ? En fait, proies rêvées pour réseaux criminels, pirates, services spéciaux avides de piller cet aimable monde numérique.
DÉMONS ET MERVEILLES DE LA SILICON VALLEY
D’abord ceci : qui a su s’extraire de ce que la phénoménologie nomme « sphère des évidences courantes » est tout, sauf étonné de la domination des « titans du tech' » ci-après dépeinte. Bien au contraire, il s’en est convaincu, notamment en lisant ceci (1966) : « Nous méditons sur le phénomène du gouverner. Le phénomène est justement devenu aujourd’hui, à l’ère de la cybernétique, si fondamental qu’il met en cause et détermine toutes les sciences de la nature et le comportement de l’homme… Que les sciences de la nature et notre vie soient aujourd’hui dominées dans une mesure croissante par la cybernétique n’est pas un hasard, mais est prédéterminé dans l’histoire de la naissance de la science et de la technique moderne« [2].
Dans notre monde un peu éloigné de la philosophie, les institutions, services, coordinations, états-majors, etc., instaurés pour combattre les nuisances numériques adhèrent plutôt à une logique d’ingénieur. Pour l’ingénieur, le cybermonde est dans l’idéal une vertueuse et fiable horloge ; des nuisibles en perturbant les rouages, il faut les réparer pour qu’après, tout aille bien. Or si une roulette du casino est par construction truquée au détriment du joueur, les meilleurs techniciens du monde ne pourront rendre « vertueuse » une machine dont la norme est de tricher.
Exagération ? Non : d’emblée, ces frappants exemples de la vraie nature du GAFA Facebook, les autres (Google Apple, Amazon) ne valant guère mieux : à ses débuts, un journaliste demande à Mark Zuckerberg, PDG de Facebook, pourquoi le public lui confierait toutes ses données privées. Limpide réponse du libertarien assumé Zuckerberg « They trust me – dumb fucks » (« les pauvres cons me font confiance »), début 2018, sur Facebook, un expert découvre quelque 120 forums et groupes de discussion (± 300 000 – bien, trois cent mille – participants au total) consacrés au cyber-crime, au piratage, proposant à tout un chacun des logiciels et outils d’intrusion ou de vol numérique ; au vu et au su de tout le monde. Pourquoi se planquer sur le Dark Web ? Facebook est si accueillant…
Les formidables titans du net ont une idéologie et une pratique de pirates : là est le fondement de toute la cyber-criminologie. Commençons donc par là notre étude, en incitant nos lecteurs à bien ouvrir les yeux.
DES TITANS DU TECHNO-CAPITALISME, PLUS PUISSANTS QUE DES ETATS-NATIONS
Du seul fait des GAFA, la bourse américaine est en croissance continue depuis désormais 9 ans. De janvier à juin 2018, 50% des profits réalisés par les entreprises de l’indice Standard & Poors 500 proviennent de Facebook, Alphabet (Google), Apple, Amazon et Netflix.
Amazon avait 17 000 salariés en 2007, 542 000 en 2017 ; la MOITIÉ de tout le e-commerce mondial passe par ses méga-serveurs. Apple et Google fournissent le software (logiciels, applications, etc.) de 99% des smartphones du monde. Google détient 81% du marché mondial des moteurs de recherche sur Internet. Sur tout dollar de publicité en ligne, Facebook et Google en raflent 59 cents. Ces deux sociétés captent par ailleurs 63% de la publicité digitale diffusée aux Etats-Unis. Croissance du chiffre d’affaires de la publicité digitale en 2017 : 89% au profit des deux mêmes.
LA GAFA-IDÉOLOGIE : CELLE DU RENARD DANS LE POULAILLER
Une récente étude (NYTi – 18/10/2017, cf. sources) révèle les opinions politiques de 600 influents patrons et hauts cadres du high-tech américain (1/3, de la Silicon Valley & environs). S’ils sont massivement libertaires, pour une dérégulation absolue et une immigration totalement libre (besoin d’esclaves à bon marché…), ils sont aussi hostiles à tout contrôle étatique et pour le licenciement sans limite. Le sociétal ne leur coûtant rien, ces sommités en suivent ardemment toutes les modes : stupéfiants et avortements libres, glorification LGBT etc.
Néanmoins, côté business ces patrons et hauts cadres du high-tech sont nettement moins sympa-progressistes. Chacun des deux milliards d’usagers Facebook possède sa propre fiche (race, sexe, revenu, pratique religieuse…) dont les données sont vendues à des fins publicitaires. Ces intrusives « Ad Preferences » rapportent à Facebook de un à trois milliards de dollars chaque trimestre. Toutes ces données privées extorquées dotent les GAFA de la plus formidable concentration de pouvoirs coercitifs de l’histoire du monde.
L’INCESTE DES « LIBERTAIRES » GAFA AVEC LE PENTAGONE, LA CIA, ETC.
Amazon a créé le cloud de la communauté américaine du renseignement ; Microsoft a suscité le cloud « Azure Government Secrets » (à usage du gouvernement fédéral, des Etats, du Pentagone, etc.) ; Google pilote le projet d’intelligence artificielle du Pentagone, etc. Quel comique a dit « neutralité du Net » ?
UNE POIGNE DE FER SUR LES MEDIAS ET L’INFORMATION PLANÉTAIRE
Facebook est le vrai « rédacteur en chef de la Terre » : 45% des Américains s’informent sur cette plateforme, 70%, sur Facebook et Google, deux entreprises privées contrôlant ainsi le paysage informatif de milliards de terriens. Une preuve de plus de la justesse du jugement de Karl Marx & Friedrich Engels (L’idéologie allemande, Ed. sociales, Paris 1962) : « Les pensées de la classe dominante sont aussi les pensées dominantes de chaque époque ; autrement dit, la classe qui est la puissance matérielle dominante de la société, en est aussi la puissance dominante spirituelle« [3].
DERRIÈRE LES MIRAGES DU NEO MONDE, DE CLASSIQUES TURPITUDES
Les techno-titans du jour agissent comme les bons vieux capitalistes d’hier : aliénation du personnel par voie d’ingénierie sociale ; faveurs sexuelles extorquées par chantage à l’emploi ou au fric ; ignorance des filous et escrocs de son genre.
- La Silicon Valley fait « suer le burnous » – (NYTi – 6/09/2017 – cf. sources) le monde de la tech fait l’apostolat de l’addiction au travail… Le Burnout suicidaire, expérience extatique… T Shirt populaire à Silicon Valley : « 9 to 5 is for losers« . Marche ou crève – quelle importance ? Des milliers de juvéniles gogos affluent chaque année dans la Valley. La propagande y pourvoit.
- Puritanisme et « diversité », pour la galerie – En surface, les élites de Silicon Valley adhèrent à toutes les inclusives « valeurs » du jour : droits des LGBT (etc.), « diversité », antiracisme, féminisme, véganisme, etc. Sous la pudibonde surface de la Silicon Valley, de récentes enquêtes dévoilent la culture de la partouze imprégnant ces Boy’s Clubs. Le week-end, ces titans « invitent » leurs employées, ou celles de start-up adjacentes, à des soirées sexe-drogues-pouvoir dans de discrètes villas ou suites d’hôtels. Comment refuser des « invitations » lancées par qui régit votre avenir ? Quel public enfin, pour ces secrètes orgies ? Deux fois plus de jeunes femmes que d’hommes mûrs – tous blancs-hétérosexuels. La « Diversité », c’est pour la revue de presse.
- Cyber-arnaques, arnaques quand même – Juvénile self-made-woman, Elisabeth Holmes avait fondé et dirigeait la start-up Theranos, vouée à révolutionner les tests sanguins. Permettant des centaines de millions d’économies aux systèmes de santé américains. Le banc-de-sardines médiatique s’embrase : couverture de Fortune Magazine… de Forbes… du Time… Coqueluche des médias ! Henry Kissinger au conseil de Theranos ! Des fonds de capital-risque déversent 900 millions de dollars sur la start-up-miracle. Tout était faux. Silicon Valley, médias, investisseurs, clients – tous bernés. A l’ancienne.
(*) Xavier Raufer Criminologue français, Directeur des études au Département de recherches sur les menaces criminelles contemporaines à l’Université Paris II.
Xavier Raufer écrit régulièrement dans http://www.atlantico.fr/
La semaine prochaine nous présenterons la suite de cette étude sur la CYBER-CRIMINALITE dans le monde, avec le cas de la France
[1] Lire d’urgence le splendide « Beyond the map, Unruly enclaves, ghostly places, emerging lands and our search for new utopias » Alastair Bonnett – University of Chicago Press – 2018.
[2] Martin Heidegger (avec Eugen Fink) Séminaire « Héraclite »,hiver 1966-1967, Gallimard, 1973.
[3] K. Marx et F. Engels disent aussi dans le Manifeste du parti communiste (1847) : « Que démontre l’histoire des idées, si ce n’est que la production intellectuelle se transforme avec la production matérielle ? Les idées dominantes d’une époque n’ont jamais été que les idées de la classe dominante ».
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