POUR UNE EUROPE FINANCIERE SOUVERAINE :
DU RÉSEAU SWIFT AU RESEAU TARGET 3 ET …SUIVANT !
Par Jean-Pierre Arrignon,
Professeur des Universités
Alors qu’approchent les élections européennes, nombreux sont les Européens qui doutent de l’Union européenne (UE) absente en politique extérieure, incapable de s’opposer aux sanctions américaines qui affectent directement nos entreprises et profondément divisée face à l’immigration !
Nous n’aborderons pas tous les problèmes mais nous exposerons une des raisons majeures de la vassalité de l’Europe face à la stratégie hégémonique des Etats-Unis dans le domaine monétaire et financier.
La Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication (SWIFT) a été fondée à Bruxelles en 1973 afin d’établir un processus commun et standardisé pour les transactions financières. Cette société, SWIFT, fournit un réseau sécurisé utilisé par plus de 10000 institutions financières réparties dans 212 pays capables d’envoyer et de recevoir toutes informations sur les transactions financières effectuées entre elles. La majorité des utilisateurs du réseau SWIFT sont les banques mais aussi les organisations de trading et les courtiers en bourse et valeurs immobilières.
Ce réseau ne transfert pas de fonds, mais envoie des ordres de paiement entre les différents comptes des institutions en utilisant les codes SWIFT, dont les plus connus sont le code IBAN (n° de compte en banque international) et code BIC (carte d’identification bancaire).
SWIFT identifie rapidement une banque et peut y envoyer un paiement de manière sécurisée.
Ce réseau a été exploité secrètement et sans base juridique par les Etats Unis depuis 2001 ; il l’est officiellement depuis le 1 août 2010 après un accord avec l’Union européenne : le Traité international « Accord SWIFT ». Cet accord est le résultat d’une révélation faite par le New York Times du 23 juin 2006 révélant que les Etats-Unis exploitaient les données du réseau SWIFT pour espionner les transactions internationales dans le cadre de leur programme de lutte contre le terrorisme depuis les attentats du 11 septembre 2001. La société SWIFT communiquait à la CIA et au Département du Trésor américain les données concernant des millions de transactions bancaires en violation des législations belge et européenne concernant la protection des données personnelles.
Le 6 juillet 2006, le Parlement européen adopte une résolution qui demande le respect de la protection des données personnelles (Dir. 95/46/CE). Le 22 novembre 2006, le Groupe de coordination des autorités de protection des données de l’Union européenne (le G29) met en cause la société SWIFT, les banques centrales européennes et les Etats-Unis qui n’ont pas respecté le droit international concernant le financement du terrorisme. En avril 2007, l’administration américaine confirme qu’elle a l’intention d’invoquer le Secret d’Etat pour arrêter la procédure judiciaire en Belgique. Le 10 décembre 2008, la Commission de la protection de la vie privée déclare que SWIFT a respecté la loi sur la vie privée et décide de clore les procédures.
Les Etats-Unis souhaitent alors conclure un accord avec l’Union européenne pour continuer à utiliser les données bancaires. En juillet 2009, le Conseil des ministres de l’UE annonce qu’il est prêt à conclure un « accord intérimaire » avec les Etats-Unis leur permettant d’utiliser les données du réseau SWIFT pour avoir accès aux données bancaires européennes. Seulement le 11 février 2010, le Parlement européen rejette « l’accord intérimaire » mais propose une renégociation. L’Accord SWIFT II est signé le 29 juin 2010 à Bruxelles et ratifié par le Parlement européen. Il entre en vigueur le 1 août 2010 pour une durée de 5 ans automatiquement reconduite.
Cet accord est très favorable pour les Américains en tant qu’acteur central de la régulation financière. Désormais la société SWIFT se place sous le commandement de l’exécutif américain ; les banques centrales se présentent comme des organisations gestionnaires de la « hiérarchie impériale » et non comme des « organes de la puissance » nationale ou régionale qui les ont constituées. En réalité, la gouvernance du marché mondial établit une hiérarchie politique dans les différents acteurs économiques. L’affaire SWIFT s’inscrit dans la construction de l’empire à travers l’inscription dans le droit de la souveraineté américaine sur les populations européennes. L’empire est celui de l’hégémonie, de la reconnaissance par les populations européennes d’une souveraineté directe des autorités américaines ainsi que la primauté du droit américain sur le sol de l’ancien continent. Les Etats-Unis usent du principe d’extraterritorialité pour imposer leur droit au reste du monde. En fait, il existe 2 types de sanctions : les « sanctions primaires » qui ne concernent que les « US persons » ; les « sanctions secondaires » levées en 2015 et rétablies le 8 mai dernier, concernant les échanges financiers avec la banque centrale d’Iran et d’autres institutions financières. Les Etats-Unis imposent leurs restrictions à toute entreprise ou personne physique qui n’applique pas les sanctions. C’est ce qu’on appelle l’extraterritorialité du droit américain. En cas de violation, les entreprises et les banques risquent de perdre leurs avoirs aux Etats-Unis et des poursuites devant les tribunaux américains. Ainsi BNP Paribas a été condamnée, après transaction, à une amende de 850 millions de dollars pour avoir transgressé l’embargo américain contre le Soudan, Cuba et l’Iran (initialement l’amende se montait à 8,9 milliards de dollars !). Il est impossible pour les banques et les entreprises d’échapper à ces interdictions.
Pourtant en 1996, l’Europe s’est dotée d’un règlement censé protéger ses entreprises. Concrètement, ce règlement annule tous les effets juridiques des décisions américaines au sein de l’Union européenne. Protection peu efficace et peu convaincante comme le montre le retrait d’Iran de Total, Peugeot et CMA-CGM.
Il y a pourtant un système européen qui pourrait se développer c’est TARGET : système de transferts express automatisés transeuropéens de règlement brut en temps réel. Target 1 a mise en place en 1999 avec l’introduction de l’euro ; Créé en novembre 2007 TARGET 2 est reconnu le 11 août 2014 comme le système de paiement d’importance systémique par le Conseil des gouverneurs de la Banque centrale (BCE) ; c’est la véritable plate-forme commune gérée par les banques centrales d’Allemagne, de France et d’Italie pour l’ensemble des autres banques centrales européennes et la principale plate-forme européenne de traitement des paiements de montant élevé, utilisée à la fois par les banques centrales et les banques commerciales pour exécuter les paiements en euros en temps réel. TARGET 2 est un des éléments d’intégration financière au sein de l’Union européenne et permet la libre circulation des flux monétaires transfrontaliers et soutient la mise en œuvre de la politique monétaire unique de la BCE. Plus de 1700 banques utilisent TARGET 2 pour effectuer des opérations en euros. Il est hélas connecté au réseau SWIFT avec les conséquences qui en découlent pour le transfert des données!
Devant les sanctions américaines, quelques dirigeants commencent à évoquer la nécessité de créer des architectures financières hors du dollar, mais ont-ils les moyens et surtout la volonté de ce choix ?
La notion de « souveraineté européenne » évoquée par le Président E. Macron est malheureusement vide de sens devant les sanctions américaines contre l’Iran. L’Europe est forcée de suivre les sanctions américaines. Certes le ministre des Affaires étrangères de la République fédérale d’Allemagne, Heiko Maas (SPD) a bien proposé de construire un système financier indépendant des Etats-Unis et du dollar, un Fonds monétaire européen et un système de paiement Swift indépendant, pour permettre à l’Europe de devenir la pierre angulaire de l’ordre international et servir de contrepoids aux Etats-Unis quand ils franchissent les lignes. Malheureusement, il s’est fait immédiatement rappelé à l’ordre par Mme A. Merkel, très hostile à cette proposition émanant du SPD. Pourtant, le ministre français de l’économie, B. Le Maire a semblé appuyer ce projet déclarant : « je veux que l’Europe soit un continent souverain et non un vassal et cela implique des instruments de financement totalement indépendants qui n’existent pas aujourd’hui ». Le Président E. Macron n’a pas lui non plus repris cette proposition. Cette position s’explique par le fait que les banques américaines sont impliquées dans plus de 90% des opérations de financement de Total et les investisseurs américains représentent plus de 30% de son actionnariat.
Pour asseoir une vraie souveraineté européenne, il est nécessaire de s’assurer une totale indépendance financière, mais cela est techniquement difficile dans la mesure où il faudrait se doter d’équipements dans lesquels n’entreraient aucun composant ni programme lié à une entreprise américaine ! En outre, aujourd’hui le dollar représente près des 2/3 des réserves de devises des banques centrales (63%), chiffre très disproportionné par rapport au poids économique des Etats-Unis qui ne pèsent plus que 20% du PIB mondial ; les échanges commerciaux à l’intérieur du marché unique européen représentent trois fois les échanges au sein de l’ALENA (Zone économique regroupant Etats-Unis, Canada et Mexique).
Patrick Artus, chef de Natixis constate que « face à un marché unifié du dollar, vous avez 17 marchés fragmentés d’emprunts européens. Si on mutualisait une partie des dettes des Etats européens dans un euroland, on supprimerait les risques d’écart d’un pays à l’autre. Mais personne n’en veut. D’autre part, l’euro pourrait peser sur les marchés financiers si la zone euro acceptait d’émettre des euro-obligations au même titre que les Etats-Unis émettent des bons du trésor pour financer leur déficit abyssal ! Là encore personne ne le souhaite ! »
La souveraineté européenne c’est d’abord un projet et une volonté, or il faut constater que nous n’avons ni l’un ni l’autre ;
la souveraineté est une volonté ; la vassalité est un confort !
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