DE L’IMPORTANCE
DU FACTEUR INTERNATIONAL
DANS LA DÉFINITION
DE L’ARMÉE DE TERRE FUTURE
Par le GCA (2s) Jean-Paul Perruche
appuyé par le général(2S) Dominique Trinquand
Le futur de l’armée de Terre ne peut uniquement se concevoir comme un exercice national. Notre implication dans les alliances ne peut que croître. C’est l’objet des réflexions. Le futur de l’armée de terre ne peut uniquement se concevoir comme un exercice national. Notre implication dans les alliances ne peut que croître.
Après le Billet du GCA(2s) Alain Bouquin dans le n°69 nous continuons la publication d’articles sur l’avenir de l’armée de terre de la France.
L’évolution prévisible du contexte sécuritaire mondial rend plus que probable le fait que les futures opérations militaires seront internationales. Pour des raisons à la fois politiques (évolution de rapports de forces) et économiques (coût des moyens et des opérations), la France, malgré le redressement de son budget de défense, verra ses capacités de s’engager seule dans des opérations lourdes et longues se restreindre.
La récente Revue stratégique commandée par le Président de la République, fixe l’objectif d’un modèle d’armée équilibré (assurant à la France autonomie et liberté d’action) et indique que cette armée doit disposer « des capacités nécessaires pour atteindre les effets militaires recherchés sur la totalité spectre des menaces et des engagements possibles, y compris les plus critiques ». Elle note cependant que « nous trouvant confrontés à des acteurs plus nombreux, plus divers, aux ambitions et postures plus affirmées, aux capacités plus robustes, coopérations et partenariats seront nécessaires dans la plupart des situations ». Les engagements actuels dans la Bande sahélo saharienne (BSS) et au Moyen-Orient peuvent être considérés comme révélateurs à cet égard. L’optimisation des capacités futures de l’armée française et donc de l’armée de Terre, devra se décliner non seulement en termes de performances militaires nationales, mais aussi de coordination avec des alliés et d’influence sur la conduite des opérations internationales.
Par ailleurs, le modèle d’armée de Terre française du futur ne saurait ignorer l’engagement européen de la France et le rôle moteur pris par notre pays dans la laborieuse mise sur pied d’une Politique de Sécurité et de Défense Commune (Europe de la Défense) depuis le traité de MAASTRICHT (1993), engagement clairement renouvelé par le nouveau Président de la République : « nous devons renforcer l’articulation entre autonomie stratégique nationale et ambition européenne, entre intérêts nationaux et intérêts partagés… Dans ces domaines, le partenariat sera systématiquement recherché lorsque nous ne disposons pas seuls des capacités nécessaires et que les conditions politiques sont réunies »(1).
Pour que l’armée de Terre participe d’une armée française de premier rang, elle doit donc pouvoir jouer un rôle central dans la construction d’une capacité opérationnelle européenne efficace, comme dans les engagements internationaux au sein de l’OTAN, ou de coalitions ad hoc, dans le cadre de l’ONU ou non, auxquels la France devrait prendre part. L’examen des obligations, des contraintes et des opportunités qu’entraine cet impératif est donc essentiel. Il doit tenir compte des différents types d’engagement potentiels mais aussi des caractéristiques des cadres internationaux danslesquels ils pourraient s’inscrire.
L’expérience montre que la plupart des opérations internationales se déroulent avec un mandat de l’ONU, qu’il s’agisse d’opérations déléguées par l’ONU à d’autres organisations sur la base d’une résolution (Libye, RDC, Irak…) ou à des coalitions de forces ad hoc agissant directement sous le contrôle du département des opérations de maintien de la paix (DOMP). La France a pris une large part à ces opérations dans les dernières décennies : UNPROFOR en Bosnie, FINUL au Liban, MINUSCA en RCA ou MINUSMA au Mali… en y tenant un rôle de premier plan. Cette posture volontariste se poursuivra sans doute à l’avenir, de la part d’un pays membre permanent du Conseil de Sécurité, notamment sur le continent africain. Elle impose que les forces françaises conservent, et même développent, leurs capacités à fédérer, entraîner et exercer un leadership sur des contingents de divers pays, dans des contextes anticipés ou non. La création d’une interopérabilité dans ces circonstances doit donc faire partie des capacités à développer par l’armée de Terre, qu’il s’agisse des systèmes de commandement, des équipements, ou des standards minimums en matière de concepts et de doctrines.
S’agissant d’opérations militaires conventionnelles de haute intensité, le cadre de l’OTAN ou de coalitions ad hoc sous leadership américain reste le plus vraisemblable, mais les développements politiques récents devraient inciter les Européens à préparer des capacités autonomes.
Les Livres blancs de 2008 et 2013 fixaient l’ambition de la France à la capacité de commandement d’une division incluant 2 ou 3 brigades françaises éventuellement renforcées par 1 ou 2 brigades alliées. De telles opérations paraissent assez improbables en Europe (dissuasion nucléaire) même si un engagement conventionnel dissuasif face à l’attitude agressive de la Russie dans son étranger proche semble plus réaliste. Il se conçoit d’abord dans le cadre de l’OTAN et bien que la France ne se trouve pas en première ligne, elle ne saurait se soustraire à son devoir de solidarité avec ses alliés et doit pouvoir prendre une place correspondant à son rang dans le dispositif défensif de l’Alliance. Ceci inclut notamment des capacités de déploiement rapide de forces terrestres dans cette zone, d’intégration dans la chaine de commandement opérationnel de l’OTAN, et de prise sous commandement ou contrôle opérationnel d’unités alliées de divers formats. L’acquisition de moyens de commandement et de contrôles performants et sûrs le permettant est donc un impératif.
Des opérations de haute intensité sont également possibles à l’extérieur de l’UE, notamment dans des pays du voisinage ou plus lointains, comme l’ont trouvé les interventions en Afghanistan ou au Moyen-Orient.
Cela justifie l’implication de l’armée de Terre dans la planification de l’OTAN, son entraînement régulier avec les principales forces de l’Alliance, son interopérabilité entretenue avec elles (STANAG) et son intégration dans le système de commandement et logistique interallié. Dans ce type d’engagement, la puissance américaine, et donc l’influence des États-Unis d’Amérique, seront toujours prépondérantes, mais le niveau de contribution et la crédibilité des capacités françaises seront déterminants sur l’influence que la France pourra exercer sur la conduite d’ensemble des opérations. Les opérations de l’OTAN menées depuis la fin de la guerre froide ont toujours été conduites avec un système de commandement intégré, mais avec des déploiements sur les théâtres (Bosnie-Herzégovine, Kosovo, Afghanistan), de forces réparties par secteur selon le principe de Nation-cadre, (les Nations cadres étant les principaux contributeurs). Des scénarios d’engagement de l’OTAN sans leadership américain sont théoriquement possibles, mais l’intervention de 2011 en Libye en a montré les difficultés. Une réflexion plus approfondie sur ce cas de figure sera nécessaire pour en apprécier les conditions et les limites. Il pose notamment la question de la responsabilité partagée entre Européens et du leadership, problématique qui s’apparente à celle des opérations effectuées dans un cadre européen (UE ou coalitions européennes).
À l’heure actuelle, les capacités de l’UE dans le cadre de la PSDC sont limitées à des opérations de faible intensité et de courte durée, mais le besoin de les renforcer est exprimé régulièrement par les Chefs d’État et de gouvernement de l’UE à la recherche d’une plus grande autonomie stratégique. Une capacité opérationnelle collective et crédible des Européens, permettant d’additionner leurs forces en partageant la responsabilité des opérations est non seulement nécessaire pour élever leur niveau d’ambition, mais elle favorisera aussi un rééquilibrage des capacités au sein de l’OTAN. Les perspectives d’engagements au sein de l’une ou l’autre organisation s’en trouveront élargies. Une impulsion nouvelle a été donnée en ce sens par le Président français avec l’initiative de Force d’intervention européenne(2). L’objectif de faire de l’armée française la première d’Europe répond au besoin d’entraîner les autres pays par l’exemple et d’instaurer la confiance dans les capacités européennes. Il ne sera atteint que si la France, qui ne saurait inspirer la même confiance dans sa puissance militaire que les États-Unis d’Amérique, convainc ses partenaires d’accepter les risques afférents à des engagements communs au service d’intérêts partagés. Il implique une recherche constante de la coopération, voire de l’intégration de capacités où c’est possible, ainsi que des efforts budgétaires significatifs dans la durée permettant de rester en tête de la course technologique.
La France ayant vocation à constituer le noyau dur des forces européennes, il est de l’intérêt de l’armée de Terre de prendre l’initiative afin de rapprocherles cultures et les modes d’action des unités terrestres des différents pays membres de l’UE. Cela devrait notamment comporter une analyse des différences et des domaines de complémentarités de ces forces, ainsi que l ’admission d’officiers et sous-officiers européens en nombres conséquents dans les écoles de formation et dans les exercices « Terre ». Une attention particulière devrait être portée aux domaines renseignement et logistique. L’acquisition du renseignement tactique, mais aussi son partage et son exploitation au niveau européen, doivent être considérés comme des besoins essentiels et prioritaires, tout comme la préparation à l’avance de systèmes de soutien rationnalisés et les plus intégrés possibles. Des exercices d’entraînement appliqués aux différents théâtres potentiels pourraient être organisés dans le cadre de l’UE afin de replacer les engagements potentiels dans un contexte politique et opérationnel réaliste éclairant à l’avance sur la composition des contingents européens et le niveau d’intégration des unités nationales. De telles mesures d’anticipation pourraient en outre être réalisées dans le cadre de coalitions plus limitées et débordant éventuellement du cadre de l’UE (Royaume-Uni post Brexit).
Ce besoin de coopération dans l’action, se trouvera conforté par l’accroissement du coût des équipements et des systèmes d’armes ; le développement et l’acquisition d’armements en commun (spécialement entre Européens) s’imposera donc de plus en plus pour satisfaire des besoins devenant inaccessibles au niveau national, comme l’illustre la problématique de production en Europe d’un avion de combat futur. Toutefois, les contraintes politiques et industrielles nationales, qui affectent aujourd’hui les programmes en coopération ne disparaîtront pas d’elles-mêmes et contraindront les opérationnels à une certaine flexibilité dans leurs spécifications. C’est pourquoi, l’armée de Terre devra suivre avec attention les efforts de mise en cohérence des planifications de défense (Defense Planning) aux niveau politique et industriel et les exigences de complémentarité qui pourraient en résulter.
Les contraintes liées aux engagements terrestres multinationaux dépendront des types d’opérations et des spécificités propres à chaque cadre d’engagement international. Elles doivent donc être analysées dans cette grille. Le niveau d’intégration à réaliser dans des opérations européennes est à l’évidence plus élevé que dans l’OTAN où la puissance militaire américaine constitue à elle seule une garantie. Les concepts, doctrines et mesures d’interopérabilité réalisés dans l’OTAN sont un acquis précieux, mais doivent être complétés par des pratiques spécifiques permettant d’agir dans le cadre de l’UE ou en coalition de circonstance. L’armée de Terre se doit de s’y investir afin de tenir tout son rôle dans les opérations futures et d’accroître par-là la crédibilité opérationnelle de la France. L’évolution rapide du contexte de sécurité mondial et les incertitudes qu’elle génère rendent difficiles une vision nette des engagements et des cadres potentiels à privilégier. Elle implique cependant qu’une priorité soit mise sur les moyens d’anticipation, la flexibilité des formats d’intervention, la coopération européenne et l’investissement dans les nouvelles technologies.
1- Revue stratégique 2017.
2- Discours à la Sorbonne, 26 septembre 2017.
Cet article fait partie du dossier n°22 réalisé par Le Cercle de réflexions du G2S « Réflexions pour l’armée de terre de demain » publié en juillet 2018 et consultable sur : http://www.gx2s.fr/
Association selon la loi de 1901, le G2S est un groupe constitué d’officiers généraux de l’armée de Terre qui ont récemment quitté le service actif. Ils se proposent de mettre en commun leur expérience et leur expertise des problématiques de défense, incluant leur aspects stratégiques et économiques, pour donner leur vision des perspectives d’évolution souhaitables de la défense
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