Europe,
un avenir crédible

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Au moment où les peuples européens vont élire leurs députés, dans deux articles successifs l’auteur pose les questions sur le futur de l’Europe, il trouve des réponses dans le discours d’Emmanuel Macron à la Sorbonne, Mais le Président saura-t-il les concrétiser rapidement? .
Au lecteur , à l’électeur de faire sa réflexion et son choix.

La troisième vie de la construction européenne.

Ne nous y trompons pas, nous vivons une nouvelle phase de l’histoire européenne.

Pendant que le continent se relevait du Second conflit mondial, puis assistait à la chute du Mur et de l’URSS pour enfin faire face au retour de la guerre du fait de la Russie, l’Union européenne se transformait.

Sa première vie, celle des années 50, fut celle du pari fou des Pères fondateurs.

La seconde fut celle de la réalisation d’un espace sans frontières.

Nous sommes déjà entrés dans la troisième ère de l’Union européenne, celle du parachèvement géopolitique.

Cette dernière nécessite de revisiter beaucoup de nos outils européens pour répondre à 4 interpellations majeures, qui exigent des réponses fortes et urgentes.

La problématique démocratique est celle du défi de l’efficacité des politiques publiques et de leur perception par les opinions. Il ne sert à rien d’élaborer de belles politiques si les citoyens ne les soutiennent pas et que le discours populiste, avec ses outrances et ses mensonges, peut les discréditer en quelques phrases.

La problématique économique : Sur fond de désastre démographique, le décrochage économique par rapport aux deux grands Etats-continents que sont les Etats-Unis et la Chine oblige à rompre avec les politiques budgétaires et monétaires traditionnelles. Les transitions exigent des prises de risques, des investissements mobilisant d’énormes capitaux et, peut-être, de s’endetter pour la croissance.

Une problématique quasi-philosophique taraude les Européens : Ils préfèrent la règlementation et la contrainte à la liberté et l’incitation. Ce travers des Etats membres se retrouve amplifié à Bruxelles et Strasbourg. Or aucune des inventions majeures du XIXème ou du XXème siècle – dont l’Europe peut d’ailleurs être fière – n’a résulté d’une norme. Elles sont nées du génie d’une personne, d’une équipe ou d’une entreprise, jamais d’une règle. La croissance de demain, y compris la réussite des transitions numériques et environnementales, viendra d’inventions que seul l’esprit humain, libéré des contraintes, peut imaginer. Certes leur développement nécessitera ensuite des politiques de soutien. Mais à la règle il faut préférer l’accompagnement et l’incitation. Avant de réguler, il faut imaginer, fabriquer et produire.

Enfin la problématique sécuritaire risque d’occulter toutes les autres. L’Europe doit d’urgence réapprendre à se défendre et à dépenser pour sa défense. Cela va nécessiter d’énormes efforts qui vont amputer les moyens consacrés à un confort devenu habitude, un mode de vie parmi les plus protégés et agréables du monde. Le dire ne suffira pas à convaincre mais la peur du retour des conflits et de leur cortège de misères pourrait y pousser.

Tels sont les enjeux auxquels les Européens, et donc leurs institutions communes comme leurs Etats nationaux, doivent faire face.

Pour les affronter, il leur faut imaginer de nouveaux moyens, de nouvelles politiques qui, tout en ne reniant rien des réussites passées, acceptent de prendre en compte la réalité du nouveau monde.

Ces changements ont timidement commencé au cours de la mandature européenne qui s’achève. Ils vont s’accélérer et la dimension européenne sera plus indispensable que jamais. C’est l’objet des contributions des plus hautes autorités européennes au Rapport Schuman 2024 sur l’Europe ? l’état de l’Union – qui paraît cette semaine. Une édition exceptionnelle par son contenu et la qualité de ses auteurs, résolument tournée vers l’avenir.

Macron et l’Europe : Un appel d’urgence
Comprendre le discours du président français à la Sorbonne

?Le second discours d’Emmanuel Macron à la Sorbonne, ce 25 avril 2024, est un appel à l’Europe, c’est-à-dire à ses Etats membres, à se réveiller d’urgence face au nouveau contexte stratégique.

Le monde ne respecte plus les règles qu’il s’était données ; nos amis comme nos rivaux ou nos ennemis s’en affranchissent allègrement. Nous ne pouvons plus être les seuls à les respecter. Il faut défendre nos intérêts, se protéger des agressions répétées, cyber ou pas ; il faut même contrattaquer.

Sur le plan économique, l’Europe du XXIème siècle ne peut plus continuer à suivre des règles budgétaires du XIXème ou une politique monétaire du XXème, alors que nos concurrents inondent leurs marchés de liquidités au prix d’énormes dettes, pourtant jugées toujours soutenables. L’ordo-libéralisme est bien mort.

En période de transition, on ne peut pas juger les finances d’un Etat comme celles d’un ménage en permettant ainsi un décrochage européen par rapport aux grandes économies mondiales : 3 fois moins de croissance, 2 fois moins d’augmentation du revenu par habitant, déclassement du PIB global au 3ème rang alors qu’il était encore au premier il y a 10 ans. A continuer ainsi, l’appauvrissement de l’Europe est en route.

Seule une politique de croissance peut en inverser le cours, redistribuer du pouvoir d’achat aux Européens et leur permettre de rembourser leurs dettes. Les extrêmes y trouveraient alors vraisemblablement des limites à leur démagogie.

Mais l’appel du président français à ses homologues européens concernait aussi la sécurité et la défense.

Si beaucoup de progrès conceptuels ont été faits dans ce domaine et que la nécessité d’une Europe plus indépendante est chaque jour mieux partagée, il faut maintenant faire face à la réalité : Une puissance nucléaire, la Russie, en l’assumant publiquement, nous a déclaré la guerre et emploie des moyens détournés pour la mener, inquiète de nos alliances et de notre puissance. Les Européens sont en guerre ; ils doivent le reconnaître, même si cela remet en cause leur message pacifique. Il leur faut donc réarmer et s’entendre sur une vraie défense du continent. Pour préserver la paix.

Emmanuel Macron accepte de discuter d’un bouclier anti-missile si la dissuasion nucléaire française, dans sa configuration actuelle, est reconnue pour son apport à la sécurité européenne. C’est une avancée.

Enfin, dans une réflexion de haute tenue, il remet au cœur de l’Europe le projet culturel, emblème de notre modèle de société et appelle à créer, à partir d’Arte, une vraie plateforme numérique culturelle européenne, pour incarner ce que nous sommes et ce à quoi nous tenons : Une culture de créativité, libre et foisonnante. C’est un projet en cours pour lequel acteurs allemands et français concernés sont déjà à l’œuvre. Il faut les soutenir.

Ces propositions françaises pour l’Europe sont ambitieuses, mais visionnaires. Elles traduisent l’urgence d’un réveil, un sursaut indispensable. Elles appellent à une concertation des partenaires européens pour offrir des réponses urgentes à des citoyens qui les attendent. Vite !

 

 

(*) Jean-Dominique GIULIANI est Président de la Fondation Robert Schuman, centre de recherche de référence sur l’Union européenne et ses politiques. Conseiller spécial à la commission européenne (2008-2010, il a précédemment été Maître des Requêtes au Conseil d’Etat, directeur du cabinet du Président du Sénat (1992-1988) et directeur à la direction générale du groupe Taylor Nelson Sofres (1998-2001). Il a fondé J-DG.Com International Consultants, qu’il préside. Membre du Conseil de Surveillance d’ARTE France (depuis 2009) et Président de l’ILERI (Institut Libre d’Etude des Relations Internationales) depuis 2019.

Vous pouvez suivre Jean-Dominique Giuliani sur son site : https://www.jd-giuliani.eu/