Le Japon : une puissance résiliente ?

(1ère partie)

Corentin Meyer (*)
Etudiant en licence d’Information et communication

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L’article qui suit est le résultat d’une réflexion menée à la suite de la vidéoconférence intitulée « Le Japon : une puissance résiliente ? », présentée par l’IRIS (Institut de relations internationales et stratégiques), trois spécialistes : Robert Dujarric, franco-américain diplômé de Harvard et installé à Tokyo depuis 2004, Sachiyo Kanzaki, professeure universitaire au Québec, et Marianne Péron-Doise, experte reconnue des questions des métamorphoses de la puissance du Japon.

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Cette conférence a proposé un éclairage dense et nuancé sur les multiples dimensions de la résilience japonaise. Les intervenants ont abordé les mutations politiques, économiques et sociales du Japon contemporain, entre épuisement structurel et pragmatisme stratégique.

Le débat s’est notamment concentré sur le déclin économique du pays, symbolisé par le passage à la quatrième place mondiale en PIB nominal, derrière l’Allemagne depuis 2023, et sur une société qui, malgré l’inflation et la dépréciation du yen, semble accepter ce recul avec un calme résolu.

L’approche du Japon face à la puissance — en particulier dans ses rapports avec les États-Unis, a également été abordée, tout comme les dynamiques politiques internes, marquées par un gouvernement de coalition en 2024 et l’héritage persistant de l’ère Shōwa. Enfin, un des temps forts de la conférence a porté sur la transformation stratégique de l’archipel : dans un contexte de recomposition géopolitique en Indo-Pacifique et de remise en question du maillage d’alliances américain, le Japon revoit son dispositif de sécurité.

Désormais engagé dans la défense du multilatéralisme et d’un « Indo-Pacifique libre et ouvert », Tokyo pourrait bien s’engager plus résolument sur la voie du réarmement, soulevant des interrogations cruciales sur la cohérence de cette métamorphose au regard de sa Constitution pacifiste. À travers cette analyse, nous reviendrons sur les multiples facettes de cette puissance japonaise à la fois discrète et déterminante.

De la défaite au « miracle japonais », de la prospérité à la désillusion

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Lorsque le Japon capitule en août 1945, le pays est exsangue. Deux bombes atomiques, une économie à terre, des infrastructures détruites : le tableau est celui d’une nation brisée. Et pourtant, dès la fin de l’occupation américaine, en 1952, le Japon entame une reconstruction rapide et méthodique, orchestrée de manière centralisée. L’État prend les commandes du redressement économique à travers des institutions puissantes, comme le MITI (Ministry of International Trade and Industry), chargé de planifier, subventionner et orienter l’industrialisation du pays. Cette stratégie ne laisse rien au hasard : elle cible des secteurs précis (automobile, électronique, sidérurgie…) et s’appuie sur une alliance étroite entre l’administration, les grandes entreprises (keiretsu) et les banques. Ce modèle, qualifié de « capitalisme d’État » ou de « capitalisme administré », deviendra une marque de fabrique japonaise. Dans les mots de l’économiste Chalmers Johnson, le MITI représentait « la bureaucratie la plus efficace du monde libre », tant son rôle fut central dans l’essor industriel japonais.

Porté par une main-d’œuvre qualifiée, une culture du travail rigoureuse et un fort investissement dans la recherche, le Japon entre ensuite dans une phase de croissance fulgurante, connue sous le nom de « miracle japonais ». Le PIB est multiplié par dix entre 1955 et 1973, et le pays devient en 1968 la deuxième puissance économique mondiale, derrière les États-Unis. Ce succès repose sur une stratégie d’exportation agressive, soutenue par l’État. Le monde découvre alors les produits japonais, réputés à la fois peu chers et d’une qualité exceptionnelle. Les voitures compactes de Toyota ou Nissan, les appareils photo Canon ou Nikon, les téléviseurs Sony deviennent omniprésents dans les foyers occidentaux. Cette montée en puissance impressionne, voire inquiète. Aux États-Unis, on parle d’un « péril jaune » économique.

Ce modèle ne restera pas isolé et fait rapidement école dans toute l’Asie, initiant une dynamique régionale structurante pour les décennies à venir. L’économiste Kaname Akamatsu théorise ce qu’il appelle le « vol d’oies sauvages » : le Japon ouvre la voie du développement, et les pays d’Asie de l’Est suivent son sillage, en reproduisant ses recettes de croissance pilotée. C’est ainsi que la Corée du Sud, Taïwan, Singapour et, plus tard, la Chine, adoptent à leur tour un capitalisme d’État orienté vers l’export.

Fort de ses succès, le Japon entre dans les années 1980 avec une confiance débordante. Tokyo devient une capitale mondiale de la finance, les prix de l’immobilier s’envolent, les entreprises se lancent dans des investissements massifs. En 1989, la Bourse de Tokyo atteint des sommets vertigineux, tandis que les actifs immobiliers valent plus que l’ensemble du parc immobilier des États-Unis. Cette bulle, alimentée par des taux d’intérêt très bas et une spéculation effrénée, donne une illusion de prospérité infinie. Mais dès 1991, le réveil est brutal : la bulle spéculative éclate, les marchés s’effondrent, et le pays entre dans une période de stagnation longue et douloureuse.

Ce retournement de conjoncture marque un tournant profond dans l’histoire économique japonaise, annonçant une ère d’incertitudes prolongées.

L’éclatement de la bulle spéculative au début des années 1990 a marqué le basculement brutal d’un Japon triomphant vers une économie atone, inaugurant ce que les économistes appellent désormais les « décennies perdues ». La croissance, souvent inférieure à 1 %, est minée par la déflation, le vieillissement démographique et une demande intérieure léthargique. Tandis que les ménages se replient sur une épargne de précaution, les entreprises emblématiques peinent à se réinventer : Sony perd du terrain face à Apple et Samsung, et Toyota revoit sa stratégie pour maintenir sa compétitivité à l’international. Le pays, autrefois locomotive asiatique, semble rattrapé par ses fragilités structurelles.

Face à cette panne prolongée, le gouvernement tente de réagir, sans toujours convaincre ni redresser durablement la trajectoire.

Ainsi, l’État japonais a multiplié les plans de relance : grands travaux, soutien à l’hôpital public, subventions sectorielles… Le tout financé par une dette publique qui dépasse aujourd’hui les 250 % du PIB, un record parmi les pays développés. La Banque du Japon, de son côté, a mené une politique monétaire ultra-accommodante, avec des taux proches de zéro, voire négatifs, évitant jusqu’ici une crise obligataire. Mais cette stratégie a un coût : selon le FMI, une part croissante du budget national est désormais absorbée par le service de la dette, alors que les dépenses sociales explosent sous l’effet du vieillissement. Comme le résume un économiste de l’université de Tokyo : « Le Japon tient debout, mais au prix d’un funambulisme budgétaire permanent. »

La perte de vitesse du pays commence alors à se refléter dans les classements mondiaux, incarnant un changement d’époque.

En 2023, un symbole fort frappe les esprits : l’Allemagne dépasse le Japon en PIB nominal, reléguant ce dernier à la quatrième place du classement mondial. Pour beaucoup d’observateurs, cette rétrogradation est l’illustration d’un modèle économique essoufflé, voire dépassé. Le Japon reste une économie puissante, dotée d’infrastructures et de multinationales robustes, mais elle n’est plus le laboratoire d’avant-garde qu’elle était dans les années 1980. Ce recul s’accompagne d’un affaiblissement de l’influence géopolitique du pays, notamment face à une Chine montante.

Et pourtant, loin de céder au découragement, le Japon poursuit sa mue, avec ténacité et discrétion.

Une résilience discrète mais puissante

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Malgré les secousses, à la fois financières, démographiques et naturelles (comme le séisme et le tsunami de 2011), le pays continue d’incarner une résilience discrète mais puissante. Il se réinvente par petites touches : en investissant dans la robotique, dans les énergies renouvelables, dans l’intelligence artificielle. Le vieillissement de la population, souvent présenté comme un fardeau, devient un moteur d’innovation dans la santé, l’automatisation ou l’urbanisme. Tokyo n’est plus l’élève insolent des années 1980, mais un modèle de stabilité, d’adaptation et de gestion de crise. Comme l’a écrit l’historien John Dower : « Le Japon a su se reconstruire non pas une fois, mais plusieurs fois. C’est sa plus grande force ». Une force tranquille, enracinée dans l’histoire, tournée vers l’avenir.

C’est dans cette volonté de relance que s’inscrit la stratégie économique mise en œuvre sous Shinzo Abe, avec l’ambition de rompre l’inertie. Ainsi, il lance en 2012 une politique ambitieuse : les Abenomics, articulées autour de trois points : stimulation monétaire, relance budgétaire et réformes structurelles. L’objectif affiché est de sortir enfin de la déflation et remettre l’économie sur une trajectoire de croissance. Un plan baptisé le « doublement du revenu national », s’inspirant du programme de relance des années 1960, vise à redonner confiance aux ménages et aux entreprises. Si l’impact initial est positif, les marchés se redressent, la Banque du Japon assouplit fortement sa politique, et les résultats restent mitigés à long terme. La consommation ne repart pas franchement, et les réformes du marché du travail et de l’égalité femmes-hommes avancent lentement. En parallèle, les dépenses sociales explosent, en particulier dans les domaines de la santé et des retraites, grevant davantage les finances publiques.

Mais les limites des Abenomics ne peuvent être comprises sans s’intéresser au cadre social sur lequel elles s’appuient, un modèle lui aussi en pleine mutation.

Un modèle de bien-être dépassé par les mutations sociales et politiques

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Construit à l’époque de la croissance rapide, le système de protection sociale japonais repose sur des piliers aujourd’hui fragilisés : emploi à vie, forte natalité, solidarité intergénérationnelle. Or, ce modèle s’effondre progressivement. Le taux de fécondité, déjà passé sous le seuil de remplacement en 1974, n’a jamais remonté la pente. Aujourd’hui autour de 1,3 enfant par femme, il alimente un déclin démographique inédit parmi les pays industrialisés. Les seniors représentent plus de 30 % de la population, et la main-d’œuvre active se réduit chaque année. L’État, longtemps réticent à réformer, tarde à réagir face à cette crise structurelle. Les changements sociaux (hausse des divorces, précarisation de l’emploi, isolement des personnes âgées) rendent le modèle de protection obsolète. Malgré des ajustements, comme l’instauration d’un système de dépendance en 2000, la couverture reste inadaptée aux besoins contemporains.

Sur le plan politique, cette crise de modèle s’accompagne d’un immobilisme de plus en plus criant, minant la capacité de l’appareil d’État à anticiper les grandes transitions.

Dans ce contexte, la classe politique japonaise peine à proposer une vision d’avenir cohérente. Depuis des décennies, le pays est dominé par le Parti libéral-démocrate (PLD), qui, à quelques interruptions près, gouverne presque sans discontinuer depuis 1955. Cette longévité politique a certes assuré une certaine stabilité, mais elle a aussi contribué à un immobilisme problématique face aux grands défis contemporains : transition énergétique, réforme des retraites, immigration sélective. L’opposition, morcelée et divisée, n’arrive pas à offrir d’alternative crédible. Le résultat est une gouvernance technocratique, prudente, souvent lente à réagir. La lenteur de la réponse à la pandémie de Covid-19, ou encore à la crise démographique, en sont des exemples criants.

Ce paysage politique apparemment figé masque toutefois l’émergence d’un populisme plus subtil, souvent enraciné dans l’économie et les symboles identitaires.

Contrairement à d’autres démocraties occidentales, le Japon n’a pas vu émerger de populisme bruyant ou xénophobe à grande échelle. Mais cela ne signifie pas l’absence de populisme. Au Japon, celui-ci est plus discret, souvent intégré dans le discours économique. Certains dirigeants, à l’image de Shinzo Abe, ont su mobiliser des thématiques identitaires (fierté nationale, réforme constitutionnelle) tout en s’ancrant dans une vision ultralibérale du marché. Le populisme japonais se manifeste ainsi dans une défiance envers les syndicats, dans la déréglementation du travail, ou encore dans la flexibilisation du système éducatif. Ce populisme de gestion, silencieux mais réel, contribue à entretenir un système qui favorise les grandes entreprises au détriment des plus vulnérables.

Ces failles du système économique et politique sont d’autant plus préoccupantes qu’elles se conjuguent à une série de défis structurels profonds.

Depuis les années 1990, les failles du modèle japonais sont de plus en plus visibles. La délocalisation industrielle, notamment vers la Chine et l’Asie du Sud-Est, a affaibli la base productive du pays. Des régions entières ont été frappées par la désindustrialisation, tandis que les jeunes peinent à trouver des emplois stables. La compétitivité technologique, longtemps fer de lance de l’économie, est érodée par la montée de géants comme Samsung, Huawei ou Apple. En parallèle, la rigidité du système éducatif, le manque d’inclusivité sociale et l’ouverture encore timide à l’immigration freinent le renouvellement des talents. Le Japon n’a pas perdu tous ses atouts, loin de là, mais il semble prisonnier d’un modèle dont les fondations ont été construites pour un autre siècle, dans un autre monde.

Ce constat de fragilité structurelle se reflète aussi dans les rapports sociaux et les formes traditionnelles de solidarité.

Longtemps, le Japon a reposé sur un modèle social unique, où le bien-être des individus était assuré moins par l’État que par les entreprises et les familles multigénérationnelles. Ce système, hérité de l’ère Showa (1926–1989), assurait emploi à vie pour les hommes, soutien scolaire pour les enfants, et dépendait des femmes pour l’éducation et les soins domestiques. Mais cette architecture est aujourd’hui fragilisée. En 2020, seules 7,7 % des familles japonaises étaient encore multigénérationnelles. L’entrée massive des femmes sur le marché du travail, leur taux d’emploi a atteint 71,3 % en 2021, bouleverse la répartition traditionnelle des rôles, sans que les politiques publiques n’aient réellement suivi. La garde des enfants, la répartition des tâches domestiques ou les horaires rigides du travail continuent à reposer largement sur les femmes.

Ce déséquilibre entre discours égalitaire et réalité sociale se manifeste de manière particulièrement aiguë dans la question des inégalités de genre.

En 2015, le gouvernement de Shinzo Abe promettait pourtant la création d’une “société où toutes les femmes brillent”. Mais, sur le terrain, les progrès sont lents. Le système fiscal continue d’inciter les femmes mariées à ne pas dépasser un plafond de revenus pour conserver certains avantages. Résultat : une grande partie des Japonaises occupent des emplois précaires. En 2023, 37 % des travailleurs étaient en contrat non régulier, dont une majorité de femmes. Côté représentation politique, le Japon reste à la traîne : seules 10 % des sièges à la Diète (parlement) sont occupés par des femmes, loin derrière ses voisins asiatiques. « Le Japon a une économie moderne, mais des structures sociales d’un autre siècle », résume l’économiste Mari Miura.

Parallèlement, la transition démographique du pays exacerbe ces déséquilibres et révèle une profonde fragilité du tissu social.

Le déclin démographique est au cœur des angoisses japonaises. En effet, depuis 2010, année où le Japon comptait 128.1 millions d’habitants, sa population n’a cessé de diminuer, atteignant environ 124.5 millions d’habitants en 2024. Cette même année, le pays a enregistré moins de 800 000 naissances, un record à la baisse. Le taux de fécondité, déjà sous le seuil de renouvellement depuis 1974, poursuit sa chute. Conséquence : le pays se vide lentement, surtout en dehors de Tokyo, où la concentration urbaine s’intensifie. Les campagnes se dépeuplent, les écoles ferment, les hôpitaux manquent de personnel. Les entreprises comme l’armée rencontrent de grandes difficultés de recrutement. Ce vieillissement s’accompagne aussi d’un malaise social : chez les moins de 40 ans, le suicide reste la première cause de mortalité, tandis que la pauvreté infantile touche 1 enfant sur 7, selon l’ONG Save the Children.

Face à cette spirale démographique, une réponse s’impose, mais elle heurte de front l’imaginaire national : celle de l’ouverture migratoire.

Face à la pénurie de main-d’œuvre, le Japon s’ouvre lentement à l’immigration, longtemps taboue. Si la Constitution ne reconnaît toujours pas le multiculturalisme comme principe, les chiffres évoluent. En 2024, plus de 3 millions d’étrangers résident à Tokyo, soit environ 10 % de la population de la capitale. Les secteurs de la tech, du bâtiment ou des soins accueillent un nombre croissant de Chinois, Vietnamiens, Philippins et Indiens, attirés par les salaires et la sécurité du pays. Le gouvernement a même assoupli certaines règles de visa, notamment pour les professions dites « essentielles ». Pourtant, l’intégration reste minimale : peu de droits sociaux, barrière linguistique, discriminations fréquentes. La société japonaise n’a pas encore pleinement assumé cette transition multiculturelle.

Ce tiraillement entre modernisation économique et conservatisme social illustre le paradoxe fondamental du Japon d’aujourd’hui.

Le Japon d’aujourd’hui semble pris entre deux temporalités. D’un côté, il modernise son économie, robotise son industrie, attire des talents internationaux. De l’autre, il peine à réformer ses structures sociales, notamment autour de la famille et du travail. Le discours politique encourage les femmes à « briller », mais la conciliation entre emploi, maternité et tâches domestiques reste un parcours d’obstacles. Les crèches manquent, les horaires de travail sont rigides, et la charge mentale pèse toujours sur les mères. Dans le monde professionnel, les longues heures de présence et la culture du présentéisme pèsent lourdement sur la santé mentale des salariés. Selon une enquête du ministère du Travail, plus de 50 % des employés disent souffrir de stress chronique lié à leur emploi, s’avérant être la première cause de suicide dans le pays. Le modèle du père salarié absent et de la mère au foyer, bien que dépassé, continue de hanter les structures collectives. Ce décalage alimente frustrations, désengagement, voire fuite des jeunes actifs vers l’étranger.

Pourtant, au sein même de cette inertie, des signaux faibles témoignent d’un changement en cours.

De plus en plus de jeunes Japonais rejettent les normes héritées de l’ère Showa : mariage tardif, moindre désir d’enfants, recherche d’équilibre vie professionnelle/vie personnelle. Des entreprises comme Rakuten ou Mercari adoptent des politiques de télétravail, de congés parentaux équitables et de flexibilité des horaires. Le débat public évolue aussi : les thèmes du bien-être, de la santé mentale, de l’égalité, autrefois absents, gagnent du terrain. Certaines municipalités rurales misent sur l’innovation sociale pour attirer des familles : villes intelligentes, soutien aux jeunes parents, projets écologiques. Une nouvelle génération semble prête à réinventer les règles du vivre-ensemble.

Cette rupture, encore diffuse, s’incarne aussi dans une jeunesse en quête de sens, en opposition frontale avec les normes héritées.

Face à cette immobilité, une rupture culturelle s’amorce dans les profondeurs de la société. Une partie de la jeunesse japonaise rejette les valeurs de l’ère Shōwa (1926-1989), encore dominantes : dévouement au travail, hiérarchie familiale, culte de l’homogénéité. Les « freeters » (jeunes sans emploi stable), les « hikikomori » (reclus sociaux), ou encore les « shokuba irai » (burn-out liés au travail) traduisent un mal-être croissant. Des études récentes montrent que près de 70 % des 18-30 ans jugent prioritaire la santé mentale plutôt que la réussite professionnelle : un basculement qui est donc générationnel. Dans les entreprises, des figures comme Kazuma Ieiri, fondateur de Startbahn, prônent une rupture avec la culture du surmenage : « Travailler jusqu’à l’épuisement n’est pas une valeur. C’est une faillite.» Cette contestation, encore minoritaire, gagne en visibilité grâce aux réseaux sociaux, aux ONG comme ReBit (qui milite pour l’inclusion LGBTQ+) ou à certaines mairies, comme celle de Sapporo, pionnière dans les politiques d’inclusion.

Alors que la société évolue lentement, les fondations politiques, elles aussi, montrent des signes d’essoufflement.

 

La suite au prochain numéro


(*) Corentin Meyer est un étudiant en licence d’Information et communication – Audiovisuel et médias, à l’Université Jean-Moulin Lyon 3. Passionné par le cinéma et la littérature, il débute son parcours académique en entrant dans la CPGE Lettres du lycée Édouard Herriot à Lyon, établissement proposant la spécialité cinéma. Après avoir suivi pendant deux ans des enseignements appuyés lui permettant de mieux analyser les enjeux du monde actuel, il décide de continuer son parcours à l’université pour se former à des pratiques à la fois audiovisuelle, communicationnelle et journalistique. Il est maintenant stagiaire journaliste chez ESPRITSURCOUF.