Les enjeux du développement spatial en Afrique

Sarah Caron (*)
Etudiante en Master 2 de Droit public
Stagiaire chez Esprisurcouf

Longtemps considéré comme une provocation face aux priorités spécifiques des pays d’Afrique, le développement spatial s’impose aujourd’hui de plus en plus comme un levier d’influence essentiel à leur prise en compte.

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« Fils du nucléaire », l’espace a d’abord participé à réguler les relations bilatérales de la Guerre froide avant de devenir l’apanage d’une poignée de puissances (les États Unis, la Russie, la Chine, le Japon, l’Inde et l’Union européenne) dans des usages désormais variés.

Dans cet écosystème spatial, l’Afrique tire profit de sa position particulière et développe des ambitions et capacités grandissantes depuis une dizaine d’années. La très récente inauguration de l’Agence Spatiale Africaine (AFSA) le 20 avril 2025 en témoigne. 

Quels sont donc les enjeux de cette ascension ? Comment l’espace peut-il être un levier géopolitique mais aussi socio-économique et environnemental en Afrique ?

Des capacités spatiales croissantes

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 Au niveau spatial, l’Afrique se distingue historiquement par son statut de spectateur passif ou de simple fournisseur, en plein contexte colonial mais aussi post-colonial. Des tentatives de projets et de lancements spatiaux de certains Etats africains comme le Zaïre (République Démocratique du Congo actuelle), dans les années 70, n’ont pu aboutir sous la pression occidentale et soviétique. L’espace reflète les disparités géopolitiques et économiques sur terre. Après la Guerre froide, le coût des investissements spatiaux reste globalement excessivement élevé pour les PMA africains qui creusent ainsi leur retard dans le secteur. Si l’Egypte lance toutefois le premier satellite africain NileSat 101 en 1998, celui-ci coûte la somme colossale de 170 millions de dollars.

De plus, même si le traité sur l’espace de 1967 protège l’espace de ce type de revirement, le secteur spatial semble se quasi-libéraliser depuis une dizaine d’années, et la nouvelle conquête spatiale se calquer sur les intérêts des plus riches.

En revanche, de nos jours, l’Afrique peut justement tirer profit de cette nouvelle physionomie spatiale pour pallier ces disparités et apporter de nouveaux outils à la gestion des problématiques régionales. Le New Space démocratise l’accès à l’espace en en réduisant le coût, notamment via la standardisation et la miniaturisation des équipements permettant la construction de satellites de moins de 20kgs. Le 6 mars 2025, le Botswana a, par exemple, pu envoyer son premier satellite d’observation BOTSAT-1 en orbite via un investissement de 12 millions de dollars et à bord d’une fusée Falcon-9 du géant privé Space X.

Ce cadre favorise donc l’expansion des capacités spatiales africaines. Le dernier rapport d’analyse du budget spatial africain de Space Africa montre que celui-ci a augmenté de près de 55% passant de 275 millions de dollars en 2018 à 426 millions en 2025. En outre, 32 satellites ont été lancés en 2023, et ce nombre a plus que doublé deux ans plus tard: on en compte 67 en 2025, lancés par 18 pays.

Sans pouvoir encore parler de “puissances”, les Etats africains “pionniers” dans le spatial sont désormais l’Egypte, le Maroc, le Nigeria et l’Afrique Sud. L’Union Africaine mobilise plus que jamais d’importants efforts pour étendre ses capacités spatiales. Les agences spatiales nationales se multiplient depuis 2010 et continuent de se développer, comme en témoigne le très récent décret approuvé par le Conseil des Ministres ivoirien sur la création de l’Agence Spatiale de Côte d’Ivoire (ASCI) le 4 juin 2025.

La conférence sur l’espace de l’Afrique et du Moyen-Orient (AMESC), elle, a réuni, du 5 au 8 février 2025 à Rabat, divers experts, entrepreneurs et politiques pour discuter de l’innovation et la coopération spatiale.

La création de l’AFSA et son objectif de coordonner une vingtaine de pays spatiaux incarnent alors un accomplissement symbolique, un tournant historique majeur dans la position spatiale du continent. L’Union Africaine mobilise, à cet effet, un budget de 20 millions de dollars , complété par les contributions volontaires des Etats membres mais aussi par des accords bilatéraux à l’international.

Le rôle primordial de la coopération

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L’inauguration de l’AFSA démontre en effet l’importance des enjeux de coopération, à l’échelle continentale et internationale, dans le développement spatial en Afrique. Des accords de coopération y ont été signés avec l’Agence Spatiale Européenne (ESA), l’Agence Spatiale des Emirats-Arabes Unis (UAESA), ou encore avec l’agence russe Roscosmos. Par l’accroissement des accords de coopération internationaux, l’Afrique accroît ses capacités spatiales. Ses efforts dans l’espace s’appuient largement sur des partenariats à la fois avec la Chine, l’Union Européenne, la Russie mais aussi les Etats-Unis, qui investissent grandement dans des programmes de soutien au développement du secteur aérospatial africain.

La Chine, premier partenaire international de l’UA, renforce considérablement sa coopération au niveau spatial avec les pays africains, avec lesquels 23 partenariats bilatéraux ont été signés ces dernières années. Deux prototypes de satellites chinois ont été envoyés en Egypte en juin 2023, et des satellites africains sont régulièrement lancés depuis la Chine comme le nanosatellite égyptien NextSat-1 en 2024. Lors de l’AMESC 2025, le programme spatial chinois est d’ailleurs érigé comme modèle pour les nations émergentes. 

L’espace est aussi un axe stratégique clé dans les relations entre l’UA et l’UE. Le programme de partenariat spatial Afrique-UE, qui vise entre autres à favoriser la résilience climatique et le secteur privé par le spatial, fait notamment l’objet d’un investissement de 100 millions d’euros. 

Mais la complexité de l’équilibre entre coopération, concurrence et intérêts nationaux forme la spécificité du positionnement de l’Afrique au sein de la “nouvelle conquête spatiale”. L’Afrique, en lien avec son passif et son statut spatial propre, semble moins s’imprégner d’une logique d’expansion au lexique colonial de conquête, de pouvoir et de domination par l’espace que d’une démarche de résolution de ses propres problématiques internes. En ce sens, le choix du mot « pionniers » plutôt que « puissances spatiales » par le président du conseil de l’AFSA et de la Côte d’Ivoire, Alassane Ouattara, n’est pas non plus anodin. L’espace représente bien-sûr une opportunité géopolitique et diplomatique de taille pour ce continent en plein essor. Notons d’ailleurs que l’inauguration de l’AFSA a réuni plus de 500 délégués de 65 pays différents. En revanche, la concurrence et la compétitivité ne sont pas des priorités pour l’UA. Le spatial contribue en premier lieu à influencer la prise de décisions au niveau national dans les domaines de la sécurité, de l’environnement et de la gestion des ressources.

L’espace dans la gestion de l’environnement, des ressources et des crises

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L’Union Africaine tire en fait profit des rivalités entre les grandes puissances comme la Russie, les Etats-Unis et la Chine. Elle se présente comme un acteur neutre attractif pour les investissements étrangers et la coopération dans les domaines de l’énergie et de l’aérospatial.

Ces investissements sont mis au service d’intérêts nationaux communs, reflets des problématiques touchant particulièrement le continent comme la gestion des ressources, les effets du changement climatique ou la gestion des catastrophes naturelles et/ou des crises. 

70% des pays africains ont des littoraux. Le développement spatial peut donc particulièrement contribuer à promouvoir l’économie bleue, décrite comme “la nouvelle frontière de la renaissance africaine” dans la stratégie AIM 2050. En appui d’une gestion durable des ressources marines, les satellites d’observation, de télédétection et de navigation peuvent fournir des données sur la température des eaux, le niveau des mers, les écosystèmes marins ou les courants océaniques. Ils permettent aussi de soutenir la gestion de la pêche et la lutte contre la piraterie.

Ils participent aussi à améliorer la sécurité alimentaire par la surveillance des terres irriguées et la production de cartographies précises. L’effort spatial permet le développement d’applications localisées adaptées aux pratiques agricoles régionales. Il permet d’assurer le fonctionnement technologique malgré les challenges de connectivité, en reliant des zones trop difficiles d’accès pour être raccordées au numérique.

La digitalisation et la connectivité permises par le développement satellitaire peuvent alimenter l’énergie verte. Le rôle des applications spatiales est catalyseur pour relever les défis climatiques qui s’inscrivent dans les objectifs de développement durable des Nations Unies par exemple. Des pays comme le Kenya ou le Zimbabwe ont tout intérêt à s’appuyer sur l’espace dans leurs objectifs de transition verte, dans lesquels la prévention et l’alerte avancée des risques est un objectif clé. Les satellites aident à cartographier des inondations ou encore des incendies, fournissant une évaluation des risques et des impacts des catastrophes naturelles. 

Enfin, au Sahel, la coopération spatiale internationale sert directement des enjeux sécuritaires via la lutte contre le terrorisme. Le 1er novembre 2024, le Mali, le Niger et le Burkina Faso signaient notamment un accord avec l’agence spatiale russe pour obtenir des imageries satellitaires directement mobilisées pour combattre le djihadisme dans ces zones.

Les critères socio-économiques

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Les enjeux du spatial s’entremêlent avec les enjeux socio-économiques et démographiques qui sont propres au continent africain. Le développement spatial peut aussi bien être favorisé qu’entravé par ceux-ci. Si la croissance économique et démographique de l’Afrique ouvre de réelles opportunités d’investissement dans l’espace, ce développement est freiné par des problématiques relatives à l’état de la recherche, à la représentation de jeunes et de femmes dans l’éducation et les filières technologiques, ou encore aux salaires minimums trop bas voire absents.

La recherche scientifique est fondamentale au développement de l’industrie spatiale. Elle est pourtant encore trop peu développée et financée de manière générale, et par extension dans le secteur des technologies spatiales. L’investissement dans la recherche spatiale fait débat sur le continent en raison des disparités internes, reflets de l’instabilité sociale, économique et politique des différents pays. Si le faible coût de la vie en Afrique attire les investissements étrangers, cela se fait au détriment de la population qui, elle, peine à accéder à l’éducation et est même, en 2025, analphabète à plus de 50% dans plus de 12 pays africains.

En outre, les efforts spatiaux n’ont de sens que s’ils sont soutenus par un capital humain conséquent, et précisément jeune. Un volet majeur de la stratégie de développement des capacités spatiales en Afrique réside donc dans l’éducation aux sciences technologiques et spatiales. À ce titre, l’Africa Space Institute met un point d’honneur à promouvoir la connaissance et la démocratisation de la science aérospatiale. Les Etats africains cherchent avant tout à favoriser l’engagement des jeunes dans les STEM (Science, Technology, Engineering, Mathematics). Avec une composition à environ 60% de jeunes et une croissance démographique qui devrait se poursuivre, l’UA espère bien faire évoluer, à l’avenir, le taux de représentation des jeunes qui est à moins de 10% dans ces filières, tout comme celui des femmes. Des défis d’inclusivité restent alors à relever, notamment en termes d’âge et de genre, et l’espace, par son attractivité, peut s’avérer être un levier particulièrement puissant pour cela.

 

Dans la seconde partie de notre sujet, nous nous concentrerons sur le rôle particulier du Maroc au sein de cet écosystème spatial africain, et étudierons la manière dont il se saisit de ces enjeux pour pousser l’industrie spatiale à l’échelle nationale, continentale et internationale.

 


(*) Sarah Caron  est étudiante en Master 2 de Droit public – parcours Droit et politiques de défense et de sécurité nationale. Elle a préalablement validé un Master de recherche en Histoire – parcours relations internationales, guerres et conflits, ainsi qu’une licence en science politique. Elle se passionne notamment pour les questions nucléaires et spatiales, en plus des études de genre en lien avec la Guerre froide.