Quelle mémoire de la saint Barthélémy en France ?
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Corentin Meyer (*)
Etudiant en licence d’Information et communication
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La Saint-Barthélemy, une mémoire lourde pour une société en question
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Dans son ouvrage Le Choc des civilisations (1996), Samuel Huntington met en avant un conflit islamo-occidental reposant sur des différences religieuses profondes, une montée de l’islamisme politique, des tensions liées à l’immigration, ainsi que des affrontements géopolitiques récurrents. Si l’auteur ne mentionne pas le cas de la France, sa thèse résonne comme un écho dans le débat français sur l’identité, la laïcité, l’intégration et l’unité religieuse. Ces débats sont source de conflits et tensions que Huntington mentionne dans son ouvrage, et qui se retrouvent aussi sur le sol français. Cela est notamment accentué par divers actes terroristes et criminels qui ont traversé le XXIe siècle, attisant la haine d’une religion à l’autre. Les tensions actuelles autour de l’Islam en France résonnent avec les fractures religieuses du passé, notamment celles des huit guerres de Religion en France entre 1562 et 1598, qui ont culminé avec le massacre de la Saint-Barthélemy en août 1572.
453 ans après cet événement, la France n’a pas oublié, et la Saint-Barthélemy marque enfin sa présence dans l’espace public. Entre différents hommages discrets et autres lieux de commémorations symboliques, quelle place tient aujourd’hui cet épisode sanglant dans la conscience collective ?
Le 16 septembre 2022, un jardin mémorial de la Saint-Barthélemy a été inauguré dans le 1er arrondissement de Paris, aux abords de l’église Saint-Germain-L’Auxerrois. Église dont les cloches sont considérées comme le déclencheur du massacre. Ce jardin inauguré pour le 450ème anniversaire de l’événement, montre que celui-ci reste encore ancré dans la société française. Et cela également à travers différents lieux dispersés dans Paris et dans la France. Chacun de ces lieux et leurs habitants entretiennent à leur façon la mémoire de la Saint-Barthélemy, montrant à quel point la relation entre catholiques et protestants a changé.
Retour sur un drame national
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L’épisode de la Saint-Barthélemy a débuté dans la nuit du 23 au 24 août 1572. Il s’est déroulé jusqu’au 30 août dans la ville de Paris, mais s’est propagé à travers la France et a duré plusieurs semaines. Qu’est-ce qui a déclenché et que s’est-il passé durant ce pogrom populaire, qui a fait plusieurs de dizaines de milliers de morts ?
Le 22 août 1572 au matin, le chef du parti protestant et membre du Conseil du roi, l’amiral de Coligny, est victime d’une tentative d’arquebusade ratée. Coligny est tout de même blessé. La tentative d’assassinat provoque l’effervescence des peuples protestants à Paris. Et s’ils étaient si nombreux dans la capitale, c’était en raison du mariage entre le protestant Henri de Navarre et Marguerite de Valois, sœur du roi Charles IX et fille de Catherine de Médicis. C’est cette dernière qui a arrangé le mariage avec la volonté ferme d’améliorer les relations entre catholiques et protestants dans le royaume, et d’apaiser les tensions dûes à la guerre de religion qui avait alors lieu entre les deux partis.
Après l’arquebusade, le camp protestant est divisé : certains font confiance au pouvoir royal, d’autres sentent le piège arriver.
Le 23 août, le Conseil du Roi se réunit sans Coligny, soigné au Louvre, où la plupart des protestants montés sur Paris étaient logés. Craignant une révolte protestante, le Conseil décrète la proscription de Coligny et de plusieurs chefs huguenots.
La proscription était censée être encadrée par les gardes-suisses du pouvoir royal et par la milice de la ville, pour éviter les débordements. Or, lorsque les meurtres commencent le 24 août au matin, ce sont supposément ces mêmes gardes qui ont laissé la proscription se transformer en pogrom populaire.
Lorsque les cloches de l’église Saint-Germain-L’auxerrois sonnent, le peuple parisien se réveille, mais surtout se déchaîne. Aucun protestant n’est épargné : homme, femme, ou enfant sont tous exposés au pire. Le massacre dure 6 jours et se termine donc le 30 août. Coligny est assassiné, comme plus de 4 000 autres protestants, dont les corps sont jetés dans la Seine, devenue rouge le temps de la Saint-Barthélemy. Deux chefs huguenots ont été épargnés, dont le récent mari de la reine Margot, Henri de Navarre, futur Henri IV à la mort du roi Louis IX.
La proscription transformée en véritable massacre de la part des catholiques demeure un événement qui marque toute une ville et tout un pays, mais surtout qui résonne encore aujourd’hui à travers les pierres de Paris.
Paris, ville mémoire du massacre
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Bien qu’assez discrète, la ville de Paris entretient la mémoire de la Saint-Barthélemy. Pourtant, il a fallu attendre 1889 avant que la capitale française ne présente un premier lieu de recueillement du massacre de 1572. Directement en lien avec l’assassinat de l’Amiral Gaspard de Coligny, le Monument de l’amiral Gaspard de Coligny est inauguré le 17 juillet 1889. Il s’agit d’une œuvre de Gustave Crauk, érigée rue de Rivoli, au chevet du temple protestant de l’Oratoire du Louvre, ancienne église catholique romaine mise à disposition de la religion protestante. Non loin de cette statue, entre le Louvre et l’église Saint-Germain-L’auxerrois, se trouve une rue au nom de l’Amiral, débouchant d’un côté sur la Seine et de l’autre sur la rue de Rivoli.
Le 23 août 1997, à l’occasion des journées mondiales de la jeunesse à Longchamp, le pape Jean-Paul II avait marqué les esprits avec une allocution à la veille du 425ème anniversaire du massacre de la Saint-Barthélemy. Le pape avait évoqué et reconnut « un douloureux massacre » commis par les chrétiens, en contradiction avec les valeurs de l’Évangile. En saluant les démarches engagées par les évêques français, il avait encouragé un pardon mutuel entre catholiques et protestants, en mettant en avant la nécessité du dialogue et de l’unité. La Fédération protestante de France avait accueilli cette déclaration avec reconnaissance. Son président, le pasteur Jean Tartier l’avait qualifiée d’ « essentielle ».
Plus récemment, le 13 avril 2016, La mairie de Paris a inauguré une plaque en mémoire des victimes de la Saint-Barthélemy, sur la berge nord de l’Île de la Cité, près du Pont-neuf et non loin du Louvre et de la rue de l’Amiral de Coligny. Organisée en présence de la maire Anne Hidalgo, cette cérémonie a été menée en collaboration avec la Fédération protestante de France, représentée par son président François Clavairoly, et la Société de l’histoire du protestantisme français, représentée par le professeur Olivier Millet. Le maire du 1er arrondissement, Jean-François Legaret, avait également pris la parole lors de cet hommage, destiné à rappeler un épisode sombre de l’histoire parisienne et de la religion catholique. La plaque gravée dans la pierre porte l’inscription suivante : « Le 24 août 1572 et les jours suivants, Paris a été le théâtre du massacre de la Saint-Barthélemy. Après l’amiral Gaspard de Coligny, plusieurs milliers de protestants furent assassinés du fait de leur religion. » Deux vers d’Agrippa d’Aubigné, extraits de Les Tragiques, suivent ce texte : « Jour qui avec horreur parmi les jours se compte, / Qui se marque de rouge, et rougit de sa honte. ».
Une mémoire partagée à travers la France
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Faute de sources suffisantes, la Saint-Barthélemy est également connue pour être un événement dont les raisons sont toujours débattues par les historiens. Denis Crouzet la qualifie même d’ « événement sans histoire » tant les témoignages sont vagues et ambigus. Si l’hypothèse que ce soit le pouvoir royal français qui ait déclenché cet événement reste la plus probable, différents facteurs sont à prendre en compte. L’auteur de l’arquebusade sur Coligny n’a jamais été identifié. En outre, de nombreux textes montraient Charles IX comme un roi faible, gentil et facilement manipulable. Il se pourrait donc que le massacre se soit fait sans l’assentiment de ce dernier et sur ordres de sa mère. Catherine de Médicis aurait donc utilisé le mariage de sa fille comme prétexte pour exterminer les principaux chefs protestants et ainsi mettre un terme à la troisième guerre de religion qui se déroulait alors. Sans pour autant se douter d’un tel débordement.
Pourtant, il ne faut pas exclure l’hypothèse de l’intervention d’un acteur extérieur. En-dehors du mariage si les protestants se sont retrouvés en masse à Paris, c’est qu’ils étaient en marche vers les Pays-Bas pour libérer le peuple hollandais du joug espagnol du roi Philippe II. Aux yeux de ce dernier, les huguenots, en particulier Coligny qui siégeait au Conseil du Roi, représentaient une menace qu’il fallait éliminer.
Le flou qui règne autour de la Saint-Barthélemy n’explique pas non plus pourquoi les massacres se sont multipliés à travers la France. Certains historiens s’accordent à dire que le Roi avait ordonné l’arrêt des « combats » dès le 24 août au matin, et envoyé des missives dans les villes pour maintenir la paix, tandis que d’autres disent qu’il aurait ordonné de procéder comme à Paris. Pourtant, c’est presque partout qu’on exécuta une partie au moins de ces ordres secrets : les protestants furent enfermés dans leurs maisons, ou conduits dans les prisons, et leurs biens furent confisqués. L’historien Jules Michelet parle ainsi d’ « une saison des Saint-Barthélemy » tant les massacres se sont propagés dans la France : Orléans, Saumur, Bordeaux, Toulouse…
Si les différents actes de violences à travers la France n’égalaient pas ceux de Paris, c’est la ville de Lyon qui s’en rapproche le plus. Les protestants, jusque-là mis en prison, y sont pour la plupart tués le 31 août 1572 avec notamment l’aide la police, comme à Paris. Les corps sont ensuite jetés dans la Saône. Cet autre massacre aura par la suite le nom de « vêpres lyonnaises ».
Si environ 4 000 Huguenots ont été tués à Paris, ce chiffre s’élève à plus de 10 000 protestants morts dans toute la France. Le nombre de 30 000 est avancé par certains anciens historiens comme Jacques-Auguste de Thou.
C’est donc tout un pays qui doit entretenir la mémoire de la Saint-Barthélemy. Le 24 août 2002, à Nantes, catholiques et protestants, mais aussi orthodoxes et évangélistes, se sont réunis pour le 450ème anniversaire de la Saint-Barthélemy pour une marche de la paix en mémoire des massacres du pogrom populaire de 1972. D’abord partis du parvis de la cathédrale, les participants avaient aussi rendu hommage aux autorités nantaises de 1572 qui avaient choisi de protéger les Huguenots. Une veillée de prière au Temple s’en est suivi, marquée par des témoignages de réconciliation. C’est toute la religion chrétienne qui a su s’unir pour faire honneur à l’une des plus grandes injustices de l’histoire de France, soulignant ainsi les nombreux efforts de réconciliation entre catholiques et protestants.
Quelle relation entre les catholiques et les protestants aujourd’hui ?
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Il faut attendre le début du XXe siècle pour que la marche vers la paix entre catholiques et protestants commence vraiment. À l’initiative du pape Jean XXIII et du concile Vatican II, une grande conférence internationale de missionnaires s’est tenue en 1910 à Édimbourg en Écosse avec la ferme intention d’abaisser et de relativiser les frontières confessionnelles. Pour les historiens, cela marque le début du mouvement œcuménique moderne. Plus récemment encore, en 2017, le pape François s’est rendu en Finlande et a affirmé en audience à une délégation de l’Église luthérienne de Finlande que l’action de Luther (fondateur des premiers textes protestants) eut pour but de renouveler l’Église et non de la diviser. Ce dernier a beaucoup œuvré pour faire progresser la relation entre catholiques et protestants, malgré un passé violent et meurtrier entre ces deux branches de la religion chrétienne, qui sont maintenant en quête de réconciliation et d’unité.
Paris a été le théâtre principal et témoin silencieux d’un massacre religieux, où les autorités autant que le peuple ont été impliqués. Les massacres qui suivirent à travers toute la France, impliquent un devoir national de mémoire de la Saint-Barthélemy. Il aura fallu plusieurs centaines d’années avant que des lieux et événements de commémoration soient mis en place pour continuer à faire vivre cette mémoire de la Saint-Barthélemy à travers les âges. Un travail de mémoire qui depuis sert l’ensemble de la religion chrétienne. Car loin d’être figée dans le passé, la mémoire de la Saint-Barthélemy continue d’interroger la France d’aujourd’hui, et les commémorations récentes montrent un désir de réconciliation et d’unité autour de valeurs communes.
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Légende : Le Massacre de la Saint-Barthélemy, de François Dubois, musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne.
Source bandeau photo : Wikimedia Commons
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(*) Corentin Meyer est un étudiant en licence d’Information et communication – Audiovisuel et médias, à l’Université Jean-Moulin Lyon 3. Passionné par le cinéma et la littérature, il débute son parcours académique en entrant dans la CPGE Lettres du lycée Édouard Herriot à Lyon, établissement proposant la spécialité cinéma. Après avoir suivi pendant deux ans des enseignements appuyés lui permettant de mieux analyser les enjeux du monde actuel, il décide de continuer son parcours à l’université pour se former à des pratiques à la fois audiovisuelle, communicationnelle et journalistique. Il est maintenant stagiaire journaliste chez ESPRITSURCOUF. |

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