Suez,
les raisons d’un échec
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Pierre Houste (*)
Bachelor en Relations internationales
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Il y a 69 ans, la crise du canal de Suez (29 oct.-7 nov. 1956) a été un échec cuisant pour les forces impliquées. La France et le Royaume-Uni ont vu leur influence héritée de l’ère coloniale largement diminuer. Ce qui est moins connu, ce sont les causes de cet échec. Elles sont nombreuses, du désaccord permanent franco-britannique au contexte général de la guerre froide qui a failli faire dégénérer la situation.
La situation complexe menant au conflit
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Après la fin de la Première Guerre mondiale, les possessions moyen-orientales de l’empire ottoman ont été partagées entre la France et le Royaume-Uni. Paris a ainsi exercé un mandat sur la Syrie et le Liban, et Londres sur la Palestine, la Jordanie, et l’Irak. Dans le contexte de la guerre froide, le Moyen-Orient devient une région stratégique afin de lutter contre l’expansion du communisme. L’URSS se situant au nord, et ayant des frontières avec l’Iran et la Turquie, la menace soviétique était perçue comme sérieuse. Pour contrer cette menace, le Royaume-Uni a fondé, le 27 février 1955, le pacte de Bagdad, comprenant la Turquie, l’Irak, l’Iran et le Pakistan ainsi que le Royaume-Uni. Bien que peu efficace dans les faits, sa création suscita tout de même une très forte opposition de la part des pays proches de l’Union Soviétique, comme l’Egypte et la Syrie.
Une autre menace dans la région était le nationalisme arabe et l’anti-occidentalisme. Les gouvernements nationalistes étaient dangereux pour les intérêts occidentaux. On a pu le voir avec la nationalisation du pétrole iranien, jusque-là détenu par l’Anglo-Persian Oil, compagnie britannique, en 1951 sous l’impulsion de Premier ministre iranien Mohamed Mossadegh. Cette décision a fortement impacté les intérêts stratégiques britanniques et traduit un sentiment anti-occidental très présent au Moyen-Orient.
La France était la plus concernée par le problème du nationalisme arabe, à cause de l’Algérie qu’elle possède alors depuis 1830. En 1954, les populations arabes, largement majoritaires par rapport aux colons européens se révoltent face à la présence coloniale française. C’est le début de la guerre d’Algérie, qui va avoir des conséquences très importantes sur les agissements de la France pendant la crise du canal de Suez.
De son côté, Israël avait été en guerre avec ses voisins dès sa création et jusqu’en 1949. Son existence même était menacée par les pays arabes l’entourant. Ainsi, une guerre contre l’Egypte lui permettrait de s’affirmer sur la scène régionale et de défendre ses intérêts face aux menaces le visant. La France voyait Israël comme une opportunité de garder un allié dans la région moyen-orientale, largement hostile à la présence occidentale, alors que son influence se réduit à peau de chagrin notamment à cause la guerre d’Algérie et de son statut de puissance coloniale.
En 1952, Gamal Abdel Nasser arrive au pouvoir en Egypte. C’est un ferme opposant au pacte de Bagdad et à l’interventionnisme occidental dans la région en général. Dirigeant nationaliste et socaliste, il se revendique neutre et préfère rejoindre le mouvement des non-alignés en ne choisissant ni les Etats-Unis ni l’URSS, ce qui lui permet en outre de s’affirmer en tant que leader à la fois du Tiers-Monde et du panafricanisme, mouvement duquel il se revendique. Dans un contexte de vulnérabilité du Moyen-Orient face au communisme, la neutralité de Nasser frustre les Etats-Unis, qui refusent finalement de financer la construction du barrage d’Assouan, ouvrage monumental qui devait réguler les crues du Nil. Le barrage sera plus tard construit grâce à des financements soviétiques. En réponse au retrait américain du projet, et plus globalement de l’engagement du bloc occidental au Moyen-Orient, Nasser nationalise le canal de Suez, une artère vitale pour l’approvisionnement de l’Europe en pétrole du Golfe Persique.
Les désaccords franco-britanniques
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Face à la nationalisation du canal de Suez, la France et le Royaume-Uni décident d’une intervention militaire afin d’occuper la zone. Les combats commencent le 29 novembre 1956, mais les préparatifs seront minés durant toute l’année par les différences de points de vue et d’intérêts stratégiques majeurs entre les gouvernements britanniques et français.
Comme évoqué précédemment, le Pacte de Bagdad, créé par le Royaume-Uni, est très loin de faire l’unanimité. La France peine en effet à voir l’utilité d’un tel pacte et le pense même nuisible. Du point de vue de Paris, le système d’alliances établi par Londres, qui est censé agir comme un rempart face au communisme au Moyen-Orient, a l’effet inverse et provoque plus l’URSS plutôt qu’elle la bloque.
Longtemps, la Grande-Bretagne sera réticente à coopérer avec la France à cause de son implication dans la guerre d’Algérie. En effet, les Britanniques voient mal comment l’armée française peut lutter sur deux fronts à la fois.
D’autres dissensions apparaissent entre les politiques moyen-orientales britanniques et françaises. Le sujet d’Israël est particulièrement brûlant, la France étant un allié très proche de ce dernier, et le Royaume-Uni étant particulièrement méfiant envers le jeune Etat. En 1950, un pacte tripartite avait été signé entre Paris, Londres et Washington après la guerre israélo-arabe de 1948-1949. L’accord stipule qu’aucun des trois signataires ne doit fournir d’armes à aucun des belligérants du conflit afin de préserver la stabilité de la région. Or, la France vend des armes en masse à l’Etat hébreu jusqu’en 1956.
Le Royaume-Uni accuse la France de vouloir faire échouer volontairement l’accord de 1950. Le soutien français à Israël s’accentuera avec l’arrivée d’un nouveau gouvernement en janvier 1956, celui de Guy Mollet. Ce Cabinet, comptant beaucoup de résistants, montre une sympathie plus grande pour les populations juives vivant au Moyen-Orient que le gouvernement britannique. Ces désaccords vont s’étendre aux préparatifs de l’intervention en Egypte, la Grande-Bretagne souhaitant laisser Israël en dehors de l’affaire, tandis que la France soutient la position contraire. L’Etat juif rejoindra finalement définitivement la coalition le 24 octobre 1956, 5 jours avant le début de l’opération et lancera même l’assaut avec l’invasion du Sinaï le 29 novembre.
L’objectif initial de l’opération était de destituer Nasser, de le remplacer par un gouvernement allié de la France et du Royaume-Uni et de contrôler la zone du canal jusqu’à la stabilité revienne en Egypte.
La menace d’une guerre globale et le retrait des forces franco-britanniques
Dès le début de l’intervention franco-britannique dans la région du canal, les Etats-Unis et l’URSS ont exprimé leur profonde désapprobation face au projet.
Washington a une longue histoire de lutte contre le colonialisme, et voit le débarquement de soldats européens en Egypte comme une tentative de reprendre le contrôle, largement diminué depuis la fin du dernier conflit mondial, que les Français et les Britanniques avaient sur le Moyen-Orient. De son côté, l’URSS voit l’Egypte comme un premier pied posé dans la région, et comme une base avancée pour son offensive de charme vers les pays du Tiers-Monde. Ainsi, un renversement de Nasser, socialiste lui-même, serait catastrophique pour Moscou qui devrait recommencer tout ce qu’elle a entrepris dans la région, très influencée par les Britanniques et les Américains.
Pour autant, l’opposition des deux superpuissances n’a pas arrêté les efforts français, britanniques et israéliens. Il aura fallu que l’URSS menace d’utiliser l’arme nucléaire contre les trois pays pour que ceux-ci se retirent. Les Etats-Unis ont déclaré que l’OTAN était prête à réagir si l’Union Soviétique passait aux actes, frôlant ainsi un nouveau conflit mondial.
L’intervention à Suez a donc été un échec et a renforcé Nasser à l’international. Cette victoire pour l’Egypte, bien qu’inférieure militairement, a affirmé son rôle de chef du mouvement des non-alignés avec d’autres pays émergents et anti-impérialiste comme l’Indonésie ou l’Inde. Les conséquences pour la France et la Grande-Bretagne ont été terribles, cette crise marque la fin définitive de leur politique interventionniste et leur mise en retrait de la politique internationale. Désormais, seuls les Etats-Unis et l’URSS sont les acteurs principaux de la scène mondiale.
Source photo : Wikipédia – « The Egyptian-Japanese Friendship Bridge in El Qantara, Egypt. »
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Pierre Houste (*) est un étudiant à l’ILERI en 2e année de bachelor en relations internationales au campus de Paris. Il publie chaque mois une newsletter résumant l’actualité internationale sur son compte LinkedIn et souhaite devenir journaliste dans un média d’actualité internationale. |

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