PRÉSIDENTIELLES : L’IMPLOSION DU POLITIQUE …
S’il n’y a qu’un livre à lire sur et pour la prochaine élection présidentielle et prendre la mesure de la crise de notre démocratie, c’est bien celui-là : Fin de partie – Requiem pour l’élection présidentielle1 de Vincent Coussedière. Tout y est : l’implosion du politique, le diktat des images, l’information-émotion, la médiocrité des acteurs et actrices, l’érection de l’individu contre la collectivité, l’implosion du sens… autant de propositions et corollaires d’une étude raisonnée de L’Idéologie réformiste qui a remplacé les grands récits de la Guerre froide.
Dans ce Discours de la méthode, Vincent Coussedière nous réveille de notre sommeil dogmatique ou plutôt de la paresse du temps. Il nous aide à ouvrir les yeux de nos raisons afin de comprendre ce qui nous arrive et comment c’est arrivé ! Cet agrégé de philosophie n’en n’est pas à son premier coup de semonce : on lui doit déjà un Eloge du populisme (Elya, 2012) et Le Retour du peuple – An I (Editions du Cerf, 2016). Fin de partie – Requiem pour l’élection présidentielle achève avec brio cette trilogie nécessaire et salutaire.
Après le débat télévisé à onze, il fallait voir l’une de ses deux animatrices, au bord du contentement suprême, s’auto-congratuler d’avoir ainsi mener à bien « cette première historique ». Première de Primaires – en effet – qui signent la victoire d’une Société du spectacle capable de tout, même du pire2. « Le cours de l’Histoire est essentiellement ironique. C’est de cette ironie que nous faisons les frais aujourd’hui, dans l’attente d’une élection présidentielle inutile. En 1962, de Gaulle avait voulu mettre le président au-dessus des partis, en changeant la Constitution pour permettre son élection au suffrage universel. C’est exactement le contraire qui s’est produit : l’élection présidentielle est devenue la chose des partis, leur unique préoccupation, et le système des primaires n’y a rien changé, au contraire : il a encore renforcé l’emprise des partis sur le choix du président », constate Vincent Coussedière en levée de rideau de sa déconstruction de L’Idéologie réformiste.
En effet, cette conférence de presse gesticulée à onze n’est, somme toute, que la dernière manifestation d’une longue déglingue amorcée, notamment par l’auteur du Coup d’Etat permanent, qui s’était complaisamment et tellement vautré dans tous les privilèges – autant de dévoiements des institutions de la Vème République qui avaient été taillée aux mesures d’un homme d’exception -, usant et abusant d’un bon plaisir allant jusqu’à faire – entre autres carabistouilles – de Bernard Tapie un ministre de plein emploi ! Jacques Chirac finissant n’a pas redressé la barre, au contraire. Fin de partie : « Nicolas Sarkozy et François Hollande sont les derniers surgeons de ce processus. En se pliant aux primaires, ils n’ont fait qu’acter l’effondrement de la légitimité populaire – c’est-à-dire de la République ». En nommant son ami de promotion Jean-Pierre Jouyet secrétaire général de l’Elysée après que celui-ci fût Secrétaire d’Etat aux Affaire européennes de son prédécesseur, François Hollande a, passablement contribué à finir de casser le jouet.
Aux affaires Cahuzac, Thomas Thévenoud, Aquilino Morelle et Julie Gayet – entre autres -, ce président « normal » d’une République « exemplaire » a ajouté la cerise sur le gâteau de l’idéologie réformiste : le « mariage pour tous », un dossier qui a monopolisé l’essentiel de l’énergie politique de la totalité du pays pendant près de deux ans ! Quel sens des priorités dans un pays dont près de 10% de la population active reste sans emploi ! De cette distorsion aberrante, morbide et anomique, Vincent Coussedière tire les leçons et façonne les rouages du réacteur conceptuel de son Discours de la méthode : « L’idéologie réformiste et le faux pluralisme du système partisan français ont détruit en profondeur et durablement la capacité de notre société à sélectionner des hommes et des femmes capables de gouverner la France. Comment pourrait-il en être autrement, puisqu’elle présente l’anti-politique comme le summum de la politique ? Elle sélectionne ceux qui seront prêts à se dévouer à l’Individu, et qui considèrent les exigences du bien commun comme insupportables, ou les présentant au contraire comme miraculeusement harmonisées avec celles de l’Individu. Comment de tels hommes pourraient-ils mener une guerre, laquelle est l’épreuve même de la réalité d’une communauté capable de recevoir le sacrifice de l’individu ? Comment pourraient-ils mener une guerre, eux qui, au contraire, ont sacrifié la communauté française, appelée république, sur l’autel de l’Individu ? »
Ici et ailleurs, Vincent Coussedière rejoint notre ami Hervé Juvin – grand pourfendeur de sophismes – dont on a tout intérêt à suivre les aventures de terrain – qui rejoignent l’implacable démonstration de Fin de partie – Requiem pour l’élection présidentielle : « nous ne serons pas longtemps des individus libres si la France n’est pas libre. Nous n’aurons guère de droits si la France ne dit pas nos droits. Fiction de la politique des droits de l’homme, qui suppose l’infrastructure nationale que par ailleurs elle s’acharne à détruire ! nous savons que l’avènement de l’individu de droit menace notre existence même et notre liberté nationale. Nous découvrons que le gouvernement du désir n’est pas le gouvernement des intérêts particuliers sans limites ; le coût ne serait pas seulement notre liberté politique, le coût serait notre vie elle-même »3.
C’est toute la question et, en définitive, la lâcheté de ces hommes et femmes politiques et hauts fonctionnaires d’aujourd’hui utilisant toute leur énergie à Ubériser la politique – additionnant les revendications corporatistes de minorités plus ou moins constituées -, croyant que les droits de l’homme peuvent faire une politique étrangère, que les vélibs et autres rollers peuvent faire une politique de la ville, que les start-ups peuvent faire une politique économique et, au final, qu’en empilant ces groupes d’individus on fabrique une nation… Quel sophisme ! Suprême illusion, suprême imposture, suprême renoncement avant le retour des malheurs qui – pour reprendre les mots d’Hervé Juvin – menacent « notre vie elle-même ».
Au terme de sa magistrale leçon d’anatomie de L’Idéologie réformiste, Vincent Coussedière conclut : « il y a fort à parier qu’en cas d’arrivée au pouvoir le FN suivrait la même trajectoire que les socialistes en leur temps avec le virage de 1983 : une ou deux années d’amateurisme dans la gestion d’une sortie de l’UE et dans le durcissement concernant la sécurité, l’islam et l’immigration suffiraient à un retour de bâton. On arguerait de la nécessité d’être « réaliste » pour s’adapter aux contraintes de l’Europe multiculturelle. Bref, avec Marine Le Pen, L’Idéologie réformiste reprendrait ses droits, après une ou deux années de romantisme et de gesticulation autoritaire pour donner le change. Tout aurait changé pour que rien ne change ».
En deux mots, Fin de partie – Requiem pour l’élection présidentielle : à lire absolument de toute urgence ! Bonne lecture…
Richard Labévière
1 Vincent Coussedière : Fin de partie – Requiem pour l’élection présidentielle. Editions Pierre-Guillaume de Roux, février 2017.
3 Hervé Juvin : Le Gouvernement du désir. Editions Gallimard, octobre 2016.