SYRIE : POURQUOI LA DIPLOMATIE FRANÇAISE CONTINUE À NE RIEN COMPRENDRE !
Alain Chouet
Nous reprenons ces quelques lignes écrites le 14 décembre dernier par Alain Chouet – ancien chef du renseignement de sécurité de la DGSE –
La rédaction d’ESPRITSURCOUF.fr
La sphère politico-médiatique occidentale – et française en particulier – découvre sur le mode lacrymal que la guerre est atroce…
Elle l’est d’autant plus quand il s’agit d’une guerre civile au sein d’une société féodale aux pratiques médiévales.
Dans ce type de société, le pouvoir et le prestige se mesurent à la capacité du suzerain de protéger ses vassaux et de nuire aux vassaux des autres pour mieux atteindre leur suzerain.
Et dans ce type de guerre, l’ennemi doit être anéanti, castré physiquement et moralement, détruit dans son essence « jusqu’à la septième génération » (jusqu’au fond des chiottes comme dit élégamment Vladimir Poutine).
Comme on disait à l’époque : « Ville prise ! Sac et pillage ! Violez et éventrez les femmes, massacrez les enfants qui sont auant de porteurs des vengeances de demain »…. Et comme disait Evtouchenko aux soldats de l’Armée rouge en 1945 : « Il faut violer les femmes de l’ennemi pour tuer à jamais la fierté raciale des Allemands ».
Je n’ai aucun doute sur le fait que dans ce conflit, toutes les parties sans aucune exception – à commencer par l’armée du régime et ses milices alliées – ont commis les pires atrocités. Les Occidentaux oublieront, ils ont la mémoire courte (tiens ? où en sont les lycéennes enlevées par Boko Haram ?). Les locaux se souviendront longtemps…
Je note tout de même au passage que l’OSDH (source unique des médias français…) comptabilise comme « victimes civiles » les miliciens armés de l’opposition qui sont effectivement des civils puisqu’ils ne sont pas militaires… Cela n’excuse évidemment en rien le reste mais est significatif de la façon dont les choses sont rapportées depuis 5 années.
C’est pour ne pas avoir compris la dimension communautaire et féodale de ce conflit que les Occidentaux (Français en tête comme d’habitude) ont fait tous les mauvais choix et pris toutes les mauvaises décisions depuis 2011, en ne faisant qu’aggraver la tragédie humaine de cette guerre.
Il ne s’est jamais agi de « la révolte d’un peuple contre un dictateur » mais de l’exaspération d’une communauté contre une autre. Les Sunnites de Syrie ne demandaient pas la démocratie. Ils voulaient un leader autoritaire qui use de son autorité pour orienter la rente vers eux aux dépens des autres communautés.
C’est bien pourquoi une majorité de la bourgeoisie sunnite a rallié le pouvoir alaouite qui lui a consenti de espaces de prospérité économique en échange de leur renonciation à des droits politiques parfaitement inquantifiables. Et c’est en grande partie ce qui explique la survie du régime.
Je note au passage que le régime organise depuis deux ans un véritable « nettoyage ethnique » du pays par le biais de la redistribution foncière (comme l’avait fait Hafez dans les années 70).
Le régime est en train de redistribuer les biens immobiliers des émigrés (majoritairement des middle-class sunnites qui avaient les moyens de payer les passeurs vers l’Europe) au profit des sunnites les plus pauvres. Ce faisant, il fidélise les démunis sunnites après avoir fidélisé les bourgeois, il interdit pratiquement le retour des middle class sunnites ce qui fait baisser le poids relatif de la majorité sunnite dans le pays au profit des minorités qui voient en lui un rempart communautaire (alaouites, chrétiens, druzes, ismaéliens, chiites, etc).
Vladimir Poutine, lui, qui sait parfaitement ce qu’est un système féodal puisqu’il en dirige un, a très bien compris tout cela.
Inutile de se fatiguer à combattre Da’esh qui s’est rendu suffisamment haïssable pour que la planète entière, Occidentaux en tête, s’en occupe. C’est leur problème, à eux de le résoudre.
Son objectif est le maintien au pouvoir du plus puissant suzerain local dont il entend bien se faire un vassal et faire un exemple pour que tous les potentats de la région aillent chercher protection à Moscou et faire acte d’allégeance.
Cela passe par l’éradication de tous les opposants au régime de Bashar, qu’ils soient ou pas démocrates (animal devenu rare) et par la déconfiture spectaculaire et médiatisée des Occidentaux pusillanimes et inconstants. Ce n’est pas lui qui a invité Ben Ali, Moubarak, Kadhafi et Bashar sous les ors de la République avant de réclamer leur tête au bout d’une pique….
Plus nos responsables politiques pleurnicheront à la télé, plus cela fera ses affaires et plus sera mis en valeur l’impassible sérieux clinique du redoutable Lavrov.
L’appel désespéré à « la diplomatie humanitaire » signe le désastre d’une diplomatie politique et militaire qui a tout raté. Les larmes et l’indignation hystérique des uns et des autres ne font qu’illustrer cet échec.
Dans cette affaire, notre diplomatie a été pathétiquement inepte. Sa seule excuse est d’avoir mis en oeuvre une politique décidée par un exécutif inculte et démagogue.
Alain Chouet
Site internet : http://alain.chouet.free.fr