Requiem pour le « Mozart de la diplomatie »

Vincent Gourvil (*)
Pseudonyme d’un haut fonctionnaire
Docteur en sciences politiques

Entre rétrospective et bilan, le regard d’un ancien haut fonctionnaire sur la politique de l’actuelle présidence de la République française. Les opinions exprimées ici n’engagent que leur auteur.

 

« Tu fais profil bas ! ». Ainsi, Donald Trump apostrophe-t-il Emmanuel Macron le 13 octobre 2025 en marge du sommet pour la paix à Gaza à Charm-el-Cheikh en Égypte ! La phrase est lourde de sens. Ne traduit-elle pas, en quatre mots aussi brefs que cinglants, le désarroi du diplomate Macron sur la scène internationale, en général, et sur la scène proche et moyen-orientale, en particulier ? Il est vrai, comme le souligne en son temps Jacques Chirac avec le sens aigu de la formule qui le caractérise bien : « Les m., ça vole en escadrilles ». De ce point de vue, le Président de la République est servi. Rien ne va plus. La politique intérieure se transforme au fil du temps, avec un indéniable effet d’accélération depuis la dissolution ratée de juin 2024, en cour du roi Pétaud. La politique étrangère du fringuant Chef de l’État, affublé aujourd’hui du titre peu glorieux « d’irresponsable de la République », est aussi inaudible que peu crédible[i]. L’homme doute de sa puissance (celle du verbe) et de son bon droit (celui des valeurs). Comment en sommes-nous parvenus à ce stade inquiétant pour l’avenir de la France éternelle ? Après le temps béni des leçons de diplomatie prodiguées à la terre entière, que l’on pourrait qualifier de temps des rodomontades correspondant au premier mandat de Jupiter (2017-2022) vient le temps maudit des déconvenues à répétition que l’on pourrait qualifier de temps des reculades correspondant à son second mandat (2022-2025).

Le temps béni des rodomontades

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Le premier mandat d’Emmanuel Macron est marqué au sceau d’une grande stabilité intérieure et d’un appétit de réforme de la gouvernance mondiale afin de la dépoussiérer de ses oripeaux du siècle dernier.

Bénéficiant d’une légitimité incontestable du peuple après les élections présidentielles et législatives, le plus jeune Président de la Cinquième République peut conduire à sa guise le paquebot français, le réformer (en faisant adopter de haute lutte sa réforme des retraites), l’adapter aux multiples défis du XXIe siècle (climat, intelligence artificielle). Nul ne conteste son autorité. Le Monarque Républicain est plus Monarque que Républicain. Tel n’est-il pas l’esprit de la Constitution de la Cinquième République pour en finir avec le chaos de la Quatrième République ? Bon an, mal an, Emmanuel Macron relève au mieux le pari de la jeunesse et de la transgression. Ce lui laisse les mains libres pour évoluer avec aisance sur la scène internationale.

Parfaitement à l’aise dans la langue de Shakespeare, le Chef de l’État brille de tous ses feux dans le concert des nations. Il ne ménage pas sa peine pour secouer le cocotier. Dès l’automne 2017 (Cf son discours de la Sorbonne), le médecin apporte diagnostic et remède à une Union européenne minée par la désunion et l’impuissance. Voulant s’émanciper de la tutelle trop pesante des États-Unis en matière de défense, il décrète « l’OTAN en état de mort cérébrale ». Il négocie avec Vladimir Poutine une architecture de confiance et de sécurité. Conscient des limites de l’ONU et de son mantra de la paix par le droit, il propose sa potion ayant pour nom « multilatéralisme efficace ». Il entérine – du moins en paroles – la fin définitive de la Françafrique. En un mot comme en cent, il veut sortir de sa torpeur le monde d’hier pour le faire entrer de plain-pied dans le monde de demain.

Si la mécanique jupitérienne fonctionne à peu près correctement durant cinq années, quelques grains de sable viennent sérieusement la dérégler durant le second acte de sa présidence martiale.

Le temps maudit des reculades

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Un constat d’évidence s’impose. Le second mandat d’Emmanuel Macron conforte l’idée que la parole de la France est de plus en plus inaudible dans le concert des nations au fur et à mesure que la République française, telle qu’elle est devenue, n’est plus jugée comme un régime sérieux. Nous en avons une illustration éclairante avec deux évènements presque concomitants qui se déroulent à l’intérieur (5 octobre 2025) puis à l’extérieur (13 octobre 2025).

Pour ce qui est du premier, nous venons de connaître un épisode burlesque dans l’histoire de la République, cinquième du nom. Un Premier ministre, Sébastien Lecornu qui présente un gouvernement dont la durée de vie a été de quatorze heures, qui, à peine sorti par la grande porte de Matignon, revient par la fenêtre, est quelque chose d’inédit. Le général de Gaulle doit se retourner dans sa tombe. Par une facétie dont l’Histoire a le secret, notre pays replonge dans les errements, l’instabilité de la Quatrième République. Instabilité politique et économique, toutes choses qui entament fortement le crédit de la France à l’extérieur[ii]. Lorsque le pacte de confiance entre le Chef de l’État et le peuple est questionné, la fonction présidentielle devient impossible à accomplir[iii]. Au passage, la réforme des retraites est suspendue. L’impuissance jupitérienne paralyse le fonctionnement de l’État et entraîne la France dans le chaos. Ce qui n’échappe pas aux chancelleries étrangères et aux médias traitant des questions internationales.

S’agissant du second, nous nous en tiendrons à un seul exemple significatif. La scène se déroule au pays des pyramides. En pleine crise intérieure (crise de régime ou institutionnelle), le ludion du Palais de l’Élysée s’envole en catastrophe vers l’Égypte « pour soutenir la mise en œuvre de l’accord entre Israël et le Hamas » à la conclusion duquel il n’est pas partie prenante[iv]. Au contraire, il ne retire aucun bénéfice diplomatique concret de sa reconnaissance sans condition d’un État de Palestine. Notons, que ce mince espoir de paix est à mettre au crédit de l’homme à la mèche blonde et de ses deux missi dominici, Steve Witkoff et Jared Kushner, vilipendés par la bien-pensance germanopratine[v]. Ajoutons que « notre Europe » n’a pas été conviée à Charm el-Cheick. Ce qui démontre, s’il en était encore besoin sa vacuité et son impuissance. Le plus grave est que la parole de la France, qui a longtemps porté sur le plan diplomatique, est devenue totalement inaudible. Faire le VRP diplomatique lorsque l’on est incapable de gouverner son propre pays est pathétique, ridicule. Malheureusement, c’est la France, aussi, qui est ridiculisée[vi]. Surtout à la lecture des communiquées lunaires de l’Élysée sur le sommet en Égypte[vii]. Nous apprenons que notre bon maître doit s’entretenir « avec ses partenaires sur les prochaines étapes de mise en œuvre du plan de paix ». Ce déplacement « s’inscrit dans la continuité de l’initiative franco-saoudienne et des travaux engagés à New York en septembre dernier pour la mise en œuvre d’un plan de paix et de sécurité pour tous au Moyen-Orient, fondé sur la solution à deux États ». Ceci se passe de commentaires.

L’heure de vérité pour la diplomatie française ?

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« Le temps est venu »,
martèle Emmanuel Macron à propos de la pleine reconnaissance de l’État de Palestine le 22 septembre 2025 à New-York en marge de la 80ème session de l’Assemblée générale de l’ONU. L’on pourrait rajouter, malicieusement, de redescendre sur terre[viii] tant la France est un champ de ruines qui inquiète nos principaux partenaires. Le temps n’est-il pas venu de redonner sa dignité perdue, par la faute de Jupiter, à la diplomatie française ? Dignité au sens où l’entend Romain Gary dans son roman intitulé La nuit sera calme publié en 1974 à savoir « La dignité n’est pas quelque chose qui interdit l’irrespect : elle a au contraire besoin de cet acide pour révéler son authenticité ». Irrespect que pratique habilement le général de Gaulle en son temps, y compris à l’endroit de l’Oncle Sam. Faute de quoi, comme le souligne fort justement David Lisnard (entretien avec Cnews, 13 octobre 2025) : « La France est condamnée à être une figurante bavarde de la diplomatie mondiale ». Tout est dit et bien dit de l’état de l’action extérieure de notre pays sous le règne empreint de magnificence et de munificence de Jupiter. Les désillusions sont manifestes pour celui qui a eu à cœur de transformer de fond en comble la diplomatie de la « Grande nation » comme le démontre sa réforme drastique du corps diplomatique en 2022. In fine, l’automne de l’an de grâce 2025 n’est-il pas en train de devenir le cadre du requiem pour le Mozart de la diplomatie ?

[Ii] Vincent Gourvil, De l’intérieur à l’extérieur : la France qui tombe !, www.espritsurcouf.com , 16 mai 2025.
[ii] Éric Albert, UE : la France risque d’être le maillon faible, Le Monde, 14 octobre 2025, p. 17.
[iii] Bertrand Renouvin, La nudité du faiseur de pluie, www.bertrand-renouvin.fr , 20 octobre 2025.
[iv] Trump se pose en faiseur de paix au Moyen-Orient, Le Monde, 15 octobre 2025, p. 1.
[v] Piotr Smolar, Le succès de la diplomatie hors norme du président américian, Le Monde, 15 octobre 2025, p. 4.
[vi] Stéphane Buffetaut, France : « Le Grand Timonier » a perdu la boussole !, www.bvoltaire.fr , 12 octobre 2025.
[vii] Arnaud Florac, Trump fait la paix, Macron joue des coudes pour être sur la photo, www.bvoltaire.fr , 13 octobre 2025.
[viii] Jean Daspry, Reconnaissance d’un État palestinien : le temps est venu … de redescende sur terre », www.lediplomate.media, 25 septembre 2025.


(*) Vincent Gourvil est le pseudonyme d’un haut fonctionnaire, par ailleurs Docteur en sciences politiques.