Les insuffisances de la lutte
contre l’islamisme et le terrorisme
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Eric Stemmelen (*)
Commissaire divisionnaire honoraire de Police,
Ancien responsable du S.P.H.P.
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Depuis des années, la France est victime non seulement de nombreuses atteintes aux valeurs républicaines, dont la laïcité, mais aussi d’attentats terroristes. Ces deux phénomènes ont un point commun : l’islamisme militant. Diverses lois ont été adoptées dont celle de 2010 dont les limites en matière d’application interpellent.
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L’islamisme militant a été trop longtemps nié par les autorités. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Si les opérations extérieures de l’armée française contre le terrorisme sont terminées avec plus ou moins de succès en Afghanistan, en Irak, au Sahel, il reste un problème majeur : celui de l’islamisme militant qui gangrène une part de plus en plus importante de la population en cherchant à imposer la loi islamique au sein de la République française avec son aboutissement ultime : l’attentat terroriste islamiste. Ce dernier est de plus en plus commis par des citoyens français qui se réclament de la religion musulmane.
Face à cette menace existentielle de la société les responsables politiques, par peur de stigmatiser une partie de la population, ont pris beaucoup de retard à nommer les choses pour paraphraser Albert Camus dans son étude Sur une philosophie de l’expression, publiée en 1944 : « Mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur de ce monde ». La réaction des autorités s’est concrétisée sur le plan juridique par l’adoption de nombreux textes qu’il convient d’analyser sur le plan juridique au travers de deux exemples.
Les lois sur « le voile » sont-elles efficaces ?
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La lutte contre la radicalisation islamiste a conduit le Parlement à voter 2 lois : l’une du 15 mars 2004 visant à interdire dans les écoles et lycées publics les signes ou tenues manifestant une appartenance religieuse ; l’autre du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public.
Ces deux lois visent en pratique à lutter contre le port de tenues islamiques, sans le dire expressément, de peur d’être en contradiction avec la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen et notamment son article 10 garantissant la liberté d’opinions religieuses.
Or, le voile islamique est une manifestation culturelle notamment de la prédominance du patriarcat et non pas comme on le croit souvent une manifestation religieuse.
La loi de 2004 est globalement bien appliquée dans les écoles françaises sauf à Mayotte, devenu département français depuis 2009, sans aucune consultation par referendum de la métropole, au motif que le voile porté par les jeunes filles est traditionnel donc culturel et non religieux. Cette interprétation se heurte à la réalité, à savoir que Mayotte est un département dont 95% de la population est musulmane et que la peur de graves désordres a conduit les autorités à accepter que la loi de la République passe après la loi musulmane. Qui se concrétise aussi par les salles de prières dans les écoles, les établissements coraniques, la justice coutumière rendue par les juges religieux appelés cadis …
La loi de 2004 a été confortée par une note de service de l’éducation nationale du 31 août 2023, qui vise expressément l’interdiction dans les écoles, collèges et lycées publics du port de l’abaya et du qamis considérés comme des tenues religieuses ostentatoires.
En mai 2025, Gabriel Attal ancien Premier Ministre, en tant que chef du Parti Renaissance, a proposé, dans le cadre d’une nouvelle loi sur le séparatisme, d’interdire le port du voile dans l’espace public pour les filles mineures de 15 ans.
En réalité, rien n’est vraiment réglé face à l’influence croissante des islamistes et de l’activisme notamment des Frères Musulmans. C’est ainsi que l’on a pu voir le 5 novembre 2025 des fillettes portant le voile islamique assister aux débats de l’Assemblée nationale !
La loi de 2010 dite « loi sur le voile », dont beaucoup de responsables politiques se félicitent, n’est quasiment jamais appliquée car elle souffre de très nombreux inconvénients :
- Elle sanctionne d’une contravention de 2ème classe (35 à 150 €) son non-respect. Or normalement en application de la Constitution de 1958, une contravention relève du domaine réglementaire c’est à dire du pouvoir du gouvernement et non du domaine législatif.
- Cette loi visait en réalité à lutter contre le communautarisme et le radicalisme islamiste sans jamais les nommer expressément contrairement à la loi de 2004 et à la circulaire de 2023 sur l’interdiction des tenues religieuses dans les établissements scolaires.
C’est ainsi que la loi de 2010 indique que « nul ne peut, dans l’espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage ». Les parlementaires se sont donc basés sur des mesures de sécurité publique pour voter cette loi alors que chacun sait que cette loi a été faite pour interdire le port de la burqa (qui dissimule l’ensemble du visage) et du niqab (qui laisse les yeux découverts). Or les mots burqa et niqab ne sont pas mentionnés (alors que les mots qamis et abaya le sont dans les textes sur l’école) de peur de stigmatiser la population musulmane alors que ces tenues vestimentaires sont la manifestation d’un islam politique et la négation de l’égalité entre hommes et femmes. Comme la loi parle uniquement d’espace public, on en arrive à cette situation absurde où le niqab et la burqa sont interdits sur un trottoir mais autorisés si la femme qui les porte est passagère d’une voiture, car dans cette hypothèse, on n’est plus dans le domaine public mais dans le domaine privé, en oubliant au passage qu’une autre législation celle sur le nudisme indique le contraire : il suffit d’être visible de l’espace public qu’est la rue pour tomber sous le coup de la loi. C’est donc la notion d’espace accessible à la vue du public qu’il fallait employer et non celle d’espace public.
La loi de 2010 interdit à la police ou à la gendarmerie d’user de la coercition pour faire enlever un voile intégral à une contrevenante. Bien évidemment, si celle-ci refuse de décliner son identité ou si elle se rebelle, d’autres textes s’appliquent. Mais dans le cas où une femme commet la seule infraction de port du niqab ou de la burqa dans l’espace public, la police ne peut que dresser un procès-verbal avec une amende non pas perçue immédiatement mais prononcée par le juge (35 à 150 €).
Il n’y pas de statistiques sur le montant réel des amendes prononcées et encore moins sur celles qui ont été effectivement perçues en rappelant que 40% des amendes pénales en France ne sont jamais recouvrées.
Les services de police constatent, quand ils n’en sont pas empêchés par la population des quartiers dits sensibles, qu’environ 2 000 femmes portent le voile intégral en France métropolitaine et dont la moitié sont des récidivistes. Mais ces chiffres sont à relativiser car l’estimation officielle du ministère de l’Intérieur date de 2010.
Dans l’état actuel du droit, une femme voilée a le droit de décliner son identité et de refuser de retirer son voile. Par ailleurs, un nudiste interpellé sur la voie publique ne ressort pas nu du commissariat mais habillé alors que la femme voilée ressort voilée car la loi ne prévoit pas la saisie matérielle de l’objet de l’infraction à savoir la burqa ou le niqab.
Le port du voile intégral trouble l’ordre public mais force est de constater qu’après constatation de l’infraction, le trouble à l’ordre public persiste !
La loi sur le voile prévoit une peine complémentaire consistant à imposer une obligation d’effectuer un stage de citoyenneté pour le contrevenant. Combien de ces stages ont-ils été effectués et avec quels résultats quand on sait que la moitié des femmes voilées ont récidivé et que les stages de déradicalisation sont un échec notoire ? (Revue Esprit Surcouf 258 du 30 mai 2025).
En France, la loi s’applique à tout le monde, aux Français comme aux étrangers sur le territoire national. Va-t-on sérieusement et sans peur du ridicule imposer un stage de citoyenneté française à une qatarie ou à une saoudienne, touriste en France ? Il suffit d’aller à l’aéroport de Roissy Charles de Gaulle pour constater qu’il n’est pas rare de voir une femme se revoiler entièrement le visage dès le contrôle de la Police Aux Frontières passé, sans aucune interpellation pour ces contrevenantes !
La loi prévoit aussi un délit puni d’une peine d’emprisonnement d’un an et d’une amende de 15 000 € pour celui qui impose le port du voile par la violence, la menace, l’abus de pouvoir ou d’autorité. Là aussi, cette loi est inapplicable aux étrangers d’une part parce que l’on ne peut pas recouvrer une simple amende contraventionnelle à l’étranger, d’autre part on risque d’attendre longtemps, pour voir un juge en France envoyer une commission rogatoire internationale en Arabie Saoudite ou au Qatar pour savoir si une touriste ressortissante de ces pays a été obligée par son mari à porter le niqab ou la burqa alors que cette pratique est légale dans ces pays !
Cette loi crée donc une discrimination à l’encontre des citoyens français puisque les citoyens étrangers ne se verront jamais infliger de pénalité.
Dans la réalité, la loi de 2010 dite sur le voile s’applique de moins en moins dans les quartiers des villes françaises où la loi islamique s’est instaurée par l’usage de l’intimidation, de la contrainte et du nombre mais aussi à cause de la peur des autorités d’avoir des émeutes en France et des manifestations hostiles dans les pays à majorité musulmane.
Les lois sur le terrorisme sont-elles efficaces ?
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Depuis 1986, plus de 10 lois ont été adoptées pour renforcer la lutte contre le terrorisme avec notamment la création en 1986 de la Cour d’assises spécialisée pour juger les crimes terroristes avec 3 particularités : uniquement des magistrats professionnels, des verdicts rendus à la majorité simple et une compétence nationale. Il a fallu attendre 13 ans de plus et des centaines de victimes d’attentats pour enfin voir la création d’un Parquet national antiterroriste en 2019.
Les décisions de justice se basent quasi systématiquement sur l’application de la loi du 22 jullet1996 qui a créé l’infraction d’association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un acte terroriste (articles 421-1 et 421-2 du Code Pénal). Or ce délit, puni de 10 ans d’emprisonnement nécessite la commission d’actes matériels (appartenance à un groupe terroriste, mise en place de moyens logistiques, humains, financiers, actes préparatoires etc…. Mais ce qui est le plus intéressant, c’est de remarquer que ces articles du Code Pénal sont regroupés sous la rubrique « des actes de terrorisme » du chapitre 1er du Titre 2 intitulé « du terrorisme » lui-même sous le livre 4 du Code Pénal relatif aux crimes et délits contre la nation, l’Etat et la paix publique.
Or le Code Pénal prévoit aussi un titre 1er de ce même livre 4 intitulé « des atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation » avec un chapitre 1 relatif à la trahison (fait commis par un Français ou un militaire au service de la France) et à l’espionnage (fait commis par tout autre personne) avec une section 2 intitulée « des intelligences avec une puissance étrangère » composée de 2 articles :
– L’article 411-4 punit de 30 ans de détention criminelle le fait d’entretenir des intelligences avec une puissance étrangère, avec une entreprise ou organisation étrangère ou sous contrôle étranger ou avec leurs agents, en vue de susciter des hostilités ou des actes d’agression contre la France, ainsi que le fait de fournir à une puissance étrangère, à une entreprise ou une organisation étrangère ou sous contrôle étranger ou à leurs agents les moyens d’entreprendre des hostilités ou d’accomplir des actes d’agression contre la France.
– L’article 411-5 punit de 10 ans d’emprisonnement le fait d’entretenir des intelligences avec une puissance étrangère, avec une entreprise ou organisation étrangère ou sous contrôle étranger ou avec leurs agents, lorsqu’il est de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation.
Ces 2 textes modifiés par une ordonnance du 19 septembre 2000, ne sont quasiment jamais appliqués par la justice française alors qu’ils ont, à l’évidence, un champ d’application plus grand que ceux sur le terrorisme qui nécessitent l’apport de preuves bien plus difficiles à obtenir notamment pour tous les français qui sont partis soutenir activement ou passivement DAESH au Proche Orient.
L’Etat islamique (DAESH) ou Al Qaida etc….sont des organisations ou entreprises étrangères. On peut donc s’interroger sur le fait que les textes du Code Pénal sur les atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation ne sont toujours pas appliqués. Le terrorisme n’est pas une simple infraction de droit commun puni des peines de droit commun à savoir la réclusion criminelle, c’est aussi une infraction politique car portant atteinte non seulement aux personnes et aux biens mais aussi à la France.
Comment expliquer l’attitude des autorités judiciaires ?
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Tout d’abord, en examinant les articles concernant les infractions relatives aux intelligences avec une puissance étrangère, on comprend bien que le champ d’application est bien plus large que celui cantonné au seul terrorisme. En effet, si on appliquait ces textes sur l’intelligence avec l’ennemi, on pourrait poursuivre non seulement les terroristes ayant commis des attentats mais aussi et surtout les responsables des organisations terroristes, y compris les idéologues qui sont moralement responsables des actes terroristes sans y avoir personnellement participé.
On peut faire le parallèle avec les idéologues nazis comme Joseph Goebbels qui n’ont pas tous directement du sang sur les mains mais qui sont, à l’évidence, responsables des atrocités commises. Or, cette législation sur les atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation n’est pas appliquée car la détention criminelle était essentiellement appliquée par la Cour de Sûreté de l’Etat créée en 1963, composée de 3 magistrats civils et 2 officiers supérieurs ou généraux. Cette juridiction à compétence nationale avait pour mission de juger, en temps de paix, non seulement les crimes mais aussi les délits portant atteinte à la sûreté de l’Etat (espionnage et terrorisme essentiellement). La cour de sûreté de l’Etat a été supprimée à l’arrivée de la gauche au pouvoir, en 1981, et jamais rétablie depuis.
Ensuite et c’est probablement la raison la plus importante : appliquer la législation sur les atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation, c’est considérer que le terrorisme est aussi une infraction politique et non plus de droit commun et donc de reconnaître que l’Etat Islamique Daesh ou Al Qaida comme une organisation politique. Or c’est le cas notamment pour Daesh qui avait un territoire, une législation, une police, une justice islamique, une monnaie etc…. en somme, tous les attributs d’une organisation étatique même si Daesh ne remplissait pas les critères de la convention internationale de Montevideo prise en 1933.
C’est bien pour toutes ces raisons que la législation française parle bien d’entreprise ou d’organisation étrangère et pas seulement de puissance étrangère.
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La lutte contre le terrorisme mobilise nos armées engagées dans de nombreux théâtres d’opérations extérieures depuis des années sans que l’on ne sache si les batailles remportées ne seront pas les arbres qui cachent la forêt de guerres perdues inexorablement dans des conflits qui sont tout sauf classiques, avec un ennemi qui n’est pas seulement à l’extérieur mais surtout à l’intérieur de nos frontières.
Il faut faire un constat lucide : plus le temps passe, plus l’islamisme conquiert de nouveaux territoires en France sans que ce phénomène ne soit endigué car il menace la cohésion nationale en s’opposant aux valeurs de la République.
Les islamistes ont pour eux la force de l’idéologie, le nombre, l’usage de la violence systématique qu’elle soit psychologique ou physique sans oublier le financement en provenance de trafics en tout genre et de pays étrangers qui souhaitent imposer au monde entier une vision politique d’un islam rigoriste.
Les combats menés à l’extérieur et à l’intérieur de nos frontières sont identiques avec une différence de taille : les individus susceptibles de passer à l’action violente se comptent par milliers au sein même du territoire national avec la conjugaison de deux facteurs retrouvés dans la quasi-totalité des cas : un passé de délinquant violent et un radicalisme islamique.
La surveillance des extrémistes et notamment ceux qui sont en train de sortir de prison mis en avant par les autorités gouvernementales peut rassurer le public mais cette surveillance consiste essentiellement dans les écoutes téléphoniques et les veilles informatiques.
Le bracelet électronique n’a jamais empêché le passage à l’acte : l’assassinat du Père Hamel en 2016 en est la triste preuve. Les pays du Golfe – le Qatar, l’Arabie Saoudite et la Turquie – portent aussi une part importante de responsabilité dans le développement de la vision rigoriste de l’islam politique non pas directement mais par le biais d’une multitude d’organisations et d’associations prônant l’islamisme.
Cela fait bien longtemps que tous les services de renseignement le disent à des gouvernements et des parlements qui réagissent toujours à l’événement sans avoir de réelle politique proactive et qui devraient toujours garder à l’esprit cette maxime édictée par Antigone II, roi de Macédoine : « Que Dieu me garde de mes amis, mes ennemis je m’en charge ».
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(*) Eric Stemmelen, commissaire divisionnaire honoraire, a effectué sa carrière en France et à l’étranger. En France, d’abord à la direction centrale de la police judiciaire, puis dans les organismes de formation et enfin au service des voyages officiels. Responsable de la sécurité des sommets internationaux et des conférences internationales, chargé de la protection rapprochée des Chefs d’Etat et de Gouvernements étrangers, il a été mis comme expert à la disposition du ministère des affaires étrangères, pour la sécurité des ambassades françaises, de leur personnel et des communautés françaises dans de nombreuses capitales (Beyrouth, Kaboul, Brazzaville, Pristina, entre autres). Diplômé de l’Académie Nationale du FBI, de la 7ème promotion de l’IHESI, il est aujourd’hui consultant et expert dans les domaines de la Sécurité (au Conseil de l’Europe, par exemple). |

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