FRANCE :
Pour une nouvelle diplomatie
:Renaud Girard (*)
Journaliste
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Dans son discours du Champ de Mars le 24 avril, Emmanuel Macron, tout juste réélu président de la République française, n’a pas invoqué la « continuité » pour son second mandat. Il a préféré le concept de « renouvellement », un mot qui a titillé l’imagination de l’auteur. Il nous livre ici sa vision d’une diplomatie renouvelée.
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L’Union européenne est chère à Macron. Il la voit, à juste titre, comme la grande réalisation diplomatique de la génération de ses parents et de la sienne. Mais l’UE n’est pas une bergerie habitée de douces brebis prêtes à se laisser guider par la bergère France. Ses membres sont de fières nations, défendant bec et ongles leurs intérêts. Leur prodiguer des leçons de morale (comme nous l’avons fait à l’égard de la Hongrie, de l’Italie, de la Pologne) ne sert à rien et peut même se révéler contreproductif. La France doit rayonner par ce qu’elle fait, pas par ce qu’elle prêche.
Que peut-elle réaliser de concret aujourd’hui ? Faire la paix en Ukraine n’est pas hors de la portée d’Emmanuel Macron. Il excelle dans ce rôle d’intermédiaire sincère, comme il l’a montré lors du sommet du G-20 de Biarritz (24-26 août 2019), où il avait invité le ministre des affaires étrangères iranien après avoir obtenu un nihil obstat du président américain Trump. Cet effort n’avait pas produit les fruits escomptés lors de l’Assemblée générale des Nations Unies qui suivit. Mais la raison n’en fut pas l’inflexibilité du président américain mais plutôt celle du Guide de la Révolution iranienne.
Macron a été félicité pour sa victoire électorale à la fois par le président ukrainien et par le président russe. C’est une occasion à ne pas laisser passer, pour tenter d’obtenir un cessez-le-feu dans la guerre fratricide d’Ukraine. A raison, le président français a gardé le contact avec son homologue russe. L’insulter, comme l’a fait le président Biden, n’aurait pas avancé d’un iota la cause de la paix, et aurait compromis les chances futures de raisonner le Kremlin. A juste titre, la France accorde une aide militaire aux Ukrainiens, agressés de manière flagrante par les forces russes. Elle a l’intelligence de ne pas le clamer sur les toits.
Marquée par les sommets de Versailles (mai 2017) et de Brégançon (août 2019), louable était la volonté de Macron de tout faire pour ramener Moscou dans la famille européenne. Pousser la Russie dans les bras de la Chine demeure à long terme une faute stratégique cardinale. L’énorme erreur de calcul de Poutine que fut l’agression de l’Ukraine a hélas retardé pour longtemps le retour des Russes dans le bercail européen. Mais le jour où il se réalisera, il servira à la fois les intérêts de la Russie, de l’Ukraine et de l’Union européenne.
Plus la France sera indépendante, plus elle s’exprimera franchement, plus elle sera utile aux Etats-Unis. Toujours être allié des Américains, ne jamais s’aligner sur eux. En leur déconseillant d’envahir l’Irak en 2003, la France leur a courageusement donné un vrai conseil d’ami. Aujourd’hui, elle n’a aucun intérêt à ce que la confrontation sino-américaine tourne au vinaigre. Paris a donc vocation à redevenir un hub de la diplomatie mondiale, comme à l’époque où s’y tenait la conférence de paix sur le Vietnam (janvier 1969-janvier 1973). La France apportera davantage au monde comme « honest broker » (intermédiaire sincère) que comme professeur de morale.
Emmanuel Macron a compris que sa belle idée d’« autonomie stratégique européenne » n’était pas pour demain, ni pour après-demain, tant était profonde l’addiction de nos partenaires européens à la protection américaine. Le choix allemand d’hélicoptères d’attaque américains – préférés aux Tigres européens – est un exemple parmi d’autres. La France doit refuser sa vassalisation à l’Amérique mais rester patiente à l’égard des pays qui la recherchent. En attendant, nombre de projets concrets peuvent avancer à Bruxelles, dans la cyberdéfense, dans le spatial, dans le refus de l’extraterritorialité du droit américain, dans la lutte contre l’évasion fiscale des firmes multinationales, dans la guerre aux trafiquants d’êtres humains.
Grâce à la crédibilité de ses armées et de son industrie de défense, la France peut multiplier ses partenariats stratégiques en Méditerranée, au Moyen-Orient, dans l’Indo-Pacifique, sans demander le moindre aval à Washington.
En Afrique, l’exemple du Mali a rappelé à la France le danger qu’il y a à être manipulé par ses protégés. Elle pourra aider ponctuellement ses amis africains menacés, mais elle évitera de s’installer à demeure, afin de ne pas retomber dans le piège colonial.
Indépendante, réaliste, faiseuse de paix, telle devra être la diplomatie française, si elle souhaite conserver une vraie influence sur les affaires du monde.
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(*) Renaud GIRARD, diplômé de l’Ecole Normale Supérieure et de l’ENA, est journaliste et a couvert la quasi-totalité des conflits de la planète depuis 1984. Il est éditorialiste de politique étrangère au Figaro depuis 2013. Auteur de sept livres consacrés aux affaires internationales, il a reçu de nombreuses distinctions, dont le prestigieux prix Bayeux des correspondants de guerre pour son reportage « l’OTAN dans le piège afghan à Kandahar ». Il est également professeur de stratégie internationale à Sciences-Po. |
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