Loi de programmation militaire
Très bien, mais…

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Michèle Alliot-Marie (*)
Ancienne ministre

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Pour la première fois dans l’histoire de la République, une loi de programmation militaire, celle qui courrait de 2017 à 2023, a été quasiment respectée. Cela mérite d’être noté ! Le gouvernement a donc présenté une nouvelle loi de programmation militaire couvrant les sept années à venir. L’auteur, qui fut la première femme ministre de la Défense dans un pays possédant l’arme nucléaire, a évidemment réagi. En bonne militante politique, elle s’en félicite, mais… 

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Une loi de programmation a pour finalité de dépasser le cadre à court terme de l’annualité budgétaire, pour inscrire dans une vision à moyen et long terme les évolutions et les enjeux stratégiques. La loi de programmation militaire, a fortiori, vise à répondre aux risques et aux exigences les plus essentiels, car elle concerne la protection du pays, de ses citoyens, de ses intérêts vitaux et de ses engagements internationaux.

Dans un contexte international plus tendu et incertain que jamais, dans une période de mutation technologique inédite par sa rapidité et son ampleur, la loi de programmation militaire 2024/2030 représente un enjeu crucial voire vital pour la France.

Cette LPM est-elle, comme elle le prétend, à la hauteur des défis ?
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La présentation gouvernementale avec des chiffres en forte augmentation veut le faire penser : un montant global de 413 milliards d’euros, en progression de 35% par rapport à la précédente loi, lui permet enfin d’accéder aux 2% du PIB requis par les normes OTAN.

Des bonnes choses, des doutes et des questions
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De même les priorités affichées apparaissent en phase avec les défis présents ou perceptibles. Le renforcement des moyens classiques de dissuasion et d’action, comme l’effort lié aux nouveaux champs cyber, espace, drones, quantique, sont devenus incontournables. La reconnaissance de la place de l’outre-mer est bienvenue L’affirmation de l’esprit et de la nécessité d’une défense européenne correspondent à une analyse réaliste de la situation, marquée par la guerre en Ukraine. L’affichage de l’impact économique et industriel des investissements inscrits dans la LPM, même s’il est aussi récurrent que peu pris en compte dans les arbitrages budgétaires, est une bonne chose.

Il faut cependant avoir conscience que ce texte, au-delà de l’énoncé des perspectives financières qui seront confrontées chaque année aux réalités budgétaires, représente aussi le support d’une communication politique à finalités nationale et extérieure. Dès lors, si les chiffres affichés apparaissent conséquents, sont-ils et surtout resteront-ils à la hauteur des enjeux ?

Photo Arquus

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L’effort financier programmé, qu’il n’est pas question de nier, représente une rupture bienvenue avec des périodes où, au nom de soi-disant dividendes de la paix, les gouvernements de l’époque mettaient à mal les moyens d’action de notre Défense. Il permet en théorie de soutenir un modèle d’armée conforme à notre tradition d’indépendance et de responsabilité. L’équilibre affiché entre les différents besoins capacitaires des armées, entre transformation et renforcement de l’existant, entre dissuasion et capacité d’action immédiate, entre aspirations à toujours plus et dépense soutenable par les finances publiques semble raisonnable Est-ce suffisant au regard à la fois des besoins fondamentaux et des réalités budgétaires récurrentes ?

Le poids de l’inflation
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La paix et la sécurité des citoyens, conditions de leur survie physique, de la préservation de notre modèle de société et de notre protection sociale, ont rarement été aussi menacées depuis la deuxième guerre mondiale. Pourtant une contradiction généralement occultée apparaît lorsque l’on compare l’effort fait pour chacun de ces domaines : le budget consacré chaque année à la Défense est 14 fois inférieur à celui de la seule protection sociale…

Le jeu de l’inflation, ici accentué par le report en fin de LPM des livraisons d’équipements lourds, risque de plus d’amputer une bonne partie de l’augmentation annoncée. Les précédentes LPM ont été exécutées plus ou moins bien, mais toutes dans un contexte monétaire d’inflation proche de 0, voire négative.

La LPM 2024-2030 démarre avec une inflation importante qui atteint 5,6%, ce qui sur la période représente une amputation de 30% environ de la progression affichée par rapport à la loi en court d’exécution. Même si son taux se stabilise grâce à la baisse du prix de l’énergie et des matières premières notamment, ce qui demeure incertain car les pays producteurs ont pris conscience de leur pouvoir de maintenir leurs revenus en agissant sur la production et donc sur les prix, l’inflation demeurera un handicap majeur à une exécution conforme aux ambitions annoncées.

Ce sera d’autant plus dommageable que les livraisons de nombreux équipements inscrits dans la loi se feront en fin de LPM. Outre les lacunes capacitaires en début de période, le jeu de l’inflation s’ajoutera aux dérapage des prix dont le secteur industriel est hélas coutumier. Plus les livraisons sont tardives, et la durée de réalisation d’un programme peut demander parfois dix ans, plus “ Bercy” à des possibilités de geler une partie des budgets annuels consacrés à la mise en œuvre de la LPM, ou d ‘y imputer certaines dépenses non prévues.

De même le coût toujours en hausse du maintien en condition opérationnelle des équipements conduit à émettre des doutes sur les engagements pris dans la Loi. S’il bénéficie d’une somme conséquente dans le texte, censée garantir l’effectivité du renforcement des capacités disponibles, encore faudra-t-il que les industriels soient au rendez-vous et que ses crédits restent effectivement disponibles Cette réalité ne peut que conforter les regrets émis par de nombreux observateurs à l’égard de la réduction de l’objectif dans plusieurs domaines capacitaires de chacune de nos armées.

Aux citoyens de répondre

Présentation du Jaguar, le nouveau char à roues, à la population parisienne lors de la dernière cérémonie du 14 juillet. Photo Ministère des Armées

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Au-delà de la dimension militaire, c’est aussi l’économie locale qui en subira les conséquences, chacun des départements français compte en effet au moins une entreprise travaillant dans le domaine de la Défense avec des conséquences en matière d’emploi, de retombées technologiques et de recherche.

Au-delà même des aspects financiers et matériels, les interrogations sur la capacité de recrutement des militaires ou sur la pérennité de l’acceptation par les Français de cet effort pour la défense, dans une période économique et sociale tendue, représentent autant de risques de non-conformité dans la durée entre les intentions affichées par la loi de programmation militaire et la réalité de la réponse.

 Tout en saluant les efforts faits, on ne peut donc occulter les insuffisances de cette LPM au regard de l’ambition politique affichée, ni cacher un certain scepticisme quant à la crédibilité des annonces face aux réalités budgétaires récurrentes.

Finalement c’est aussi de la volonté des français eux même que dépendra la crédibilité de notre Défense. La LPM est l’occasion de sensibiliser élus et citoyens aux menaces stratégiques et au rôle décisif de nos armée pour leur protection. Son exécution dépendra aussi de leur vigilance et de leur action sur les décideurs politiques pour maintenir l’effort dans la durée De ce point de vue le rôle des réserves, au-delà de leur mission opérationnelle, comme le développement de l’esprit de défense dans la nation, sont et seront déterminants, d’autant que le Président de la République et l’actuel ministre des Armées, ne seront plus en place en 2030.

 

(*) Michèle Alliot-Marie, docteur en Droit, docteur d’Etat en Sciences Politiques, a débuté comme universitaire (elle a été maître de conférences à la Sorbonne), mais s’est frottée très tôt à la vie politique, en intégrant comme conseillère un cabinet ministériel. Elle a été maire de Saint-Jean-de-Luz, six fois députée des Pyrénées Atlantiques, deux fois députée européenne, et fut la première femme à prendre la tête d’un grand parti politique français, le RPR , en 1999. Elle a été sept fois ministre, occupant entre autres tous les postes régaliens : Défense, Intérieur, Justice, Affaires étrangères.  

Elle a publié récemment aux éditions de l’Archipel « Voir plus loin », un livre présenté dans le numéro 191 d’Espritsurcouf du 5 juin 2022.

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Photo bandeau : © Laure Fanjeau