Trafic de drogue en Amérique latine
Barrot mal barré
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Vincent Gourvil (*)
Pseudonyme d’un haut fonctionnaire
Docteur en sciences politiques
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L’auteur, dont les propos n’engagent que lui, juge bien maigres les capacités mises en œuvre pour une politique particulièrement ambitieuse voire irréaliste faute d’une véritable mobilisation internationale.
« C’est l’hôpital qui se fout de la charité », serions-nous tentés de dire en découvrant les dernières déclarations viriles de notre insipide Ministre de l’Europe et des Affaires qui lui sont étrangères, Jean-Noël Barrot. Incapable de trouver une place idoine à la diplomatie française dans le concert des nations en raison de la grave crise politique que traverse notre pays[1], Monsieur la voix de son maître s’agite dans tous les sens. Sa devise pourrait être je parle donc je suis. Parler le plus souvent pour ne rien dire. À tout le moins ne pas parler du rôle inexistant de notre Douce France pour contribuer au règlement des crises qui secouent le monde (Ukraine, Gaza …). Candidement, nous pensions que le principal rôle du titulaire du bureau de Vergennes consistait à s’investir dans le duopole guerre et paix. Mais, Jean-Noël Barrot vient de trouver un nouvel os à ronger à l’occasion d’un déplacement en Amérique latine et au Canada : la lutte contre le narcotrafic et la criminalité organisée qui l’accompagne. Tout un programme en date du 10 novembre 2025 résumé par un formule choc : « Narcotrafic : éradiquer le mal à la racine » ! Avant de porter un quelconque jugement sur cette initiative, il importe d’en connaître le contenu précis. L’exposé des Saintes écritures doit précéder son exégèse.
EXPOSÉ DES SAINTES ÉCRITURES
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Rien de tel que de se tourner vers le site officiel du Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères pour trouver l’intégralité des propos de son éminent ministre ainsi que le dossier qui l’accompagne.
Début de citation
« La France est submergée par le narcotrafic et la criminalité organisée qui l’accompagne. Tous les territoires de la République sont désormais concernés. Les conséquences ravageuses de ce phénomène menacent la santé publique et la sécurité des Français. Avec la loi du 13 juin 2025, la France s’est dotée d’un arsenal pour lutter contre ce fléau, constitué notamment d’un État-major interministériel et d’un parquet anti criminalité organisée. Face à la mondialisation accélérée des trafics, la guerre contre la drogue appelle une action internationale sans relâche traitant des causes du problème. Éradiquer le mal à la racine, c’est l’ambition du ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, qui va déployer dans les 12 mois qui viennent un plan de bataille inédit contre les trafiquants : accord de coopération sécuritaire avec les pays de production, de transit et de rebond ; renforcement des effectifs dans les pays concernés ; réorientation de l’aide au développement ; sanctions internationales contre les criminels.
Le premier axe d’effort porte sur l’Amérique Latine et les Caraïbes.
C’est dans cette région qu’est produite l’ensemble de la cocaïne qui déferle dans les rues des villes et des villages de France où elle est consommée par plus d’un million de personnes. La production, en pleine explosion, est localisée principalement en Colombie, au Pérou et en Bolivie. Elle transite vers l’Europe via l’Equateur, le Brésil, le Panama, le Venezuela, le plateau des Guyanes et les Caraïbes. Les territoires ultra-marins sont en première ligne.
Les objectifs fixés par le ministre pour les 12 prochains mois sont clairs :
- Signer 12 nouveaux accords de coopération avec les pays de la région
- Créer une Académie régionale de lutte contre la criminalité organisée
- Augmenter de 20 % les effectifs spécialisés dans les ambassades et tripler leurs moyens d’intervention
- Doubler les crédits de l’aide au développement consacrés à la lutte contre le narcotrafic
- Créer un régime de sanctions européen contre la criminalité organisée
Le ministre s’est rendu dans la région du 7 au 10 novembre 2025 pour lancer ce plan.
- Au Mexique, aux côtés du Président de la République, il lancera une coopération entre les douanes françaises et la marine mexicaine en charge des douanes portuaires sur la lutte contre les narcotiques illégaux par l’échange d’informations sur l’organisation, les activités et les modes opératoires des organisations criminelles internationales.
- En Colombie où est produite 70 % de la cocaïne mondiale, il ira constater au port de Carthagène et sur la base navale de l’Armada les excellents résultats de la coopération avec les autorités colombiennes qui a permis la saisie de 70 tonnes de cocaïne en 2024 chiffre déjà dépassé en 2025.
- Au Canada, il retrouvera les ministres des Affaires étrangères du G7, au moment où la France s’apprête à en prendre la présidence, pour les engager à accentuer leur coopération dans la lutte contre le narcotrafic et la criminalité organisée » [2].
Fin de citation
Jean-Noël Barrot précise sa démarche lors de différentes interventions publiques. Il confirme la détermination de la France à « faire échec » au trafic de drogue international, qui « explose » en Europe, notamment en créant une académie dédiée à la lutte contre ces trafics en Amérique latine, explique-t-il dans une interview accordée à l’AFP (8 novembre 2025). Il ajoute que la France n’entend pas être spectatrice « de l’explosion du narcotrafic en Amérique latine, dans les Caraïbes, mais aussi en Europe, où l’on voit désormais non seulement la drogue déferler, mais [aussi] les narcotrafiquants se déplacer, installer des laboratoires … Tout ça doit cesser ». Nous sommes « résolus à faire échec [aux] trafics en tous genres – pas uniquement le narcotrafic – qui soulèvent des questions de santé publique pour notre pays, mais aussi de sécurité des Françaises et les Français », affirme-t-il depuis Puerto Antioquia, un terminal portuaire situé sur la côte caribéenne de la Colombie, où sévit le puissant cartel Clan del Golfo. « Dix mille hospitalisations annuelles sont directement liées à la consommation des stupéfiants », précise-t-il dans un entretien au Journal du dimanche. « Leur trafic explique quant à lui 80 à 90% des règlements de comptes, des meurtres et des tentatives de meurtre entre délinquants, selon un rapport
parlementaire », ajoute-t-il.
Rappelons que Jean-Noël Barrot effectue un déplacement en Colombie[3] afin de participer au quatrième sommet de l’Union européenne et de la Communauté des Etats d’Amérique latine et des Caraïbes (Celac), qui se tient les 9 et 10 novembre 2025 dans la ville voisine de Santa Marta, avec une participation réduite des chefs d’État. Il en profite pour se rendre dans le golfe d’Uraba, où un immense port est sur le point d’être inauguré, l’un des plus grands projets d’investissement privé français en Colombie. Il évoque également une convention d’extradition entre Paris et Bogota pour les « narcocriminels des deux côtés », qui doit encore être approuvée par les Parlements des deux pays. Le ministre a aussi redit sa « préoccupation » face à la situation tendue dans la région après le déploiement militaire ordonné en août par le président américain Donald Trump, et les frappes américaines sur des embarcations soupçonnées de narcotrafic qui ont fait des dizaines de morts dans les Caraïbes et le Pacifique. Ces opérations militaires américaines « se sont affranchies des règles du droit international et du droit de la mer », a souligné le ministre. Jean-Noël Barrot annonce vouloir que son ministère des Affaires étrangères « prenne toute sa part dans la guerre contre la drogue ».
On l’aura compris. C’est du sérieux. Une fois passé le temps de la sidération après avoir découvert cette initiative tombée du ciel, vient celui de l’exégèse des paroles d’Evangiles de Saint Jean-Noël.
EXÉGÈSE DES SAINTES ÉCRITURES
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Plusieurs réflexions viennent à l’esprit à la lecture de ce bibelot d’inanité sonore pour celui qui connait les arcanes de la diplomatie française !
Tout d’abord, la préparation de cette initiative de grande envergure semble avoir été menée dans la plus grande discrétion. Elle donne l’impression d’être sortie du chapeau du magicien Barrot pour les besoins de son voyage en Amérique latine où la France est peu présente. Ce qui est rarement de bon augure dans la pratique diplomatique. Une fois, passé l’effet de surprises, l’on se cogne souvent sur le réel et c’est alors que les problèmes surgissent et la brillante proposition s’effiloche. Notre fringant Ministre pourrait dresser un catalogue de ses initiatives avortées.
Ensuite, pour avoir une chance raisonnable de succès, cette initiative aurait dû être portée conjointement avec plusieurs autres États. Nous pensons bien évidemment à nos partenaires allemands et, au-delà, à l’Union européenne. Jouer cavalier seul n’est jamais un gage de succès autre que médiatique. Cela renvoie l’image d’une « France arrogante » et donneuse de leçons qui joue perso et non collectif. On se souvient des discours de la Sorbonne sur la réforme de la construction européenne portés par Jupiter qui ont fait flop, faute d’un minimum de concertation en amont. La proposition de lutte contre la drogue pourrait subir le même sort.
Par ailleurs, est posée la sempiternelle question de l’adéquation de nos moyens limités (surtout financiers) à nos objectifs de court et de moyen terme (trop ambitieux) au regard de l’affaiblissement continu de notre outil diplomatique. Paroles, paroles pourrait-on dire comme la chanson de Dalida au siècle dernier. Nous pourrions ajouter promesses, promesses … non tenues en raison de l’incohérence et de l’inconstance de notre diplomatie de quatre sous. Or, nos homologues ont la mémoire longue et saurons, le moment venu, nous rappeler la générosité de nos promesses et la mesquinerie de nos actions. Un classique de la bonne diplomatie de l’esbrouffe.
Également, est soulevé une question d’opportunité. Sommes-nous en mesure de faire la leçon à Donald Trump qui use de la diplomatie de la canonnière pour dissuader les trafiquants de drogue de poursuivre leurs entreprises de mort ? Est-il de bonne politique de s’aliéner un éventuel soutien de Washington sur cette problématique importante alors qu’un combat contre le fléau du narcotrafic suppose de s’unir et non de se diviser ? Nous sommes suffisamment marginalisés sur la scène internationale, grâce à l’action mirifique d’Emmanuel Macron, pour éviter de jouer les matamores, les consciences universelles.
Enfin, que vaut la parole de la France alors même que nous donnons l’impression, hors de nos frontières, d’être démunis face à gangrène du trafic de drogues, dans les grandes métropoles[4] mais aussi dans les endroits les plus reculés de l’Hexagone, à tel point que certains bons esprits qualifient notre pays de « narco-État » ?[5] La réponse est dans la question. Un minimum d’humilité ne nuirait certainement pas à l’efficacité de pareille démarche ambitieuse. Le voulons-nous ? Le pouvons-nous ? Il serait grand temps de se poser la question.
DE LA DIPLOMATIE DU CHIEN CREVÉ AU FIL DE L’EAU !
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Jean Noël Barrot serait bien inspiré de méditer l’adage « balayer devant sa porte avant de balayer devant celle des autres » ! Rappelons que dire à quelqu’un de balayer devant sa porte, c’est lui demander de s’occuper de ses propres affaires avant d’essayer de régler les problèmes des autres. Et, c’est bien de cela dont il s’agit avec cette proposition ubuesque dans le contexte d’une France qui tombe. Nous mesurons, une fois encore, les limites de la diplomatie de l’annonce, de la diplomatie de l’agitation, de la mascarade diplomatique. L’action devient spectacle. Il faut souvent accumuler pendant longtemps les erreurs, avant que s’ouvrent les yeux. Il est temps, plus que temps de se réveiller pour éviter les déconvenues et les embardées qui semblent être le quotidien d’une diplomatie touche-à-tout mais qui ne traite rien sérieusement. Les diplomates chenus savent d’expérience que leur métier suppose de tenir la distance pour être efficace, de se garder de tomber dans le travers de la société du spectacle. Ce qui est malheureusement le cas de cet aveuglement de notre politique étrangère à la sauce Emmanuel Macron. En dernière analyse, le moins que l’on soit autorisé à dire à ce stade peu avancé de la présentation de cette initiative aux principaux intéressés est que, s’agissant de la lutte contre le trafic de drogues en Amérique latine, Barrot est mal barré.
Les opinions exprimées ici n’engagent que leur auteur
NOTES
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[1] Denis Baranger/Olivier Beaud, La dissolution de la Ve République, Les Petits Matins, 2025.
[2] https://www.franceinfo.fr/societe/drogue/tout-ca-doit-cesser-la-france-veut-faire-echec-au-narcotrafic-affirme-le-ministre-des-affaires-etrangeres-jean-noel-barrot-depuis-la-colombie_7605485.html#:~:text=Le%20ministre%20des%20Affaires%20%C3%A9trang%C3%A8res%20fran%C3%A7ais%2C%20Jean%2DNo%C3%ABl%20Barrot%2C,samedi%208%20novembre%20dans%20une
[3] Marie Delcas, Cocaïne : dialogue de sourds entre la France et la Colombie, Le Monde, 21 novembre 2025, p. 25.
[4] Antoine Albertini/Grégoire Biseau/Lorraine de Fouché/Thomas Saintourens, Sur l’assassinat de Mehdi Kessaci, les enquêteurs restent prudents, Le Monde, 23-24 novembre 2025, p. 11.
[5] Sarah-Louise Guille, Narco : Darmanin et Nunez font de la com’ à Marseille, la DZ se déploie à Sète, www.bvoltaire.fr , 21 novembre 2025.
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(*) Vincent Gourvil est le pseudonyme d’un haut fonctionnaire, par ailleurs Docteur en sciences politiques. |

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