Les oubliés du Soudan
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Pascal Le Pautremat (*)
Rédacteur en chef d’ESPRITSURCOUF
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En janvier dernier, dans un précédent Billet (Espritsurcouf N°249), nous attirions l’attention sur la situation cauchemardesque que traversait, une fois de plus, le Soudan, au gré d’une guerre déclenchée en avril 2023, mettant aux prises deux rivaux : Mohammed Hamdan Daglo, dit « Hemetti », à la tête des Forces de Soutien rapide, qui ont absorbé diverses milices (dont les janjawids) déjà tristement connues pour leurs crimes perpétrés, au Darfour notamment, au service du dictateur déchu Omar El Béhir ; et le général Abdel Fattah Abdelrahman Al-Bourhane, chef des forces armées soudanaises (FAS).
Depuis le printemps 2023, les témoignages pleuvent pour relater tortures, viols, massacres, principalement au détriment de minorités non arabes. Aujourd ’hui, le nombre de victimes des exactions est évalué à plus de 170 000 personnes, sans oublier plus de 13 millions de personnes déplacées : 8,6 millions, selon les chiffres établis en octobre 2025, sur le territoire soudanais et plus de 4 millions réfugiés dans les pays voisins, principalement le Soudan du Sud, mais aussi le Tchad.
Les hôpitaux sont toujours aussi nombreux à être paralysés, puisqu’environ 80% des établissements dans les zones instables sont toujours inopérants. Selon les estimations de l’UNICEF, dans l’ensemble du pays, ce ne sont pas moins de 730 000 enfants qui souffrent de malnutrition aiguë sévère (MAS). Quant au Nord Darfour, une famine y sévit ; famine orchestrée par les forces de Daglo alliées aux milices janjawids « les cavaliers de l’Apocalypse » pour y décimer des ethnies non arabes. En somme, on renoue avec les années terribles du régime d’Omar El-Béchir.
Près des deux tiers de la population a besoin d’une aide d’urgence. Des cas de famine ont été signalés dans au moins cinq régions du Soudan. Un tiers de la population du Soudan est déracinée.
Est-ce qu’une force multinationale pourrait être déployée sur place ? Ce fut le cas entre mars 2005 et juillet 2011, avec la Mission des Nations unies au Soudan (MINUS) destinée au maintien de la paix. Et il existe bien, depuis 2011, une MINUSS, au Soudan du Sud, comptant plus de 18 000 personnes, sachant que son coût moyen annuel est de plus d’un milliard de dollars. La MINUSS a perdu jusqu’à présent 148 de ses membres, tués au cours de leur mission.
Adopter un dispositif analogue au Soudan pourrait, dans l’absolu, être tout à fait possible, à condition que l’Assemblée générale de l’ONU adopte unanimement une résolution en ce sens, à moins que ce soit le Conseil de sécurité qui la vote et valide en son sein. Mais qui supportera le coût financier d’une opération multinationale conséquente ? Comment établir une mission qui ne froisse pas les intérêts stratégiques divergents de pays intéressés par les ressources naturelles du pays, tout en étant aux prises avec des groupes combattants quasi nihilistes ?
Dans l’immédiat, ce sont les humanitaires qui sont sur le terrain, faisant face à des risques majeurs et dont on peut saluer le courage et la détermination sans faille.
Compte tenu de la situation, nous avons décidé de privilégier la question du Soudan au gré de ce 268ème numéro d’Espritsurcouf, sans que cela ne constitue, en soi, le seul sujet abordé.
Ainsi, Eric Stemmelen, insiste, pour sa part, sur les limites des moyens juridiques mis en œuvre en France dans la lutte contre l’islamisme et ses dérives ; des limites juridiques qui n’échappent d’ailleurs pas aux frères musulmans et leurs adeptes qui savent saisir les failles institutionnellement admises : « Les insuffisances de la lutte contre l’islamisme et le terrorisme » (rubrique HUMEURS).
Vous pourrez ensuite découvrir le deuxième et dernier volet de l’étude que Laurent Mayet consacre à la politique européenne à l’égard de l’Arctique pour en souligner les limites. Il place au cœur du propos le Conseil de l’Arctique, seule structure dédiée à la coopération sur l’Arctique circumpolaire : « La politique arctique de l’Union européenne ‘à la cape’ » (2ème partie) (Rubrique GEOPOLITIQUE).
Sur le front de la guerre russo-ukrainienne, la question de livraisons d’armes par les Etats-Unis au profit de l’Ukraine est toujours au cœur de l’actualité du conflit engagé depuis plus de 3 ans. Jean-Claude Allard décrypte la crédibilité des annonces faites par Washington, en matière de livraison de missiles Tomahawks au profit de Kiev. Le Pentagone peut-il se le permettre ? « Des Tomahawk pour l’Ukraine ? » (couv. n PJ) (Rubrique DEFENSE).
Quant à Nathan Vauthier, il dresse une vue globale du chaos soudanais qui est loin d’être limité à deux belligérants locaux, compte tenu des imbrications étrangères : « Soudan : guerre et tourments » (Rubrique SECURITE)
A titre exceptionnel, la rubrique de Laure Fanjeau, LU, VU ET ENTENDU POUR VOUS, pourra être consultée directement sur LinkedIn, à partir du « profil » d’ESPRITSURCOUF. A cet effet, plusieurs vidéos consacrées à la crise soudanaise vous sont proposées. Tout d’abord, un 28 minutes, d’Arte, du 6 novembre dernier, intitulé « Massacres au Soudan : le monde peut-il encore fermer les yeux ? » Nous vous proposons ensuite un débat diffusé sur France 24, le 4 novembre dernier : « Au Soudan, une guerre oubliée : jusqu’à quand ? »
Conjointement, dans la mesure où nous commémorons, pour la 10ème année, les attentats du 13 novembre 2015, vous trouverez également un documentaire composé de témoignages de survivants qui reviennent sur ces évènements qui ont inévitablement bouleversé leur existence et leur devenir, entre reconstruction, difficile acceptation et traumatismes multiples : « Vendredi noir » de Daniel Psenny.
Laure Fanjeau, enfin, toujours sur LinkedIn, a préparé pour vous un focus sur la désinformation dont on connaît l’importance récurrente à tous les niveaux sociétaux et politiques : « La désinformation : un outil stratégique, redoutable autant que redouté »
Enfin, André Dulou, vient compléter ce nouveau numéro avec une nouvelle REVUE D’ACTUALITE.
Pour clore ce numéro, nous attirons votre attention sur le nouvel ouvrage grand format – après United we conquer – que Kellian Bier consacre aux forces spéciales, plus spécifiquement aux commandos marine, dont il fut membre avant de revêtir une posture de sociologue et photographe. Il y a réuni les témoignages et confidences d’un certain nombre d’entre eux. Ces hommes de l’ombre relatent ainsi des épisodes marquants de leur vie opérationnelle, en rendant hommage à certains de leurs camarades morts au combat, lors de missions périlleuses. Emotion, traumatisme avoué mais aussi professionnalisme, attachement cultuelle à la mission, avec un sens du dévouement voire d’acceptation du sacrifice ultime qu’il faut sans cesse rappeler pour bien saisir la caractère particulier de l’engagement de militaires, de surcroît lorsqu’ils sont au cœur des unités spéciales. Rwanda, Kosovo, Bosnie, mais aussi Côte d’Ivoire, Mali, Guinée Bissau, espaces ultramarins ; autant de théâtres d’opérations que l’on parcourt, au gré de textes puissants, bien écrits. Sans oublier les remarquables photos de Kellian Bier entre portraits de visages sculptés par le vent et les éléments naturels, les yeux marqués aussi par tout ce qui a été fait, vu et vécu, et postures et séquences opérationnelles saisies sur le vif.
On soulignera enfin la magistrale préface du Général Lepage qui sait rappeler l’essence même du COS dont il fut le cofondateur et l’artisan avec une grandeur d’âme, une intelligence combinée à une humilité exemplaire : Kellian Bier, Frères de l’ombre. Dans les pas des forces spéciales et unités d’élite françaises. Ed. Solar, 2025, 152 pages. 32 euros. (Rubrique LIVRES).
Bonne lecture !
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(*) Pascal Le Pautremat est Docteur en Histoire Contemporaine, diplômé en Défense et Relations internationales. Il est maître de conférences à l’UCO et rattaché à la filière Science Politique. Il a enseigné à l’Ecole Spéciale militaire de Saint-Cyr et au collège interarmées de Défense. Auditeur de l’IHEDN (Institut des Hautes Études de Défense nationale), ancien membre du comité de rédaction de la revue Défense, il est le rédacteur en chef d’ESPRITSURCOUF. Son dernier ouvrage « Géopolitique de l’eau : L’or Bleu » est présenté dans le numéro 152 d’ESPRITSURCOUF. |

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