Dénaturer : une dynamique d’autodestruction

Pascal Le Pautremat (*)
Rédacteur en chef d’ESPRITSURCOUF

Cet été, nous constatons – et endurons une fois de plus – les effets du dérèglement climatique, désormais bien ancré et qui, par divers aspects, semble engendrer toujours davantage de chaos. Outre la violence des amplitudes thermiques, la sécheresse aigüe favorise des incendies apocalyptiques, notamment dans les espaces du bassin méditerranéen. En Europe, on compte 439 568 hectares brûlés depuis le début de 2025, contre 188 643 en 2024.

Conjointement, les conséquences de l’ultralibéralisme, véritable fléau, ne cessent de dénaturer toujours un peu plus, en seulement un demi-siècle, ce qui a fait le socle plurimillénaire de la vie terrestre. Après plusieurs décennies de mises en garde, d’appels à la raison à destination du corpus politique, des lobbies industriels et des groupes agroalimentaires, les scientifiques consciencieux et observateurs systémiques ne peuvent que confirmer les effets désastreux des artifices chimiques et phytosanitaires aux antipodes de la santé publique.

Comme l’écrit Sylvain Tesson : « L’Homme déboula sur la Terre, zigouilla les bêtes, fissionna l’atome, traficota le gène, modifia les organismes, acidifia les sols, plastifia les mers et barbouilla l’atmosphère. Tout cela en si peu de temps : quel talent ! Puis il nomma ‘nuisibles’ ceux qui ne participaient pas à l’entreprise. »

Les prises de conscience se font de plus en plus vives mais sont systématiquement contrées par la persistance des adeptes du tout chimique. Comme en témoigne la démarche du sénateur de la Haute-Loire (Auvergne-Rhône-Alpes), Laurent Duplomb, affilié, au gré de longues années syndicalistes, à la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) ; ce qui n’est pas sans poser quelque souci de déontologie. Partisan des néonicotinoïdes (clothianidine, l’imidaclopride, le thiaméthoxame, l’acétamipride et le thiaclopride) – sous prétexte de loi de la productivité dans le jeu de guerre économique et de concurrence internationale – le sénateur Duplomb fait partie des adeptes du productivisme à tout crin, quitte à bafouer toujours et encore les lois naturelles. Lui comme bien d’autres nient l’existence des méthodes alternatives, plus respectueuses de l’environnement et préservant les pollinisateurs dont la vie végétale, animale – et par conséquent humaine – dépend. Seul, l’article 2 de son projet de loi a été rejeté par le Conseil constitutionnel, le 7 août dernier. Il visait à la réintroduction, sous conditions, de l’acétamipride, pourtant interdite en France depuis 2018… mais autorisé dans les autres pays européens… Les contradictions dénaturent encore et toujours la portée d’une écologie vertueuse qui devrait être, désormais et à l’avenir, unanimement partagée. Hélas…

En Europe, plus de 80% des habitats naturels sont gravement dégradés. Pourtant, la Commission européenne ne vise la protection de seulement 30% des espaces terrestres et maritimes de l’Union européenne à partir de 2030. Les zones de pollinisation, pourtant stratégiquement essentielles, sont toujours amoindries par les jeux de l’agriculture intensive, l’urbanisation galopante, sans compter la pollution et les espèces prédatrices (frelons asiatiques) qui déciment les pollinisateurs…

Seule consolation : lorsque l’on observe les zones protégées et classées Natura 2000 (label créé en 1992), on constate combien la biodiversité est capable de reprendre ses droits, loin des jeux de prédation et de destruction, comme du sur-tourisme.

Officiellement, depuis août 2024, l’Union européenne a mis en avant un programme destiné à restaurer la nature, avec l’obligation, pour chaque Etat membre, de ressusciter, en quelque sorte au moins 20 % des écosystèmes reconnus comme dégradés d’ici à 2030. Avec comme objectif à moyen terme, la restauration à 90% de ces mêmes habitats pour le milieu du siècle… Tout cela, a, évidemment un coût. Les budgets nécessaires pour mener à bien les objectifs identifiés à l’échelle européenne est établi à quelque 20 milliards d’euros.

En dépit de ces belles perspectives, la réalité est toute autre… En 2022, le réseau Natura 2000 ne représentait que 18,5 % de la surface terrestre de l’UE et 8,9 % de ses espaces maritimes. En France hexagonale, il ne concerne que 13% du territoire soit 7 millions d’hectares environ répartis comme suit : 43 % de forêts, 29 % de prairies et de landes et 20 % de zones agricoles.

La volonté de dénaturer ne se concerne pas seulement notre environnement terrestre, aérien et spatial. Cette réalité s’observe aussi en science politique. Ainsi, la posture du pouvoir exécutif vise à dénaturer la démarche légitime visant à écouter les citoyens qui demeurent donc exposé aux jeux partisans, mercantiles et arrivistes, sur fond d’une conjoncture socio-économique particulièrement tragique, avec une paupérisation en pleine expansion, la disparition des dizaines de milliers d’entreprises dans notre seul pays et le profond rejet de la politique colportée par un Président de la République coupé de la réalité sociale. Les tensions à prévoir en septembre ne sont donc pas surprenantes. Nous allons peut-être assister à un nouveau processus comparable à celui initié par lesdits Gilets jaunes, en 2019, qui fut sciemment décrédibilisé puis muselé au gré des processus de confinement motivés par un choc viral.

Assurément, le 10 septembre 2025 pourrait être le début d’une nouvelle phase de tumultes, amplifiée par l’exaspération de diverses catégories de citoyens qui, démunis ou désespérés, vont finir par estimer qu’ils n’ont plus rien à perdre, et transcender leur amertume intérieure en un rejet systémique.


Pour ce 262ème numéro – le seul à paraître en août – plusieurs thèmes sont à l’honneur. Et tous, dans une certaine mesure, mettent en exergue divers exemples où l’on dénature des principes initiaux.

Ainsi, Christian Frémaux ouvre la voie avec un regard incisif sur la perte de valeur de l’Etat de droit, lorsque les paroles remplacent les actes et que la République apparaît de plus en plus décrédibilisée : « Les arroseurs arrosés » (rubrique HUMEURS).

Dans la mesure où le conflit russo-ukrainien occupe une large place des préoccupations stratégiques, Jean-Claude Allard dresse un état de la situation, en prenant en compte la nouvelle phase de discussions qui semblent engagées depuis la rencontre d’Anchorage entre les présidents Poutine et Trump : « Alaska, 2025 : vers la fin de la guerre de 108 ans » ? (rubrique GEOPOLITIQUE)

Pour ne pas occulter la nature foncièrement religieuse de notre histoire conflictuelle, Corentin Meyer revient sur la guerre qui opposa catholiques et protestants au XVIe siècle, en se penchant sur le massacre de la Saint-Barthélémy, dans la nuit du 23 au 24 août 1572, et en évaluant ses répercussions, il y a 453 ans : « Quelle mémoire de la saint Barthélémy en France ? » (rubrique HISTOIRE).

Laure Fanjeau, pour sa part, propose un focus sur « Aéronautique et espace rythment l’été 2025 » consacré à l’espace, en faisant état de l’inauguration, en juillet dernier, de la base aérienne 101 à vocation spatiale, destinée à soutenir les activités du Commandement de l’espace. Elle revient ainsi sur la période estivale propice à l’observation des étoiles filantes .
Avec une vidéo et un podcast elle complète et illustre le thème du Billet de Pascal Le Pautremat.
(rubrique LU, VU ET ENTENDU POUR VOUS).

André Dulou vous invite, quant à lui, à découvrir sa nouvelle REVUE D’ACTUALITE au gré d’une situation toujours aussi dense et source de bien des inquiétudes, sur fond d’incertitude globale. Il insiste logiquement sur la politique étrangère avec un focus intitulé « La diplomatie ouverte » et a sélectionné pour vous des sujets relevant de la géopolitique, de l’économie et de la défense et sécurité.

Enfin, compte tenu de l’importance que revêt la question énergétique, nous vous suggérons la lecture de l’ouvrage des ingénieurs Maxence Cordier et Stéphane Sarrade, consacré à l’énergie nucléaire. L’occasion de faire le point sur ses multiples applications, combinées aux enjeux environnementaux, climatiques, géostratégiques et économiques : Maxence Cordier, Stéphane Sarrade, L’énergie nucléaire en 100 questions. Pour un monde en transition. Paris, Ed. Tallandier, 400 pages.  20.90 € (rubrique LIVRES).

Bonne lecture !

Merci pour votre Fidélité.

 

(*) Pascal Le Pautremat est Docteur en Histoire Contemporaine, diplômé en Défense et Relations internationales. Il est maître de conférences à l’UCO et rattaché à la filière Science Politique. Il a enseigné à l’Ecole Spéciale militaire de Saint-Cyr et au collège interarmées de Défense. Auditeur de l’IHEDN (Institut des Hautes Études de Défense nationale), ancien membre du comité de rédaction de la revue Défense, il est le rédacteur en chef d’ESPRITSURCOUF.
Son dernier ouvrage « Géopolitique de l’eau : L’or Bleu » est présenté dans le numéro 152 d’ESPRITSURCOUF.