Le fondamentalisme islamique en roue libre
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Pascal Le Pautremat (*)
Rédacteur en chef d’Espritsurcouf
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La chute du régime de Bachar Al-Assad, dimanche 8 décembre 2024, a globalement été saluée comme vecteur de liberté retrouvée, avec la fin d’un régime tyrannique.
Par le jeu d’offensives combinées, lancées depuis le nord et le nord-est du pays, avec l’aide de la Turquie, le sud et le sud-est du territoire, à partir d’une zone adossée à la frontière syro-irakienne, les forces rebelles ont submergé les restes d’une armée syrienne, bien amoindrie, mal commandée et démotivée, au cœur d’un pays exsangue.
Pour nombre de quidams, cette rébellion hétéroclite ne pouvait qu’être sympathique car relevant de l’opposition armée au dictateur réfugié aujourd’hui à Moscou. Certains journalistes, dès le dimanche 8 décembre, se risquaient même à clamer que les rebelles préparaient une alternance nécessairement laïque et respectueuse des diversités confessionnelles. Des Syriens en exil, notamment en France, devant les micros des journalistes de la Maison de la Radio, exprimaient leur joie de pouvoir rentrer prochainement dans leur pays et contribuer à la mise en place d’un nouvel Etat laïc…
Laïc, vraiment ? L’Etat alaouite est tombé et, donc, bienvenue au pluralisme serein et bienveillant ?
Nous sommes, à ce stade, dans une approche des plus superficielles et même dangereuses.
Car, présentés comme de légitimes libérateurs, les rebelles relèvent de plusieurs tendances, largement dominées par des fondamentalistes islamiques et pour certaines à résonnance djihadiste.
L’Etat syrien a toujours été multiconfessionnel et laïc. Par contre, il n’a jamais toléré les sunnites radicaux, les frères musulmans et encore moins, évidemment, les jihadistes. Il n’a jamais supporté les contestations et oppositions quelles qu’elles soient ; quitte à les broyer dans une violence inouïe – que les peuples du Proche-Orient ont trop souvent fait leur, à travers l’Histoire – et à commettre des crimes indélébiles, portés par un arbitraire aveugle.
À l’évidence, le régime syrien s’est enfermé dans son jusqu’auboutisme sous la pression des membres les plus intraitables du Clan Assad. Bachar, contrairement à la légende, n’étant pas le plus glaçant.
Depuis 2011-2012, toutes les démarches de négociations entre le régime de Bachar Al-Assad et la rébellion plurielle ont toujours tourné cours, majoritairement sous la pression et les exigences – irrecevables pour Damas – des courants islamiques. Ceux-ci, au cours des années, ont même évincé les négociateurs laïcs et chrétiens qui, aujourd’hui, sont totalement marginaux.
L’Armée syrienne libre ? Il y a bien longtemps qu’elle a perdu ses chefs laïcs, sous la pression des groupes djihadistes et avec l’aide des services secrets turcs. Ces derniers, en 2012 et surtout dès 2013, n’avaient pas hésité à assassiner ceux qui refusaient d’intégrer des katibas radicales dans leurs rangs.
Sous la poussée des fondamentalistes musulmans, sunnites, la rébellion de 2024 a donc largement perdu la dimension hétérogène qu’elle pouvait avoir il y douze ans….Et il n’est pas exclu non plus que les courants islamiques qui la composent s’entredéchirent à nouveau.
Actuellement, le déni reste décidément bien ancré, y compris parmi les experts, certains n’hésitant pas à nier le fait que le régime turc de Recep Tayyip Erdogan, adepte de la doctrine des frères musulmans, soutienne les forces islamistes armées dont Hayat Tahrir al Cham (HTC – Organisation de libération du Levant). Son chef, Abou Mohammed al-Joulani, qui s’affiche en commandant en chef de ladite rébellion, se veut faussement consensuel et rassurant en interdisant tout meurtre à l’encontre des minorités kurdes et alaouites. Al-Joulani veut faire oublier son passé de membre d’Al Qaeda puis de l’Etat islamique, fondateur de l’effroyable Front Al-Nosra, en 2012, renommé Front Fatah al-Cham en 2016, coupable de multiples ignominies et massacres (crimes de guerre, crimes contre l’humanités), à l’instar des mouvements djihadistes, rivaux, qui ont foisonné depuis 2011 sur l’arc syro-irakien.
Les minorités, en tout cas, ne s’y trompent pas. Leurs membres affluent en masse à la frontière du Liban, convaincus que tôt ou tard, on cherchera à les massacrer.
Erdogan, en tout cas, n’a pas attendu pour reprendre ses offensives criminelles à l’encontre des forces démocratiques kurdes, dont les Unités de protection du peuple (YPG), implantées dans le nord et le nord-est de la Syrie. Alors que les unites d’al-Joulani pénétraient dans Damas, les massacres des Kurdes, sous une orchestration d’Ankara, reprenaient sans que les médias occidentaux n’en fassent état. C’est honteux et misérable…
D’un côté, donc, on voit des gens se réjouir de goûter à la liberté, de l’autre, un ethnocide se dérouler à l’encontre des Kurdes, grands oubliés de l’histoire conflictuelle du Proche et du Moyen-Orient.
Retenons enfin qu’une fois de plus, avec la chute d’un régime honni, aucune alternance digne de ce nom n’a été anticipée. Ce fut le même cas de figure en Irak, en 2003, comme en Libye en 2011.
Aucun gouvernement de transition syrienne ne s’est fait connaître. L’ONU, à part se féliciter de la chute du régime syrien, ne témoigne pas d’inquiétude ouverte quant au devenir des multiples populations exposées à une possible reprise du processus de nettoyages ethniques, perpétrés par les mouvements jihadistes. L’Etat islamique en profite pour se propager sans plus attendre sur le sol syrien, sortant de ses secteurs retranchés, même si ses forces sont exposées à des missions de coercition et d’attrition américaines. Les Etats-Unis ont en effet fait savoir, dès le week-end dernier, que plusieurs dizaines d’objectifs avaient ainsi été traités. Les forces israéliennes font de même. Car si le régime alaouite est tombé, les menaces qui pèsent sur Israël ne se sont pas amoindries ; bien au contraire. Israël a beaucoup à craindre d’un retour en force d’un front djihadiste à sa frontière nord-nord-est…Et que dire de la Jordanie qui va devoir, elle aussi, se garder des poussées islamique…et djihadiste ?
Quant aux pays du continent européen dont la France – et la Russie inclue – , ils vont devoir faire feux de tout bois, en matière de renseignement et d’opérations spéciales pour endiguer les projets d’attentats, sachant que la Syrie pourrait bien servir de socle stratégique à cet effet. Déjà, les services de renseignement ont identifié des dizaines de djihadistes français, de retour en Syrie dans les rangs des sbires d’Al-Soulaini. Fichés car particulièrement menaçants pour notre pays, auteurs d’exactions, de meurtres sauvages, ils sont prêts à renouveler leurs actes abjects Sans compter les centaines, voire les milliers de djihadistes qui ont été libérés des geôles syriennes et qui, assurément, vont, pour beaucoup, être tentés de reprendre leur combat dogmatique, armes à la main.
Pour cela, les djihadistes vont encore pouvoir compter sur des réseaux de la communauté musulmane plurielle d’Europe et de la France en particulier, de la Belgique et de la France en particulier.
Les services de renseignement vont être en ébullition. Espérons qu’ils vont travailler de concert à l’international en faisant fi des considérations politiques. Avec comme seul mot d’ordre, la sécurité internationale. Car, pour les fondamentalistes musulmans, nos pays constituent le Dar al-Harb, Espace de la guerre, sur laquelle il faut soumettre l’adversaire et y propager l’Islam. Que ce soit par le Djihad, ou par les jeux d’influence, chers aux frères musulmans, afin de bouleverser les rouages socio-économiques, culturels et parachever le processus par la conquête politique. En cela, l’idée de voir émerger une nouvelle Constitution en France, par le jeu du Nouveau Front populaire, leur conviendrait aisément, sachant qu’ils ont fait une alliance de circonstance opportuniste avec bien des partis de gauche et d’extrême gauche…
Oui, l’heure est grave.
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Espritsurcouf, pour le reste, continue son parcours et ses voyages géopolitiques. Ainsi, Paul Charles dresse un état des lieux quant à l’Arménie, sachant que le devenir de ce petit pays oscille, lui aussi, comme son voisin géorgien, entre l’attraction européenne et le cercle russe : « La fin de l’équilibrisme arménien ? » (rubrique GEOPOLITIQUE).
La Chine, par ailleurs, interpelle les services de renseignement français tant son jeu intrusif, en matière d’espionnage et d’intelligence économique, ne fait aucun doute et semble redoubler d’intensité. Eric Stemmelen attire notre attention sur cette question loin d’être secondaire « Le renseignement chinois en France : un inquiétant activisme » (rubrique SECURITE)
Dans l’hexagone, la situation économique est des plus moroses et les entreprises de taille intermédiaire témoignent d’un degré de fragilité qui suscite bien des inquiétudes quant à la situation du monde entrepreneurial en général ; Alexandre Mirlicoutois offre ainsi un éclairage sur cette réalité minimisée par l’exécutif « La panne des ETI menace la croissance française » (rubrique ECONOMIE).
Laure Fanjeau, compte tenu de l’actualité, vous plonge au cœur du dossier syrien, par le biais d’une sélection de divers documents (rubrique VIDEOS et PODCAST).
André Dulou, enfin, avec sa REVUE D’ACTUALITE, ne peut que rebondir sur une actualité des plus denses au ton préoccupant. Difficile en effet de s’extraire de la complexité de notre monde confronté à défis multiples…
La France, toujours et encore, est au cœur du dernier ouvrage de François D’Alançon, grand reporter, ancien auditeur de l’IHEDN, qui fut Directeur du service Monde au journal La Croix, pendant près de 20 ans. Co-écrit avec un autre reporter, suisse, Richard Werly, Le bal des illusions. Ce que la France croit, ce que le monde voit démontre, moult témoignages et analyses de terrain à l’appui, combien le décalage est immense entre l’état du pays, et ses moyens amoindris, et le regard bienveillant, depuis l’étranger, pour notre Etat qui court sur son erre, porté par l’héritage d’une influence passée. Dans les yeux des Autres, les deux experts constatent qu’il est tout à fait possible – et attendu – que la France se réanime et ressuscite ; à condition que nous trouvions les dirigeants à la hauteur des besoins et de la réalité (rubrique LIVRES).
Bonne lecture
Pascal Le Pautremat
Le prochain numéro d’ESPRITSURCOUF , paraîtra en pleine trêve des confiseurs, ce sera un numéro spécial , hors série, différents de numéros habituels, il traitera de Noël et du jour de l’an , loin des préoccupations quotidiens et habituelles, sur un ton plus léger, il sera plus culturel, nous reprendrons le 10 janvier 2025, avec le n° 248 notre formule habituelle «
La veille « TOUT SUR NOS ARMEES … OU PRESQUE », réservée aux membres d’Espritcors@ire, paraitra cette semaine.
(*) Pascal Le Pautremat est Docteur en Histoire Contemporaine, diplômé en Défense et Relations internationales. Il est maître de conférences à l’UCO et rattaché à la filière Science Politique. Il a enseigné à l’Ecole Spéciale militaire de Saint-Cyr et au collège interarmées de Défense. Auditeur de l’IHEDN (Institut des Hautes Études de Défense nationale), ancien membre du comité de rédaction de la revue Défense, il est le rédacteur en chef d’ESPRITSURCOUF. Son dernier ouvrage « Géopolitique de l’eau : L’or Bleu » est présenté dans le numéro 152 d’ESPRITSURCOUF. |
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