Chine, entre purge et dédain silencieux

Pascal Le Pautremat (*)
Rédacteur en chef d’ESPRITSURCOUF

 

Sous l’autoritarisme feutré de Xi Jinping, la Chine subit un renforcement constant de son pouvoir, entre processus de purges répétées, au sein de l’Institution militaire, mais aussi du parti communiste chinois, doublée d’une froide détermination à dédaigner l’Occident, et les Etats-Unis en particulier.

Ce jeudi 30 octobre, en Corée du Sud, Donald Trump et Xi Jinping se sont rencontrés pour la première fois depuis 2019. Si l’on sait déjà que Trump se rendra en Chine en avril 2026, et que de accords auraient été passés pour le commerce des terres rares et la réduction de droits de douane sur quelques produits tel le fentanyl, les deux superpuissances demeurent toutefois engagées dans un féroce bras de fer commercial.

Pour Pékin, il n’est nullement question de céder aux pressions de Washington sans rendre coup pour coup. En rétorsion aux pressions douanières que lui imposent Washington, Pékin a bloqué, par ses propres taxes, les importations de graines de soja que produisent les agriculteurs du Midwest, et s’approvisionne dès lors au Brésil et en Argentine, pays notables des BRICS.

Xi Jinping apparaît froid et pragmatique, dédaignant les sentiments qu’il peut susciter en Occident. Il tient à être craint et respecté. Seule le préoccupe la mise en ordre de bataille de son pays qui doit tendre vers l’autosuffisance, dans tous les secteurs, y compris dans la constitution de réserves considérables de terres rares. Le « Prince rouge » – ou « prince héritier du parti » – est concentré sur la parfaite maîtrise des technologies de pointe, la recherche scientifique en général.

On perçoit combien la Chine ne veut plus dépendre en quoi que ce soit des Etats-Unis ou leur être inférieure. Pendant des décennies, les Etatsuniens estimaient que seuls les progrès technologiques et la recherche leur permettaient de garder une avance confortable de 15 à 20 ans sur leur adversaire direct. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas… Et pour ce qui nous concerne, en Europe et en France en particulier, nous sommes toujours davantage à la merci de ces deux mastodontes, adeptes, chacun à leur manière, de la conquête de marchés et comptant sur l’affaiblissement des économies nationales autres que la leur, pour le plus grand satisfecit de leurs multinationales respectives.

Servi par les nouvelles technologies, le réflexe d’acheter toujours davantage par internet devenu planétaire, est un atout stratégique considérables pour la Chine. Cela a propulsé, au premier plan, les entreprises chinoises qui inondent toujours davantage d’année en année, les divers continents de leurs produits divers et variés, asphyxiant, dans le même temps, des secteurs entiers de petits commerces, d’artisanats d’art et de qualité.

 

Dans l’ouest de Pékin, un plénum – réunion plénière du Comité central du Parti communiste chinois (205 membres élus pour cinq ans et 171 suppléants sans droit de vote) – s’est tenu pendant plusieurs jours, du 20 au 23 octobre, à l’Hôtel Jingxi, qui relève du ministère des Armées. Il s’agit du 4ème plénum sur les sept réunions plénières que peut planifier un Comité central pendant ses cinq années de mandat. L’un des plénums qui ont marqué l’histoire de la Chine reste le troisième plénum du XIème Comité central de 1978 et qui avait lancé le programme dit de réforme et d’ouverture, sous la conduite de Deng Xiaoping (1904-1997).

Les membres du plénum d’octobre 2025 ont émis des propositions pour fixer les objectifs du prochain plan quinquennal qui couvrira les années 2026-2030. Il doit permettre d’encore mieux résister aux pressions douanières américaines, tout en renforçant le potentiel militaire chinois et en confortant l’emprise du parti communiste sur l’ossature de l’armée populaire de libération (APL), au gré d’un nouveau cycle de sanctions et de limogeages.

Depuis que Xi Jinping est devenu secrétaire général du parti communiste chinois, en 2012, puis président de la Chine, depuis 2013, reconduit dans ses fonctions au gré de mandats de 5 ans, désormais illimités, le 13ème plan quinquennal (2016-2020) et le 14ème plan quinquennal (2021-2025) ont témoigné d’un renforcement de la centralisation sur l’ensemble du pays et des rouages institutionnels, sur fond de personnalisation du pouvoir. L’emprise sur les cadres des armées n’a cessé de s’amplifier depuis 2012 ; ceux-ci devant prêter serment de fidélité et d’allégeance non seulement au Parti communiste mais aussi à la personne même de Xi Jinping. En outre, les derniers plans quinquennaux ont motivé tous azimuts les acteurs et moyens d’extension de l’influence chinoise de manière transcontinentale.

Pour son troisième mandat, Xi Jinping continue d’évincer les plus hauts dirigeants de l’APL, susceptibles de représenter des factions rivales, sinon concurrentes. Ainsi, le général He Weidong, âgé de 68 ans, vice-président de la Commission militaire centrale, considéré comme le numéro deux de l’establishment, en charge de la gestion politique de l’APL et d’en assurer la loyauté à l’égard du président, a été écarté suite à une enquête pour abus de pouvoir et corruption. Il a été remplacé par Zhang Shengmin, jusqu’ici en charge de la gestion disciplinaire de l’APL. Lin Xiangyang, officier général responsable du théâtre oriental et des opérations liées à la prise de contrôle de Taïwan, a lui aussi été disgracié. On retiendra aussi que la Commission militaire centrale ne compte plus que quatre membres contre sept habituellement.

Xi Jinping exige que l’armée chinoise soit concentrée sur les objectifs fixés, sachant qu’il a ordonné qu’une opération destinée à prendre le contrôle de Taiwan soit prête pour 2027, sur fond de célébration du centenaire de l’armée population de libération.

Disgrâces, reprise en main, serment d’allégeances, cérémoniales quasi impériaux ; autant de démarches tactiques pour un stratège qui, depuis 2012, ne fait que resserrer son emprise sur la Chine. Il attend de chacune et de chacun, quel que soit le ministère et les fonctions d’attribution, y compris pour celles et ceux en poste à l’étranger, un engagement et une implication sans faille au profit de la cause chinoise. La corruption, les travers comportementaux, y compris les adultères et doubles-vies, sont autant de motifs d’éviction. Xi Jinping semble parachever la lutte contre le jeu de corruption et d’attribution de postes au gré de réseaux d’ambitieux qui, traditionnellement, se satisfont en achetant leurs charges et responsabilités. Ce qui n’a jamais été du goût du président chinois qui tient à tout contrôler. En 2024, 889 000 responsables divers ont fait l’objet de sanctions administratives, soit une hausse de 45% par rapport à l’année précédente.

Les services publics, les milieux d’affaires économiques ne sont pas épargnés. Les enquêtes pleuvent sur diverses figures de la vue économique chinoise, contribuant à créer un climat d’anxiété et de crainte à l’égard du régime, sachant que le secteur public est largement privilégié au détriment du secteur privé.

Xi Jinping est donc focalisé sur la capacité de la Chine à faire preuve d’une totale résilience, en tendant vers l’autosuffisance et en maintenant un taux de croissance économique confortable. Même si l’on est évidemment loin des taux de croissance à deux chiffres qui prévalaient pour la période 1980-2003, celui de l’année 2025 devrait être tout de même de 5%…. Toutefois, depuis 2019-2020, la consommation intérieure baisse, d’année en année, au fur et à mesure que les subventions gouvernementales diminuent, après la crise liée à la pandémie de la COVID-19.


Pour ce 267ème numéro d’Espritsurcouf, Vincent Gourvil, en tant qu’ancien haut fonctionnaire, porte un regard rétrospectif sur les années écoulées de la présidence d’Emmanuel Macron : « Requiem pour le Mozart de la diplomatie » (rubrique HUMEURS).

Laurent Mayet donne un éclairage précieux sur les spécificités de la politique européenne à l’égard de l’Arctique. Les enjeux en matière d’environnement y sont cruciaux. L’Arctique est aussi vulnérable face aux convoitises géostratégiques des grandes puissances dont les littoraux embrassent cette zone source de bien des prédations. Hélas, l’Europe ne témoigne pas d’une dynamique éclatante pour parer au pire : « La politique arctique de l’Union européenne « à la cape » » (rubrique GEOPOLITIQUE).

Sarah Caron vous présente le deuxième et dernier volet de son étude consacrée aux femmes au cœur des mouvements préoccupés par la montée en puissance du potentiel nucléaire et des risques conflictuels inhérents, en pleine Guerre froide. Après les Américaines, les Européennes sont au cœur du propos : « Les femmes, le genre et le nucléaire pendant la Guerre froide (2ème partie) :  Les mouvements antinucléaires féminins de la seconde vague : les années 1970/1980 en Europe » (rubrique DEFENSE).

Laure Fanjeau, pour sa part, revient à l’occasion d’Halloween sur un des emblèmes de cette fête « Jack o’ Lantern » . A cela s’ajoutent quelques vidéos qui permettent de mettre en relief la politique de Xi Jinping (rubrique LU, VU ET ENTENDU POUR VOUS).

André Dulou, avec son nouveau SEMAPHORE, ajoute une palette plurithématique supplémentaire à ce numéro tout en insistant sur la défense européenne (rubrique LE SEMAPHORE).

Enfin, dans la mesure où nous commémorons dans quelques jours, les effroyables attentats du 13 novembre 2015, nous attirons votre attention sur la parution de l’ouvrage de Stéphane Sarrade, par ailleurs directeur de Recherche et directeur des Programmes Énergies au CEA, qui a perdu son fils aîné lors de l’attaque massivement meurtrière lancée en pleine concert au Bataclan. Il relate et raconte ainsi tout ce qui a précédé le drame, son déroulement, et l’après… Entre le poids de l’absence, la douleur profonde, les postures collectives et individuelles autour d’une telle épreuve : Stéphane Sarrade, Au bout du chagrin. Le Bataclan, et après… Paris, éd. Tallandier, 2025, 156 pages. (rubrique LIVRES).


Bonne lecture !

(*) Pascal Le Pautremat est Docteur en Histoire Contemporaine, diplômé en Défense et Relations internationales. Il est maître de conférences à l’UCO et rattaché à la filière Science Politique. Il a enseigné à l’Ecole Spéciale militaire de Saint-Cyr et au collège interarmées de Défense. Auditeur de l’IHEDN (Institut des Hautes Études de Défense nationale), ancien membre du comité de rédaction de la revue Défense, il est le rédacteur en chef d’ESPRITSURCOUF.
Son dernier ouvrage « Géopolitique de l’eau : L’or Bleu » est présenté dans le numéro 152 d’ESPRITSURCOUF.