Résilience et impuissance

Pascal Le Pautremat (*)
Rédacteur en chef d’ESPRITSURCOUF

Depuis la pandémie de COVID-19 qui aura vu notre pays contraint au confinement à trois reprises, et de surcroît depuis 2022 en raison de la guerre russo-ukrainienne et ses évolutions sources de toutes les supputations, on ne cesse d’entendre le pouvoir exécutif appeler à la résilience. Cette « posture mentale » est désormais déclinée dans divers domaines, tant sur le plan individuel que collectif.

Ainsi, en 2020 et 2021, les Français ont été invités – ou surtout sommés – de faire acte de résilience dans la guerre contre la pandémie… Puis, au-delà du contexte de guerre sanitaire, qui tombait à point nommé pour l’Elysée, afin de museler le désarroi populaire et les revendications sociales, la guerre russo-ukrainienne est venue s’inviter dans la boucle.

Ce conflit d’Europe orientale fait aujourd’hui l’objet d’une thèse officielle visant à mettre en garde contre une invasion russe étendue à une large partie de l’Europe, sous-entendant que la France serait visée. Ainsi, l’Elysée a-t-il lancé toute une série de démarches ministérielles, entre communication et mesures concrètes, qui témoigne d’un processus de préparation à la guerre, quitte à être à contre-courant avec les efforts de négociation entrepris outre-Atlantique ; certes sans résultat tangible à ce jour.

Gouverner c’est prévoir… Dans une certaine mesure, donc, les choix de l’Elysée correspondent, par définition et dans l’absolu, à ce que l’on attend d’un pouvoir exécutif. Le vieil adage n’a rien de nouveau d’ialleurs, tant il est est affirmé depuis longtemps, notamment par diverses figures politiques du XIXe siècle. « Gouverner, c’est prévoir ; et ne rien prévoir, c’est courir à sa perte » précisait même le journaliste et député Emile de Girardin (1802-1881) dans La politique universelle (1852) reprenant ainsi une formule qui a traversé plusieurs siècles et dont l’origine précise nous échappe.

Pour autant, Nicolas Machiavel (1469-1498) n’avait pas manqué de souligner une posture politique qui traverse elle aussi, hélas, les âges, avec cette formule toute aussi évocatrice : « gouverner, c’est faire croire ». Et delà, découle aussi ce qu’Anatole France (1844-1924), faisait dire à l’un de ses personnages, dans le 4ème tome de son roman Histoire contemporaine, intitulé Monsieur Bergeret à Paris (1901) : « gouverner, c’est mécontenter ».

Force est de constater que le Président de la République sera parvenu à concrétiser ces diverses citations. In fine, ses décisions unilatéralistes – on dit qu’il n’écoute pas ses conseillers les plus mesurés – ses choix en faveur d’une économie financière, mécontentent tellement le peuple français que l’Agora apparaît désormais, au bord du point de rupture.

Devant un tel désastre national, le locataire de l’Elysée s’applique à lui-même le concept de résilience, doublée de déni, quitte à sacrifier tous ceux qui lui sont fidèles et qui apparaissent comme des fusibles, mis en première ligne à Matignon, sans que sa politique ne puisse être transformée de manière salvatrice.

En général, les régimes politiques chutent sous le poids d’une double crise : politique et financière. Les deux éléments sont réunis – depuis longtemps – mais la cohésion nationale n’existe plus véritablement. Les stratégies de partis ont pris le pas sur le bien de la Nation.

Aussi, faute de véritables choix stratégiques constructifs, les autorités politiques invitent, en somme, les Français, de manière intergénérationnelle, à faire acte, là encore, de résilience en acceptant de s’inscrire dans la longue durée pour la poursuite du remboursement d’une dette qui s’est largement aggravée à partir du mandat de Nicolas Sarkozy et a connu une dégradation majeure sous la présidence d’Emmanuel Macron. Le taux de remboursement des emprunts est passé en quelque mois de 3 à 4,5%, sur les marchés boursiers, tandis que le FMI rappelle par la voix de Christine Lagarde, que la gestion budgétaire exige de la discipline…

La situation globale est assurément catastrophique. Mais certains, comme Eric Heyer, directeur du département analyse et prévision de l’Observatoire français des conjonctures économiques, dans le Midi Libre le 28 août dernier, n’hésitent pas à relativer la situation en affirmant : « on a des déficits de crise alors qu’on n’est pas en période de crise »… Une grille d’appréciation que beaucoup de lecteurs ne partageront pas, sans doute. Car la crise, plurisectorielle est belle et bien là. Eric Heyer se veut rassurant en mettant en avant plus de 3 700 milliards d’actifs financiers et non financiers, face à plus de 3 000 milliards d’euros de dettes. Et de préconiser un discours globalement positif pour ne pas affoler les chefs d’entreprises, les investisseurs qui pourraient être refroidis ou dissuadés de promouvoir les logiques de production et de consommation dans notre pays.

On comprend bien l’idée ; on peut adhérer au principe. Mais la réalité est bien différente tant les décennies de délocalisation ont fait leur œuvre et que le secteur industriel est davantage amoindri, mois après mois. En 2023, il ne comptait plus que 3,2 millions de salariés alors qu’en 2018 le secteur réunissait 13% des emplois nationaux contre 23% des emplois en France, en 1970. En 2024, l’industrie manufacturière a perdu 19 704 emplois. Le poids de l’externalisation, la concurrence étrangère et l’évolution de la demande continuent d’éreinter le secteur secondaire.

Près de 66 000 entreprises ont fait faillite en 2024… Pléthore de villes moyennes ont une activité économique moribonde. On ne compte plus le nombre de boulangeries, de charcuteries, d’épiceries de restaurants qui ferment dans tout le pays. Il suffit de traverser des régions diverses du nord au Sud, pour le constater de visu. On ne voit guère d’études approfondies, dans la presse, sur cette triste réalité. Par contre, on ne compte plus le nombre de dépêches et de pseudos analyses justifiant ou blâmant la démission, sous la pression du Conseil d’administration de Nestlé, de son Président directeur général, Laurent Freixe, en raison d’un épisode de sa vie sentimentale. Tout cela est renvoie une basse presse de vaudeville de paillettes et de spéculateurs psychotiques.

Rembourser une dette doit prioritairement s’appuyer sur des activités économiques salvatrices, en faisant la promotion du travail plurisectoriel, afin d’assurer aux foyers des revenus dignes et rendre audible et visible une économie nationale plurisectorielle…

On ne peut demander à une classe moyenne de plus en plus éreintée, de combler les déficits, tout en étant incapable de favoriser les entreprises françaises le sol national. Les logiques de patrimoine économique exigent évidemment des aménagements et ajustements qui sont, malheureusement, maigres.

En marge de la résilience, il y a donc surtout l’impuissance autant que la frustration des Français qui subissent largement les événements, les conséquences de choix politiques désastreux, faute de vision stratégique en mesure d’inverser la situation.

Certains commentaires, entendus ici ou là, sont suffisamment explicites pour inquiéter. Ainsi, devant le tumulte parlementaire récurrent, l’incapacité à voir des partis discuter ensemble et construire collectivement des lendemains prometteurs, certains avouent être lassés de la démocratie qu’ils jugent moribonde, sans cesse en crise… Ce qui laisse le champ libre à des options qui suscitent, là aussi, les plus vives préoccupations…


Pour ce 263ème numéro, le devenir de la France en Afrique sera la question que soulève Renaud Girard, car, dès lors, toute la problématique consiste à réfléchir sur les capacités françaises à y regagner une crédibilité largement perdue : « La voie du rétablissement de la France en Afrique » (rubrique HUMEURS).

Au Proche-Orient, on sait combien le devenir des Kurdes est source d’inquiétude, face à la pression de la Turquie comme des courants fondamentalistes, encore très influents dans le nord et nord-est de la Syrie. Sarah Caron évoque, dans une étude approfondie, le devenir de l’Administration autonome du Nord et de l’Est de la Syrie (AANES) dite Rojava, alors que le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) a décidé sa dissolution en mai dernier : « Le Rojava face à la dissolution du PKK ? »  (rubrique GEOPOLITIQUE)

En Extrême-Orient, le Japon se réaffirme et témoigne d’une quête effrénée pour recouvrer de larges leviers de puissance et d’influence. Corentin Meyer vous propose ainsi une plongée dans la civilisation nippone à travers une belle synthèse, publiées en deux parties, à partir d’une conférence à plusieurs voix donnée dans le cadre de l’IRIS : « Le Japon : une puissance résiliente ? » (rubrique GEOPOLITIQUE). La seconde partie sera publiée dans le N°264.

La résilience pluridisciplinaire faire partie aussi des points sur lesquels nous tenons à insister dans ce numéro. Ainsi, dans sa rubrique, Laure Fanjeau, met à votre disposition plusieurs vidéos qui abordent divers angles d’approche de la notion de résilience, véritable problématique de notre époque. Découvrez dans son Focus « L’information sous influence » les notions clés qui reviennent régulièrement dans la lutte contre la manipulation informationnelle (LMI) (rubrique LU, VU ET ENTENDU POUR VOUS).

De son côté, André Dulou, pour son nouveau SEMAPHORE « Chaos », dresse un panorama des thèmes majeurs qui imprègnent la presse et qu’il a soigneusement sélectionnés (rubrique LE SEMAPHORE).

Enfin, en matière de publication, nous mettons en lumière le dernière ouvrage « Kolwezi. La Légion saute sur le Katanga » de Paul Villatoux, docteur en histoire, titulaire de l’habilitation à diriger des recherches (HDR), fin expert des questions militaires et de renseignement. Il signe en effet un ouvrage à la fois synthétique et riche en détails, relatant la mémorable « Opération Bonite » assurée, au Zaïre, par le 2ème Régiment étranger parachutistes, du 15 au 21 mai 1978, dans la province minière du Katanga, afin de libérer des centaines d’otages piégés par des rebelles à Kolwezi : Paul Villatoux, Kolwezi. La Légion saute sur le Katanga. Paris, éditions Mémorabilia, 96 pages (rubrique LIVRES).

Bonne lecture !

Merci pour votre Fidélité.

 

(*) Pascal Le Pautremat est Docteur en Histoire Contemporaine, diplômé en Défense et Relations internationales. Il est maître de conférences à l’UCO et rattaché à la filière Science Politique. Il a enseigné à l’Ecole Spéciale militaire de Saint-Cyr et au collège interarmées de Défense. Auditeur de l’IHEDN (Institut des Hautes Études de Défense nationale), ancien membre du comité de rédaction de la revue Défense, il est le rédacteur en chef d’ESPRITSURCOUF.
Son dernier ouvrage « Géopolitique de l’eau : L’or Bleu » est présenté dans le numéro 152 d’ESPRITSURCOUF.