« Frères de solitudes »
Merri
Collection « Quartier libre », éditions de l’Ecole de Guerre, 16 décembre 2019, 120 pages.
N°220 – 08 septembre 2023

 
Thème :  Défense
 

L’auteur, qui écrit sous pseudonyme, avait déjà marqué les esprits en 2011, avec un premier roman 24, le chemin des solitudes, aujourd’hui épuisé, en montrant la réalité des opérations occultes, au plus près des hommes.

Dans un style épuré, où l’essentiel est dit avec une profondeur incontestable – à condition d’y être attentif et sensible – Merri renoue, sur un socle autobiographique, avec son équipe de figures charismatiques autant qu’énigmatiques, découvertes dans le premier volet et désignées, pour la plupart, par des numéros, outre Charlie et Delta et quelques autres.

Le propos nous plonge à nouveau dans l’intimité de ces opérateurs hors norme. Et sans cesse, on a le sentiment complice du groupe. On ressent leurs liens indéfectibles, on perçoit leurs blessures et traumatismes, enveloppés d’amertume, de mélancolie voire d’une certaine lassitude. Relever des services spéciaux finit par user ; de surcroît lorsque l’on sert sur plusieurs décennies, motivés par des convictions profondes mais avec de plus en plus de mal à faire abstraction de la froideur des cercles décisionnels…

Répondant toujours présents aux missions qui leur sont confiées, sans illusion sur leur utilisation opportuniste à tout crin, tous, finalement, sont plus ou moins torturés ou pour le moins accablés par les épreuves accumulées au gré des actions menées au profit de « l’Entité », entre opérations spéciales et actions clandestines…

Dans leurs vies, ils ont toujours mis au premier plan, la mission impartie, le sens du devoir, l’attachement viscéral au groupe, sur fond d’une certaine misanthropie et d’un dégoût certain pour les « Autres », nommés ainsi par les protagonistes, à savoir : les calculateurs, profiteurs et opportunistes tant militaires que politiques, qui les exploitent avec un cynisme systémique. Ceux qui les envoient accomplir l’impossible et qui se gratifient des résultats escomptés, leur laissant quelques médailles, des hochets napoléoniens, alors que sur le chemin de la vie, avec la Mort en fin de parcours visible, l’Essentiel est pourtant ailleurs.

 

Tout l’ouvrage respire l’intelligence vive, l’approche psychologique avec une réelle sensibilité, source aussi de douleur et de détresse intérieures. Car les « personnages » sont des êtres en quête d’amour – impossible ou meurtri – en somme. En raison de leur métier, ils traînent pour la plupart le lourd fardeau de vies de couple fracturées, de vies de famille impossibles. Ils doivent, en somme, accepter d’avoir payé le prix fort pour être en harmonie avec ce que leurs principes leur ont dicté : la parole donnée, l’honneur de servir une certaine notion de la patrie, en s’engageant pleinement. Une patrie dont les décideurs – les « Autres » donc – leur tournent pourtant bien le dos et les oublient sans état d’âme, après quelque cérémonie et simulacre d’empathie.

La solitude est donc insoluble. Pour autant, les opérations sont menées avec une détermination et une efficacité professionnelles. Elles conduisent notre fine équipe dans l’espace sahélien, en coopération avec les Touaregs. Mais la mort et la complexité des liens claniques et tribaux viennent nourrir le vieil adage des brouillards de la guerre…

 

Le propos ramassé, peu ouvert aux développements, peut désarçonner certains lecteurs, sans doute peu enclins à comprendre les sous-entendus, les idées sous-jacentes, les références feutrées. Sinon, cet ouvrage ne peut que rassurer, paradoxalement, en constatant que nous pouvons partager les mêmes ressentis et vivre avec les mêmes fardeaux directs ou indirects que les personnalités du livre…avec humilité et un effort constant de résilience. Et en se demandant souvent : quel est le sens de Tout cela ?

Parmi les citations – toujours judicieusement choisies – que l’auteur ne manque pas d’intégrer dans son récit, retenons celle de Saint-Exupéry qui résume bien l’état d’esprit de ces hommes de l’ombre qui ont tenu la tête haute jusqu’au bout, certains rattrapés par l’âge avancé et le grand Départ vers l’au-delà, puissamment présent tout au long de l’ouvrage : « Le soldat n’est pas un homme de violence, il porte les armes et risque sa vie pour des fautes qui ne sont pas les siennes. Son mérite est d’aller sans faillir au bout de sa parole, tout en sachant qu’il est voué à l’oubli ».

 

par Pascal Le Pautremat
Rédacteur en chef d’Espritsurcouf

PRÉSENTATION DU LIVRE

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24 et  09, Charlie, Delta, « Yeux las » et le Capitaine, ceux du Clan ou de l’Entité sont les héros désenchantés d’un monde qu’ils ne comprennent plus, qu’ils n’ont peut-être jamais compris, et qui ne les comprend pas davantage. Pourtant ils servent, unis par une même volonté. Soldats de l’ombre et plus que simples camarades, frères d’armes ou frères de solitudes, multiples, à chacun les siennes.
« Avec, comme dans la vie, les Autres toujours présents, ces hommes superficiels qui, du fond d’un bureau, vous envoient là-bas, là d’où l’on revient avec des bleus à l’âme, là où l’on perd un peu de soi, là où l’on perd des camarades… Pour une chose morte. »

 

FICHE D’IDENTITÉ DU LIVRE
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Titre : « Frères de solitudes »
Auteur : Merri
Date de parution : 16/12/2019

Format : 20,3 x 13,3 x 1,2 cm
Editeur :
Ecole de Guerre

Collection : Collection « Quartier libre »
EAN 13 : 9782356730596
ISBN : 978-2-35673-059-6
Pages :
  120 pages.
Prix : 15€

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