LA FARCE DU FINANCEMENT DU TERRORISME !
Richard Labévière
Rédacteur en chef
Lundi 5 juin, vers 5 heures du matin, l’Arabie saoudite, l’Egypte, le Yémen, les Emirats arabes unis et Bahreïn annoncent la rupture de leurs relations diplomatiques avec le Qatar. Ces cinq pays accusent l’émirat de « soutenir et de financer le terrorisme «. Quel scoop ! Et quelle découverte de la part de pays, au premier rang desquels l’Arabie saoudite, qui financent effectivement, soutiennent et arment les factions de l’Islam le plus radical depuis plus de trente ans ! Une vaste plaisanterie tellement illustratrice de notre ère post-vérité/ Fake-News et plus c’est gros plus ça passe…
Suite à cette considérable révélation, personne ne devrait douter que les Etats-Unis, la Grande Bretagne ou la France, proposent une résolution au Conseil de sécurité des Nations unies afin d’adopter de sévères sanctions – à tout le moins – contre un Qatar qui (ah tiens donc !) y bénéficie de privilèges politiques, économiques et fiscaux considérables. Mais le plus probable est, bien-sûr, qu’il ne se passera rien et que les pays occidentaux vont se murer dans un attentisme embarrassé, voire conciliateur… En d’autres termes, on devrait se demander pourquoi – dès qu’il est question de terrorisme et de financement du terrorisme -, la planète entière déraisonne complètement!
L’auteur de ces lignes travaille et enquête depuis plus de trente ans, notamment sur le rôle central de l’Arabie saoudite dans la problématique du financement de l’Islam radical et du terrorisme islamiste. En 1998, notre livre – Les Dollars de la terreur[1] , traduit dans plusieurs langues, sans avoir fait l’objet de la moindre recension dans la presse parisienne – expliquait que, pour acheter sa tranquillité et la reproduction de sa dynastie, l’Arabie saoudite finançait nombre d’officines, d’ONGs et de factions armées salafistes, non seulement aux Proche et Moyen-Orient, mais aussi en Asie, en Afrique, en Europe et tout particulièrement en France.
Largement transnationales et rhizomatiques, les filières de financement du terrorisme islamiste impliquent non seulement l’Arabie saoudite et le Qatar (bien-sûr) mais aussi les Emirats arabes unis, le Koweït (dont le système bancaire sert de plaque tournante), mais encore différents opérateurs égyptiens (dont l’ex-banque Al-Taqwa) et occidentaux (américains, britanniques, allemands, néerlandais et suisses entre autres). On n’a pas attendu les révélations des Panama-Papers pour expliquer comment les places off-shore – dont la majorité se trouve toujours sous pavillons américain et britannique – servent de lessiveuses aux flux financiers du Crime organisé, des grands cartels de la drogue et des principaux bailleurs de fonds du terrorisme islamiste.
Par conséquent, on pourrait aujourd’hui tout aussi bien rompre les relations diplomatiques avec la City de Londres, Wall Street, les Îles Anglo-normandes, les Bahamas, les Îles Caïman et Vierges, Monaco et la Confédération helvétique! Soyons sérieux: le Qatar ( qui abrite certes les Frères musulmans et d’autres « malfaisants ») n’est certainement pas le seul acteur – tant s’en faut ! – du financement du terrorisme, sans compter les multiples structures locales, endogènes, d’auto-financement de Jabhat al-Nosra, Dae’ch et d’autres groupes salafo-jihadistes mercenarisés avec l’aide des services turcs, américains et pakistanais… Compte tenu de ces intangibles réalités pourtant connues de la totalité des pouvoirs exécutifs des grandes puissances, que s’est-il passé?
Notre Focus de cette semaine (Les dessous de la crise Arabie saoudite – Qatar) revient sur les logiques souterraines de cette tempête dans un verre d’eau et de pétrole. Toujours est-il qu’au final, l’Arabie saoudite et les Etats-Unis risquent de se prendre les pieds dans le tapis volant. En effet, jusqu’à maintenant Riayd et Washington s’efforçaient de constituer un front commun anti-chi’ite principalement destiné à endiguer l’Iran et ses alliés dont le puissant Hezbollah libanais.
En découvrant soudainement que le Qatar finance – à lui seul – le terrorisme… (farce pathétique !!!), Riyad et Washington prennent la responsabilité d’ouvrir une nouvelle faille dans le monde arabo-musulman, entre Sunnites cette fois-ci, plus précisément entre Wahhabites, c’est-à-dire entre tenants de l’une des idéologies les plus réactionnaires de l’Islam, elle-même pourvoyeuse de radicalisation et de terrorisme. Cette farce grotesque n’est pas seulement affligeante, elle est extrêmement dangereuse parce qu’à jouer ainsi les pompiers-pyromanes, Saoudiens et Américains ne peuvent plus, désormais, nous convaincre qu’ils sont décidés à lutter sérieusement contre le terrorisme contemporain.
Richard Labévière
Rédacteur en chef
[1] Richard Labévière : Les Dollars de la terreur – Les Etats-Unis et les Islamistes. Editions Grasset, novembre 1998.