ARMÉES : UN MALAISE PERSISTANT…
Richard Labévière
Rédacteur en chef
Destinée à dissuader, sinon à lutter contre le terrorisme, l’opération Sentinelle est ramenée de 10 à 7000 hommes, avec différents ajustements opérationnels. C’est une bonne chose, mais cela ne suffira certainement pas à combler les moyens amputés et gelés du budget des armées. Et Le Figaro du 15 septembre dernier va un peu vite en besogne en laissant entendre que le malaise est derrière nous. Chute de son éditorial du même jour : « quant au président de la République, ce redéploiement est aussi, pour lui, un signal positif. Deux mois après la démission fracassante du général de Villiers et les remous qui s’en suivirent, le chef des armées montre qu’il est en train de renouer avec la communauté militaire le fil du dialogue, c’est-à-dire celui de la confiance ».
Le 4 septembre dernier, lors de l’université de la Défense à Toulon, la ministre des Armées Florence Parly n’a pas vraiment convaincu non plus lorsqu’évoquant l’affaire de Villiers, elle a affirmé que « cet épisode est derrière nous et qu’il n’y a aucun problème de confiance ». Pas de chance, parce que le lendemain et devant le même auditoire, le nouveau CEMA François Lecointre remettait le couvert en employant la même argumentation – mot pour mot – que celle de son prédécesseur démissionné : « les réflexes de régulation budgétaire sauvage dans le secteur de la défense en période de surengagement des armées ne sont pas une solution satisfaisante » et placent les hommes en difficulté, sinon en danger opérationnel. Rappelant que les armées ne décident pas de leurs engagements sur les théâtres extérieurs, il laissait tout aussitôt entendre qu’il est de la responsabilité du pouvoir exécutif de mettre à disposition les « moyens proportionnés » et adéquats pour la réalisation de ces missions choisies et décidées par le pouvoir exécutif…
Eux aussi, et en reprenant la même argumentation que celle de leur ancien CEMA – le général Pierre de Villiers -, les chefs d’états-majors de l’armée de terre, de l’air et de la Marine nationale, les généraux Jean-Pierre Bosser, André Lanata et l’amiral Christophe Prazuck, déplorent simultanément « des retards préoccupants de livraison de matériels vitaux pour l’accomplissement des missions » au sein de différentes instances de la représentation nationale ; exercice ayant coûté son poste à l’ancien CEMA ! Et quoi de plus normal de voir des officiers supérieurs et généraux privilégier – en responsabilité – ainsi la dimension opérationnelle de leurs missions, lorsqu’ils envoient leurs hommes en première ligne pour la Défense et la Sécurité de la France, des Français et de leurs intérêts domestiques et extérieurs !
Même si à l’Elysée, il est de bon ton de qualifier la démission du général de Villiers de « tempête dans un verre d’eau », il suffit de revenir sur quelques témoignages recueillis sur la base d’Istres le 20 juillet dernier après la visite thérapeutique d’Emmanuel Macron : « ambiance glaciale », « cérémonie crispée » et « applaudissements du bout des doigts n’arrivant pas à percer la sérénade des cigales… » Et tout le monde de commenter les conditions laborieuses du remplacement de Pierre de Villiers : « deux généraux ont refusé de prendre le job dans de telles conditions », un troisième ayant été approché aurait lui aussi décliné la proposition avant que l’Elysée ne formule un ordre de marche comminatoire à ce pauvre François Lecointre qui n’a pas eu vraiment le choix de refuser… Alors chef du cabinet militaire du Premier ministre depuis septembre 2016, il a du s’exécuter de bonne grâce au risque de voir sa carrière s’interrompre tout aussi brutalement que celle son prédécesseur…
Oui, nos amis du Figaro ont été un peu légers et devraient savoir qu’avec les militaires, la confiance ne se décrète ni par ordonnances, ni par déclarations péremptoires de chefferie et encore moins par les artifices d’écritures dont sont coutumiers les « voleurs de Bercy ». Les armées françaises jouissent d’une excellente image dans l’opinion publique de notre pays, même si cette dernière n’est pas toujours bien informée sur les conditions réelles de leurs missions, de leurs contraintes familiales et de leur choix de vie au service du pays.
Au-delà de ses aspects humains, la démission du général Pierre de Villiers – dont l’héritage stratégique et personnel – continue d’inspirer et de motiver ses frères d’armes, n’a pas été « une tempête dans un verre d’eau ». Tout au contraire, elle demeure le symptôme d’un mal français persistant qui consiste à prendre le « dire » pour le « faire », à faire de la com. au lieu d’une politique réelle, à jeter en pâture au conservatisme des élites traditionnelles l’honneur des meilleurs serviteurs de l’Etat.
Fin 1976, Alain Peyrefitte concluait Le Mal français par ces mots : « hier, un roi se prenait pour l’Etat. Aujourd’hui, l’Etat se prend pour un roi… » Malheureusement, le livre n’a pas pris une seule ride ! Hors de toutes considérations politiques, nos dirigeants actuels feraient bien de lire ou relire cet ouvrage qui met la plume dans les plaies perpétuellement ouvertes de notre vieux pays. Bonne lecture !
Richard Labévière