MERS ET OCÉANS :
A QUOI SERT JACQUES ATTALI ?

Richard Labévière
Rédacteur en chef

 

A rien ! Son dernier livre – Histoires de la mer – ne sert à rien, n’apporte rien ou pas grand-chose parce qu’il se résume à un empilement de fiches Wikipedia sur la naissance de l’univers, de l’eau, du système solaire, de la vie multicellulaire avec l’apparition des premiers mammifères et la séparation des océans. Viennent ensuite, les conquêtes des mers avec rames et voiles, avec le charbon et le pétrole, la naissance du conteneur et de la globalisation maritime. Quelques pages sur la pêche, sur la mer comme source de « l’idéologie de la liberté » et juste ce qu’il faut de prospective : demain l’économie de la mer, la géopolitique de la mer et « sauver la mer », avec ce qu’il faut aussi de bons sentiments environnementaux pour rassurer Nicolas Hulot.

Aucune problématique, ni réflexion cohérente d’ensemble : juste un plan équilibré, consensuel et commercial. Si Jacques Attali pointe les rendez-vous historiques manqués de la France avec la mer, il n’en tire aucune pensée construite, aucun enseignement. Aucune analyse non plus sur l’absence de stratégie maritime française, sur l’incapacité des élites de notre pays à définir une stratégie navale, alors qu’elles ne cessent de se gausser de notre espace maritime de 11 millions de kilomètres carrés, le deuxième du monde !

En trois cents pages, le livre évoque en quelques lignes le dossier des pêches illégales, sans le raccrocher aux différentes problématiques, ni des flux migratoires clandestins, ni de la piraterie, ni du terrorisme. On se perd dans un alignement descriptif, purement phénoménologique de données qui restent en apesanteur, entre deux eaux narratives sans grand intérêt. On cherche les concepts, les filiations, les ruptures, les tremblements, sinon l’émotion que Michelet sait nous transmettre à chacune des pages de sa Mer à lui. Avec une arrogance tranquille, mais sans surprise, le survol géopolitique se perd dans une suite d’enfoncements de portes grandes ouvertes. Evidemment, Carl Schmitt, comme Heidegger et d’autres, n’a pas bonne réputation, mais c’est autre chose : la lecture de son Terre et mer – dernièrement réédité par Pierre-Guillaume de Roux[1] – est un enchantement autrement plus entraînant pour quiconque s’intéresse un tant soit peu à la géopolitique et aux relations internationales.

La « Marine nationale », ses missions, personnels et matériels ne sont pas cités une seule fois en 300 pages, alors qu’il est question du devenir des Marines de guerre des Etats-Unis, de la Chine et de l’Inde. Pas d’attention très soutenue non plus quant aux nouveaux enjeux stratégiques en Méditerranée, qui concernent pourtant très directement la défense et la sécurité de notre pays. Ne parlons pas de l’océan Indien et de nos différentes Zones économiques exclusives (ZEE). En parcourant la liste des personnes remerciées – Erik Orsenna et le fils du Commandant Cousteau, entre autres -, on comprend que ce livre est plus le fruit de dîners en ville que d’un véritable travail et d’une réflexion construite.  

La copie de cette commande d’éditeur a été relue trop rapidement. Ce n’est pas la première fois qu’Attali se prend les pieds dans le tapis. Chacun se souvient du plagiat de son Histoire du temps, ayant pillé quelques passages du Traité du sablier d’Ernst Jünger. Dans le volume d’Attali l’on pouvait relire mot pour mot le même passage rédigé initialement par Ernst Jünger :

« La gnomonique était déjà une science exacte chez les Egyptiens. Le calcul des heures solaires, tant d’après la longueur que d’après la direction de l’ombre leur était familier… »

Pas un mot de plus, pas un mot de moins : le plagiat des plus parfaits, l’emprunteur ne s’étant même pas donné la peine de paraphraser l’auteur. N’ayant rien à rajouter à un texte aussi édifiant, il s’était contenté d’un simple copier-coller. Lorsque le scandale éclata, Jacques Attali se justifia par l’argument bien pratique de la coquille d’impression. Il fit porter le chapeau au pauvre typographe qui aurait eu la flemme de rajouter les guillemets salvateurs. Salaud de typo… Fallait y penser !

Et puis, il y eu les volumes successifs des Verbatim, les livres-photocopies d’Attali reproduisant les entretiens de François Mitterrand avec des responsables politiques toujours aux affaires à l’époque dont Gerhard Schröder et bien d’autres. Plutôt moyen, quant au devoir de réserve que chaque fonctionnaire doit, en principe, respecter…

En définitive, avec ses dernières Histoires de la mer, notre polygraphe a, sans doute, oublié que faire un livre prend du temps, de l’énergie et de la passion. Les vrais livres de Jacques Attali restent L’Anti-économique (1975), la Parole et l’outil (1975) et Bruits (1977). Depuis, visiblement pris par d’autres obligations mondaines, sa plume pressée s’est un peu perdue et – répétons – n’est aujourd’hui d’aucun secours pour comprendre l’histoire profonde de la mer, dans sa longue durée et ses prospectives nécessaires. Sur le sujet, on se reportera encore à un texte qui fait toujours référence : Maritimisation – la France face à la nouvelle géopolitique des océans. Rapport d’information de Jeanny Lorgeoux et André Trillard, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat[2].

On lira aussi avec le plus grand profit la Revue stratégique de défense et de sécurité nationale – pilotée par Arnaud Danjean – remise dernièrement au président de la République.

Richard Labévière     

[1] Carl Schmitt : Terre et Mer – Un point de vue sur l’histoire mondiale. Introduction d’Alain de Benoist, postface de Julien Freund. Editions Pierre-Guillaume de Roux, juillet 2017.

[2] Numéro 674 (2011-2012) – 17 juillet 2012.

 

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