COMBATS DEMOCRATIQUES A HONGKONG

de Pierre Versaille (*)
Haut fonctionnaire


Combats démocratiques à Hongkong, à Istanbul, en Russie…


J’ai entrepris, dans le billet d’humeur du n°107 du 12 mai 2019 : “LA FAIBLESSE DES PUISSANCES MATAMORES », de montrer que les puissances, Russie, Chine, Turquie, Arabie Saoudite, et Iran, qui n’ont que mépris pour la démocratie dans le monde, n’étaient pas exemptes de graves faiblesses et que les tenants des valeurs démocratiques devaient s’astreindre à mener un combat qui était loin d’être perdu d’avance. Or la chronique géopolitique mondiale de ces dernières semaines nous fournit une abondance de sujets de réflexion en la matière.

Plusieurs évènements dominent incontestablement dans l’actualité internationale dans le domaine du combat démocratique : la vague d’agitation, depuis le 9 juin, contre le pouvoir communiste chinois à Hongkong, le camouflet subit par le pouvoir islamo-conservateur aux élections municipales d’Istanbul, et la contestation en Russie au sujet des candidatures aux élections locales. Mais les média occidentaux ne se fondent le plus souvent pour traiter de tels évènements que sur ce que les autorités au pouvoir dans ces pays veulent en dire. Or nous Français savons depuis Napoléon ce que signifie « menteur comme un bulletin de la Grande Armée ». Ainsi nous ignorons qui du pouvoir de Pékin ou des autorités qui sont ses exécutants à Hongkong, a été exactement à l’origine de l’idée de permettre le transfert de Hongkongais sur le continent chinois, pour faciliter la répression, de même que rien ne dit que le projet ajourné est définitivement abandonné.

Pour ce qui s’est produit en Turquie, il s’agit incontestablement d’un revers pour Recep Tayyip Erdoğan[1], aggravé par le fait que le résultat final est intervenu avec une marge accrue et in fine significative, après l’annulation d’un premier scrutin pour des motifs discutables. Sans tirer de conclusion définitive sur les conséquences de ces évènements lors de la prochaine élection présidentielle, on peut néanmoins constater que l’alliance d’Ekrem İmamoğlu, un socialiste laïc (« kémaliste »), avec un parti pro-kurde n’est pas une bonne nouvelle pour le président islamo-conservateur, dans une conjoncture économique actuellement difficile.

Pour ce qui de la Russie, l’agitation est provoquée par des décisions des autorités de ne pas autoriser certaines candidatures aux élections municipales, ce qui traduit la volonté du pouvoir en place de ne pas accepter de faire une place quelconque à des tenants d’une ligne qui ne serait pas la sienne, pour exercer des responsabilités qui sont pratiquement sans conséquences sur l’orientation générale de la politique du pays. Mais c’est aussi une situation qui intervient alors que certains candidats du pouvoir ont été mis en difficulté aux élections pour les postes de gouverneur, mais également après la libération surprise d’Ivan Golounov, journaliste d’investigation poursuivi sur la base d’accusations de trafic de drogue mensongères, ce qui avait provoqué une vague de manifestations.[2] D’une certaine manière, l’attitude du Kremlin révèle l’inquiétude que tout infléchissement de la ligne autoritaire soit perçu comme un aveu de faiblesse et entraine une recrudescence des récriminations.

Nous devons sur ces bases, mener un certain nombre de réflexions.

Tout d’abord, il nous faut saluer le courage des Hongkongais, des opposants turcs, et des manifestants russes, car le climat politique local dans lequel ces évènements se déroulent n’a rien à voir, quoi que puissent essayer de nous faire croire « nos gilets jaunes », avec ce qui s’est passé en France, ces dix derniers mois. Il n’y est pas question d’un droit constitutionnel à manifester, mais en Russie, d’arrestations de manifestants par milliers, pour y avoir enfreint des interdictions de manifester, il ne s’agit pas d’interpellations avec possiblement mise en garde à vue, mais d’incarcérations sans passage devant un juge, parfois même « préventives » contre les leaders de ces mouvements. À Hongkong, il y a eu collusion entre la police et les « triades », pour passer à tabac des manifestants potentiels. Des mesures de rétorsion ont été prises contre les entreprises, comme Cathay Pacific Airways, dont certains personnels ont affiché leur soutien aux manifestants[3], au point d’y aboutir à un changement de dirigeant. Enfin les autorités de Pékin n’hésitent pas à dénoncer comme « actes terroristes » des actions qui entravent l’activité de l’aéroport, et multiplient les « bruits de bottes », dans une sorte de référence subliminale au massacre de Tienanmen. En Turquie, la répression (arrestations et limogeages par dizaines de milliers) à la suite du coup d’état de juillet 2016 se poursuit, malgré la réprobation des puissances européennes avec des algarades d’Erdoğan, lorsque des dirigeants étrangers critiquent ces aspects de la vie politique turque.

On peut penser qu’il n’y a pas de certitude que tout cela finisse dans le sang. Mais il y a cependant un risque sérieux, et on peut se remémorer les « choix fatidiques » de Kershaw, pour savoir que des décisions calamiteuses, mais non inéluctables, ont pu être prises par des dirigeants des plus grands pays[4].

Accessoirement, on serait bien inspiré d’examiner la communication des régimes autoritaires, qui n’hésitent pas utiliser des éléments de langage démocratiques, dénonçant les conséquences évidemment « catastrophiques » des manifestations sur l’activité économique, et à se poser en victimes d’éléments qualifiés d’extrémistes pour justifier leurs exactions. Cela contribue à conforter ici ou là, et peut-être plus ici que là, le sentiment qu’il n’y a pas de vérité ou d’infox, et que tout est relatif, car on aura noté que les média français ont rendu compte des prises de position d’un comité de l’ONU sur l’usage des Lanceurs de Balles de Défense, sans relever si ce comité s’est prononcé sur les blessures similaires que dénoncent les manifestants de Hongkong.

La seconde réflexion doit être de se demander si la réaction des démocraties est à la hauteur de la gravité de la situation. Des femmes et des hommes prennent des risques terribles pour défendre des idées que nous partageons. Allons-nous rester sans rien faire ? Nous avons hélas des antécédents terribles qui sont dans toutes les mémoires. Il n’est cependant pas question d’agir avec l’irresponsabilité des dirigeants du Second Empire, en juillet 1870, mais des manifestants de Hongkong ont réclamé que Mme Carrie Lam, présidente du gouvernement local, se voit retirer la décoration de la Légion d’Honneur qu’elle a reçue en son temps. On pourrait difficilement faire moins et on ne l’a même pas fait. Ici encore, la relecture des « Choix fatidiques » est éclairante, non pas en ce qui concerne les décisions d’Hitler, Mussolini ou Tojo, mais sur la manière qu’a eue le Président Roosevelt d’aider le Royaume-Uni, avant Pearl Habour, sans déclarer la guerre à l’Allemagne, en assouplissant la législation en matière de neutralité, passant du « Cash and Carry » au « Lend-Lease », ou en organisant dans l’Atlantique ouest des « patrouilles de neutralité », tout en tenant compte du sentiment isolationniste qui animait une partie de la population américaine incarné par Lindbergh.

Dans les rapports avec la Russie aujourd’hui, il faut éviter les mesures que ne souhaiteraient pas ceux qui s’opposent à Vladimir Poutine, on pense ici à la question de la place de la Russie au Conseil de l’Europe[5]. Il est en effet apparu nécessaire de mettre fin aux sanctions prises depuis 2014 par l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe à la suite de l’annexion de la Crimée, dans le but de faire cesser le chantage russe au retrait du Conseil de l’Europe. Les média officiels russes ont immédiatement célébré une victoire diplomatique, mais le but poursuivi est de continuer à permettre les recours des citoyens russes devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme, il y en a eu 140 000 en vingt ans. Reste que le moment n’était particulièrement opportun.

La position diplomatique française face à la Russie se définit comme « dialogue et fermeté », et les points ne manquent pas, comme l’Ukraine, la Syrie, le nucléaire iranien, où il y a matière à discuter, ce qui explique la rencontre de Brégançon, le 19 août, entre les présidents français et russe. Encore faut-il que ce dernier ne prenne pas le souci de discuter avec lui comme un aveu de faiblesse qui aboutirait à le pousser dans une posture sans concession[6].
Il est vrai que les choses seraient plus faciles si le Premier ministre du Royaume-Uni n’était pas d’abord préoccupé par le Brexit, la Chancelière allemande par l’affaiblissement électoral de son parti, l’homme fort du Gouvernement italien par le financement des Routes de la Soie comme moyen de s’affranchir des contraintes de l’Union Européenne en matière de déficit public. Mais le plus grave est peut-être l’imprévisibilité du Président des États-Unis qui n’est que le masque d’un « savoir-faire expéditif et limité », pour reprendre la formule assenée par le général de Gaulle aux généraux putschistes d’Alger en 1962. C’est la position exprimée par l’ancien Premier ministre travailliste australien, Kevin Rudd, sinologue reconnu, qui affirme : « Sur la Chine, les Américains n’ont pas de stratégie[7]. »

Pour en revenir à la France, on peut regretter la rareté d’une parole autorisée, sur ces questions diplomatiques, qui permettrait par des propos un peu tranchants de faire pièce dans les média, aux déclarations fracassantes des chavistes à la Mélenchon, des thuriféraires de Salvini, ou autres russophiles patentés. On se référera ainsi à la déclaration de Norbert Röttgen, président de la commission des affaires étrangères du Bundestag, sur les relations de l’Europe avec l’Iran[8], un exemple à méditer.

Notes de lectures

[2] Cf. l’article « Le Kremlin recule face à la société civile », in « Le Monde » du 13 juin 2019, p.2

[3] Cf. l’article « Pékin s’en prend à Catay Pacific, entreprise symbole de Hongkong », in « Le Monde » du 11-12 août 2019, p. 2.

[4] « Choix fatidiques Dix décisions qui ont changé le monde (1940-1941) », Ian Kershaw, Le Seuil, 2012

[5] Cf. l’article « Au Conseil de l’Europe, une imminente victoire russe », in « Le Monde » du 23-24 juin 2019, p. 4.

[6] Cf. l’opinion de Tatiana Kastoueva-Jean, « La position de la France à l’égard de la Russie est loin d’être confortable », in « Le Monde » du 18-19 août 2019, p. 26.

[7] Cf. son interview, in « Le Monde » du 11-12 août 2019, p. 2 et 3.

[8] Cf. l’article « Norbert Röttgen Dans la crise du détroit d’Ormuz, l’Europe doit se détacher des États-Unis », in « Le Monde » du 11-12 août 2019, p. 27.



…………………………………….………(*) Pierre Versaille


Haut fonctionnaire qui fut en charge de réformes importantes et nouvelles qui, de ce fait, se doit à l’exigence de réserve.

Prochain numéro d’ESPRITSURCOUF
lundi 07 octobre 2019