Les guerres perdues de l’Occident

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Vincent Gourvil (*)
Docteur en sciences politiques

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Nous aurions pu classer cet article dans la rubrique « humeurs », tant l’on sent l’amertume de l’auteur devant la débâcle américaine en Afghanistan. Pour lui, les dirigeants occidentaux ne sont décidemment pas à la hauteur. Bien évidemment, ses propos n’engagent que lui-même.
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a France a perdu une bataille, mais la France n’a pas perdu la guerre ». C’est sans doute la phrase la plus célèbre du général de Gaulle. Aujourd’hui, la situation est à fronts renversés. Bataille gagnée, guerre perdue. Tel semble être le lot d’un Occident déboussolé. Les États-Unis sont abonnés à ces étranges défaites. Ils possèdent un art consommé de s’enfermer dans des impasses militaires. Avant-hier au Vietnam. Hier en Irak. Aujourd’hui en Afghanistan, « cimetière des empires ». Au fil du temps, l’intervention de la France au Mali (opération « Serval » en 2013) élargie ensuite au Sahel (opération « Barkhane » en 2014), interpelle les experts, questionne sur son issue probable.

À l’évidence, les États occidentaux ne tirent aucune leçon de leurs échecs. Même si comparaison n’est pas raison, tentons de trouver quelques dénominateurs communs à ces interventions militaires extérieures censées remédier à des crises systémiques. Ces chevauchées fantastiques quasi-hollywoodiennes, qui tournent court, voire à la catastrophe, doivent être appréhendées dans leur dimension politique et militaire.

Dimension politique, le primat de l’improvisation

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Le monde du XXIe siècle souffre de différents troubles que l’on peut arbitrairement ramener à deux par commodité : l’absence de culture historique conjuguée à une cécité diplomatique.

Notre société de l’immédiateté souffre d’un déficit abyssal de culture historique. Elle se nourrit de communication et d’incantation en lieu et place de connaissance et d’anticipation. Faute de connaître parfaitement histoire, géographie, sociologie, culture des États concernés, et faute de nous projeter dans le futur en envisageant le pire, nous enfonçons le clou dans notre cercueil.

Nos dirigeants pensent-ils, un seul instant, remporter une bataille idéologique (contre le terrorisme) avec la seule arme militaire (y compris la plus sophistiquée) ? Les exemples des guerres perdues dans le passé ne devraient-ils pas les conduire à un minimum de réflexion préalable avant de se lancer tête baissée dans des opérations aventureuses ? Ce n’est toujours pas le cas. Quand comprendrons-nous qu’un conflit envisagé seulement au plan national a toutes les chances de se transformer rapidement en querelle régionale et internationale (Cf. le conflit syrien) ? Le moins que l’on puisse dire est que les Occidentaux reproduisent, avec une constance qui mérite louange, les mêmes erreurs par méconnaissance coupable du réel. 

Notre société de l’immédiateté souffre d’un tropisme affligeant de cécité diplomatique.Elle ne cherche plus à comprendre le monde dans lequel elle évolue, ses crises, ses spasmes, ses contradictions. Pas plus qu’elle ne s’évertue à remonter aux causes de ses maux en se gardant de tout dogmatisme, d’une vénération de la doxa du moment, des vérités établies. Pire encore, elle confond effet et cause. Comme le souligne Bossuet : « Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes ».

Les faits sont là. De nos jours, nos dirigeants, pris dans différents tourbillons (médiatiques, électoraux…), rechignent à s’en tenir aux faits. Juste les faits dans ce qu’ils ont parfois de plus dérangeants. Le monde connaît une crise de la connaissance. L’aveuglement est le pire ennemi du diplomate, du stratège. Ils savent d’expérience que l’on finit toujours par être rattrapé par le réel sur lequel on se cogne. Il est illusoire de penser, qu’avec, le temps, la situation ira en s’améliorant. Surtout dans une période où la vérité objective, est souvent difficile à faire admettre dans les cercles des décideurs.

Grandeur et décadence de la politique dont les constructions abstraites se délitent comme des chimères tant elles méconnaissent le réel ! Réel auquel le militaire est confronté sur le terrain.

Dimension militaire : le primat de la tactique
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Opération Apagan : entre le 15 et le 27 août, l’armée française a mis en place un double pont aérien, 26 vols entre Kaboul et Abu Dhabi, 16 vols entre Abu Dhabi et Paris. Elle a mis en sécurité 2 834 personnes, dont 142 français et 2 630 afghans.
Source : Ministère des Armées

Le monde du XXIe siècle enregistre une double faiblesse de l’outil militaire inhérente aux errements politiques : l’absence de stratégie complétée par une confusion dans sa mission.

L’outil militaire souffre de l’absence d’une stratégie claire.La stratégie est au militaire ce que la boussole est au marcheur. Sans stratégie, on se fourvoie rapidement sur des chemins de traverse, on s’enfonce dans des impasses, on court à la catastrophe. Or, les décideurs politiques répugnent, de nos jours, à définir des objectifs clairs, pérennes et réalistes, agissant le plus souvent dans la précipitation et l’improvisation. Ils confondent stratégie sur le long terme et tactique sur le court terme. Et cela est d’autant plus dommageable que les situations de crise sont volatiles. Or, dans un monde aussi complexe qu’imprévisible qu’est celui du XXIe siècle, le soldat a d’autant plus besoin de disposer d’un cap politique précis qu’il adapte aux réalités militaires évolutives du terrain. Alors, tout devient possible. Mais, nous n’en sommes pas encore là. Les exécutifs pratiquent la politique de l’essuie-glace, un évènement chassant l’autre au rythme du hourvari médiatique. Pendant ce temps, les militaires doivent gérer l’imprévu, l’impensable alors que leurs missions sont floues, évolutives, parfois contradictoires.

L’outil militaire souffre d’une confusion dans la définition de sa mission.Comment remplir correctement son mandat si celui-ci n’est pas bien déterminé, circonscrit ? Tel n’est malheureusement pas le cas surtout si l’intervention militaire se prolonge dans le temps. Vingt ans en Afghanistan ? Huit ans dans le Sahel. Le soldat n’est pas un prestidigitateur qui peut sortir, à la demande, un lapin de son casque. Il ne peut être chargé de remplir de multiples missions à la fois, dont certaines ne sont pas de son ressort. S’il doit combattre l’ennemi selon des règles d’engagement bien précises, il en va autrement d’autres fonctions. Est-il préparé pour former et se substituer à une armée inexistante et sous-payée ? Est-ce son rôle d’aider à refondre la gouvernance d’un État failli, à lutter contre la corruption endémique ? Est-il venu sur le terrain pour défendre les droits de l’homme, des femmes ou imposer, quoi qu’il en coûte, une démocratie étrangère aux mœurs du pays ? Lui revient-il de lutter contre des groupes terroristes avec lesquels les autorités locales négocient ? Là est le cœur du problème.

Les opérations militaires extérieures n’ont jamais constitué une fin en soi. Elles mériteraient d’être repensées dans un contexte plus global traitant des problèmes de fond (politiques, économiques, sociaux…) pour remédier aux maux dont souffrent les Etats concernés ».

Un nouveau monde

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Qui sème le vent récolte la tempête ! En ce temps de déroute en Afghanistan, un constat objectif s’impose. Chaque État auquel l’Occident vient prêter main forte finit par être déstabilisé. Chaque État auquel l’Occident vient former son armée voit la débandade de celle-ci. Quelle propension à répéter nos erreurs, à ne pas comprendre les avertissements du passé. Quelle propension à ne pas anticiper les risques inhérents à toute opération militaire extérieure s’étirant sur le long terme ! Il fut un temps où nos dirigeants étaient puits de science et de prescience. De nos jours ils excellent comme puits d’inconscience et d’aveuglement. Il faut en finir avec l’hypocrisie.

La débâcle américaine globale en Afghanistan n’a rien d’une surprise stratégique. Elle est la chronique d’un échec annoncé sur lequel fut jeté un voile pudique. Elle signe la fin de la stabilité stratégique, de l’hyperpuissance américaine et la déroute de l’OTAN. Elle apporte une preuve supplémentaire du déclin programmé de l’Occident et de l’avènement d’un monde post-occidental. Telle est l’une des morales de la fable des guerres perdues de l’Occident.

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(*) Vincent Gourvil est le pseudonyme d’un Haut fonctionnaire.


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