QUAND IMPENSÉ
RIME AVEC INSENSÉ


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Alexandre Boisson (*)
Expert en gestion de crises
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261,50 mètres de long, 42.000 tonnes, une capacité de faire 1000 kms par jour, 2000 membres d’équipage, une autonomie de 45 jours sans être réapprovisionné en vivres, des catapultes capables de propulser des avions de près de 25 tonnes de 0 à 300 kilomètres/heure, en 1,5 seconde… En avril dernier, un virus nommé Covid-19 a obligé le porte-avion Charles de Gaulle, fleuron de la Marine nationale, à faire demi-tour. Imaginer une telle possibilité, avant qu’elle n’advienne, cela paraissait insensé.

Et si la France avait été en guerre au moment de la pandémie de Covid-19 ? Les questions de vulnérabilité qui dérangent aujourd’hui ne doivent plus déranger les responsables de l’anticipation des risques. Non parce qu’elles ne seront plus posées demain, mais parce que des efforts auront été faits pour y trouver des réponses.

« Le diable se cache dans les détails ». Et en termes de gestion de crise, gare au virus de l’impensé. Stéphane Linou, ancien Conseiller général et sapeur-pompier, a vu un détail, un impensé insensé. Il est diabolique, systémique, c’est une sorte de talon d’Achille de la France. Pourtant, cette vulnérabilité ne se situe pas au niveau du talon, mais du ventre des Français. Depuis 20 ans, cet élu de Castelnaudary prévient : notre résilience alimentaire locale dans nos communes françaises est préoccupante, nous sommes beaucoup trop dépendants des fragiles circuits alimentaires longs.


Prise de conscience


Cette incapacité à traverser les crises alimentaires sans les ballets des camions de la grande distribution est tellement inquiétante que le travail d’enquête de Stéphane Linou, en illustrant le continuum sécurité-défense, a inspiré les travaux de la Sénatrice Françoise Laborde. Le 12 décembre 2019, elle a défendu au Sénat sa proposition de résolutionsur la résilience alimentairedes territoireset la sécurité nationale, en application de l’article 34-1 de la Constitution. Le gouvernement a reconnu la problématique soulevée par la Sénatrice le jour-même, après que le ministre de l’Intérieur, répondant à une Question d’Actualité posée par cette dernière le 16 mai 2019, ait déclaré que la « probabilité est faible mais que le risque est majeur ».

Au début de la crise du Covid-19, la présidente de la FNSEA Christiane Lambert, elle aussi, a alerté sur le manque de stocks stratégiques alimentaires d’Etat. Et le 12 mars 2020, lors de son allocution, le président de la République déclarait : « Déléguer notre alimentation, notre protection, notre capacité à soigner, notre cadre de vie, à d’autres, est une folie ».

Allons-nous rester fous ? Vulnérables ? L’heure n’est plus à la chasse aux sorcières, celle visant à chercher qui, dans les ministères, n’a pas pensé à ceci ou à cela… Il faut sortir du déni collectivement, c’est-à-dire tout le monde, la société civile dans son ensemble. Et c’est en ce sens que l’association SOS Maires a écrit au ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation une lettre d’alerte le 27 avril 2020. Il en a pris connaissance.

La résilience alimentaire, une question de Défense nationale ?


Le ministère des armées doit-il être aux avant-postes de la problématique de résilience alimentaires des territoires. Stéphane Linou, dont le travail a été encadré par un ancien colonel et un géographe, et qui a été soutenu par la Division du Renseignement de la Gendarmerie Nationale et le secrétariat général de la Zone de Défense et de Sécurité de Paris, partage cette idée d’impliquer de plus en plus dans la réflexion le ministère des Armées. A l’heure des cyberattaques pouvant déstabiliser des systèmes de distributions alimentaires, la question de la résilience alimentaire ne peut plus être prise à la légère par les analystes de risques de la Défense nationale. Le 15 mai 2020, une simple panne informatique a su neutraliser la grande distribution, Système U en a fait les frais !

Pendant la crise du covid19, au cours d’une discussion par téléphone avec un ex-général de l’armée française expert en gestion des crises, étaient évoqués les stocks stratégiques alimentaires des armées. Le général affirmait que les militaires, en cas de crise, ne manqueraient pas de nourriture, au même titre qu’ils n’avaient pas manqué de masques pendant la pandémie. Il faut le croire sur parole. Mais on lui a posé la question du moral des troupes lorsque les militaires savent que leurs propres familles manquent de nourriture, et qu’elles sont en péril par le ventre en cas de crise systémique majeure. Commande-t-on ses troupes de la même manière ? Pour la réponse, laissons planer le mystère.

La question de notre vulnérabilité systémique est bien là, mais elle ne concerne pas seulement l’alimentation, le pétrole également ! C’est écrit noir sur blanc à la page 9 du document appelé Stratégie ministérielle de la performance énergétique du ministère de la Défense et des anciens combattants, datant de 2014 ! Et sans pétrole, la nourriture est remise en question !


Des préconisations de bon sens


Au regard des constatations précédentes, voici les recommandations faites par SOS Maires et les cosignataires de la lettre transmise au ministre de l’Agriculture : « Concernant la construction urgente de la résilience alimentaire de nos territoires, l’engagement de l’armée dans cet effort de défense nationale est crucial. Les analyses des militaires sont incontournables dans l’opération : renforcement de nos territoires via la résilience alimentaire locale.

Il est stratégique de maintenir des relations paisibles avec les pays que nous approvisionnons en matières agricoles et des pays dont notre agriculture dépend. Il ne s’agit pas de construire une résilience alimentaire française au doigt mouillé et entièrement locale, contre le reste du monde. Certains flux alimentaires, s’ils n’étaient plus livrés, entraîneraient des déstabilisations d’États et une insécurité croissante tant à l’extérieur de notre territoire qu’à l’intérieur. Par exemple, le blé livré à l’Afrique du Nord. Il faut donc veiller à ce que certaines exploitations agricoles, qui pourraient être stratégiques, ne soient pas réquisitionnées par un maire sans avis de la préfecture.

Mais il ne s’agit pas non plus de faire de nos militaires des agriculteurs ! Il y a beaucoup de civils qui ne demandent qu’à être formés, coordonnés. Ces civils doivent être sensibilisés à leur propre sécurité par l’Organisation territoriale interarmées de Défense (OTIAD) chargée de coordonner les moyens civils et militaires de défense dans les sept zones de défense réparties sur l’ensemble du territoire national. La réserve communale de sécurité civile, qui aide les équipes municipales en cas de crise, permet ensuite de mettre à disposition toutes les bonnes volontés
. »

Page d’accueil du site gouvernemental consacré aux risques majeurs.

Une société civile mobilisée


Quelles questions doit se poser la société civile en mairie ? Il faut avant tout faire un état des lieux, mesurer le niveau d’anticipation des risques dans les communes. « M. le Maire, est-ce que le DICRIM (Document d’information sur les Risques Majeurs) est rempli ? Quand a-t-il été réactualisé ? » « M. le Maire est-ce que nous disposons de ressources alimentaires locales au cas où les circuits longs ne peuvent plus approvisionner les magasins ? »

La loi 2004-811 de modernisation de la sécurité civile précise que tout administré a le droit de poser au Maire des questions sur la manière dont sont mis en œuvre les plans de sauvegarde communaux. Et bien évidemment, rien n’interdit des questions du genre : « M. le Maire, comment puis-je vous aider à éveiller les citoyens sur les problématiques de résilience alimentaire ? »

Il est vraiment souhaitable que la question de vulnérabilité alimentaire de la 3ème puissance nucléaire mondiale soit considérée. À titre personnel, lorsque je protégeais des présidents de la République, si j’avais dû vivre une crise alimentaire comme celle, possible, dépeinte par Stéphane Linou, avec ma famille en péril, j’aurais quitté mon poste pour aller protéger les miens. Je pense que bien des agents des services spécialisés en auraient fait de même. À quelle proportion de désertion (ou « défection », ça peut faire aussi sens), l’État peut-il encore assurer ses missions, donc exister ?

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(*) Alexandre Boisson  a passé 15 ans dans la sécurité publique, en particulier dans le Groupe de Sécurité du Président de la République. Il s’est ensuite engagé dans le domaine de gestion de crises et de sensibilisation de la population aux risques systémiques majeurs, dans un monde VUCA (acronyme militaire anglophone dépeignant un monde Vulnérable – Incertain – Complexe – Ambiguë). Il a cofondé SosMaires.org puis ExistenceB.fr . Il est le co-auteur avec André-Jacques Holbecq, économiste, du livre Face à l’effondrement, si j’étais maire, paru le 10 septembre 2019 aux éditions Yves Michel et de Collapsus, co-écrit avec 40 experts de différents domaines sous la direction de Laurent Testot et Laurent Aillet paru le 26 février 2020 aux éditions Albin-Michel.

Bonne lecture et rendez-vous le 13 juillet 2020
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