L’Arctique,
Futur pôle chaud

Théo Urvoy (*)
Etudiant en Sciences Politiques
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Le réchauffement climatique et les bouleversements géopolitiques actuels font de l’océan Arctique et de sa région environnante un nouvel enjeu, lié à l’exploitation des ressources, à la sécurité maritime et à l’environnement. L’auteur pense que cet océan va devenir un axe  du commerce mondial et, automatiquement, un centre d’intérêt stratégique pour les armées, donc pour l’armée française. La France a d’ailleurs publié sa « 
Feuille de route nationale pour l’Arctique », dont le volet Défense fixe comme objectif une connaissance approfondie de ce milieu.

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La récente invasion de l’Ukraine par la Russie confirme sa dynamique conquérante et hégémonique sur son étranger proche, entre autre sur ce qu’elle considère comme étant sa chasse gardée : l’Arctique. Outre la Russie, cette région est, depuis l’adhésion finlandaise et la très prochaine adhésion suédoise, exclusivement composée d’États membres de l’OTAN qui renforce depuis quelques années son flanc nord par des infrastructures et par de nombreux exercices militaires interalliés. Puissance subarctique avec Saint-Pierre-et-Miquelon, et puissance historiquement polaire, la France s’implique de manière croissante en envoyant des troupes spécialisées dans cette zone, tout en tâchant d’y développer une stratégie militaire en prenant en compte les futurs enjeux de la zone.

Un espace stratégique en devenir

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La politique d’expansion russe et les réponses musclées de ses voisins viennent fragiliser le fameux slogan High North, low tension. Là où la gouvernance arctique était vantée depuis le discours de Mourmansk de Gorbatchev, celle-ci se dégrade lentement à mesure que des membres s’en éloignent. Ainsi, depuis 2014, la Russie a-t-elle quitté successivement l’Arctic Security Forces Roundtable, l’Arctic Chiefs of Defence Satff Meeting, avant d’être mise au ban du Conseil de l’Arctique. Les questions de sécurité deviennent alors de plus en plus importantes face à la raréfaction des espaces de discussions.

Plus encore que la Russie, c’est peut-être bien la Chine qui vient bousculer cette gouvernance arctique. Elle souhaite établir ses nouvelles routes polaires de la soie, tout en renforçant son alliance avec la Russie. La route maritime du Nord lui assurerait l’accès aux ressources énergétiques et minières russes et européennes et rapprocherait toujours plus la Chine de l’Europe et des zones de pêches convoitées, y compris les zones internationales en proies à la surpêche.

Face à la prééminence de l’outil militaire russe dans la région et à l’ambition chinoise croissante depuis une décennie, les autres États ne peuvent que calibrer au plus tôt une stratégie future, ce que fait la France depuis quelques années. Fin 2022, dans le rapport de la loi de finance 2023, l’annexe 14 estimait nécessaire le financement croissant de la recherche stratégique (DGRIS) et plaçait l’Arctique au cœur des sujets prioritaires. Pourtant, la prochaine LPM ne semble pas considérer l’Arctique comme étant une zone d’urgence.

Carte de l’Arctique incluant le cercle polaire – Domaine public

Une implication croissante des armées en terres arctiques

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Même s’il est difficilement concevable de voir la France intervenir seule dans cette zone, il apparait évident qu’elle a intérêt à être présente dans l’Arctique par le biais de coopérations militaires et d’alliances. L’armée est le seul acteur étatique à pouvoir être déployé en Arctique pour des missions de sauvetage, pour intervenir si un pavillon français commet un délit ou se trouve en position délicate, ou pour désamorcer des tensions. L’Arctique est  un défi, avec ses températures glaciales, ses nuits polaires et ses reliefs. Tout ceci contribue à modifier les techniques opérationnelles classiques, à se doter de véhicules et matériels spécifiques, et à adapter les unités à ce qui s’apparente à de la survie plutôt qu’à un déploiement classique.

Pour l’armée de terre, ce sont les troupes de montagne qui se dotent de ces savoir-faire. Elles  sont les plus susceptibles de développer la capacité grand froid au combat par leur expérience sur des terrains glacés et escarpés. Ces unités participent alors à différents exercices et entrainements spécifiques dans le cercle polaire, allant de l’exercice unilatéral (raid annuel UPPICK au Groenland) à l’opération multilatérale de l’OTAN (en Norvège Joint Viking 23 et Cold Response 22) ou indépendante (Opération Nanook et exercices Chevaliers Tricolores auprès des Canadiens; Arctic Challenge organisé par les pays nordiques).

Concernant la Marine nationale, l’objectif bien défini, être présente partout afin de faire valoir la puissance maritime française, vise aussi l’océan Arctique. La Marine y évolue depuis la guerre froide, particulièrement dans les profondeurs, avec ses sous-marins nucléaires. Et elle peut aisément se vanter d’opérer dans le Grand Nord grâce à l’exploit réalisé en 2018 par le BSAM Rhône. Ce navire, pour la première fois, a emprunté, seul, la route du Nord, sans l’aide  d’un brise-glace russe, alors qu’il n’était pas concevable de prendre cet itinéraire sans brise-glace. Sur la période 2021, l’État-major des armées officialise 200 missions maritimes dans l’Atlantique Nord, incluant l’Arctique. Les exercices d’interopérabilité dans les eaux polaires contribuent à l’acclimatation des marins avec cet environnement (plongée sous glace avec les forces canadiennes), bien que leurs bâtiments ne soient pas conçus et équipés pour ce milieu extrême. Des coopérations avec le civil doivent néanmoins être envisagées dans l’optique de déploiements plus importants.

L’armée de l’air est également présente en Arctique dans un objectif de police du ciel, souvent en coopération avec des États riverains. C’est par exemple le cas avec l’Islande, par le biais de l’OTAN. La France a été la première à effectuer cette mission en 2008, et peut à tout moment reprendre ce rôle annuel. En plus de permettre un déploiement au-dessus de la zone d’intérêt prioritaire, il permet à la France d’avoir un aéroport d’attache à mi-distance de la métropole et de Saint-Pierre-et-Miquelon. En 2022, 60 sorties aériennes dans l’espace Grand-Nord/Flanc Est sont répertoriées.

Toute ces présences mises bout à bout font de la France un acteur militaire non négligeable dans l’Arctique. Elle y déploie de nombreuses capacités et y fait participer toutes ses composantes afin de les acclimater avec ce terrain exigeant en vue d’hypothétiques déploiements. L’exercice révélateur de cette dynamique est l’exercice de l’OTAN Trident Juncture 18, le plus grand exercice jamais réalisé depuis la guerre froide. La France en était le deuxième contributeur en termes de diversité des capacités déployées, avec un effectif de 2 700 soldats  issus des trois composantes de l’armée, ainsi qu’un nombre important de véhicules et de matériels.

Une stratégie à développer

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Si la France se penche sur les questions sécuritaires de l’Arctique, c’est pour garantir la pérennité de ses intérêts. Économiquement, elle doit assurer sa liberté de passage dans les eaux internationales, garantir la sécurité de ses échanges commerciaux et de ses ressortissants le long des routes maritimes, et assurer ses débouchés et ses approvisionnements énergétiques. Selon l’INSEE, 60 % du gaz et 15 % du pétrole sont issus de l’Arctique, principalement norvégien et russe. Il faut également veiller à la surpêche en hausse, ainsi qu’à l’intégrité des câbles sous-marins porteurs de la communication mondiale.

Militairement, elle doit maintenir la liberté d’action de ses forces armées dans cette zone. Développer une stratégie militaire dans cette région, c’est se préparer à toute menace directe d’un autre État sur un État allié, ou à l’appropriation soudaine des espaces internationaux par un agresseur. En somme, éviter que le pôle Nord ne devienne le réceptacle des tensions géopolitiques exacerbées (OTAN/Russie, Etats-Unis/Chine en Indopacifique). L’idée est de pouvoir se déployer rapidement en soutien avec les moyens spécifiques que l’armée développe. L’objectif est, sur le long terme, de maintenir l’influence française sur la zone et maintenir sa place auprès des États polaires qui, face à l’appétit de la Chine, envisagent des institutions moins inclusives.

La France doit à terme devenir un acteur clé du maintien de la stabilité régionale, tout en inscrivant son action dans une perspective de coopération, sans laquelle son champ d’action militaire se trouverait trop réduit. Cela exige l’augmentation des déploiements aériens ou terrestres et du nombre des patrouilles navales ; un renforcement toujours plus poussé des capacités et des savoir-faire propres à ce milieu (couverture satellitaire totale, brise-glace arctique, chaine logistique « grand froid » etc.) ; le maintien continu de la présence sous-marine ; le développement et le renforcement des coopérations régionales ; l’encouragement à l’implication européenne sur la question afin d’éviter un accaparement de celle-ci par les Etats-Unis par le biais de l’OTAN.

En clair, la classe politique doit se pencher sérieusement sur les questions sécuritaires en Arctique, où les différents acteurs ont déjà commencé à déployer leurs capacités vers ce très probable futur point chaud de la planète – point chaud ne signifiant pas impérativement conflit.

 

(*) Théo Urvoy, diplômé d’une licence d’Histoire de l’Université Bordeaux Montaigne, est en master Conflictualité et Médiation à l’UCO d’Angers. Portant un intérêt certain pour la géopolitique des pôles, il rédige un mémoire sur les tensions et les enjeux militaires dans l’océan Arctique.

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