L’intelligence artificielle dans l’industrie de défense en France

;Océane Zubeldia (*)
Chercheur Domaine Armement et économie de défense
IRSEM

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« Dans toute opportunité, il y a un danger. »

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Emmanuel Chiva, Délégué général pour l’Armement (DGA),
à propos de l’intelligence artificielle

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Alors qu’aux États-Unis, l’IA parait instable, comme le montre l’affaire de Sam Altman, ancien PDG licencié d’OpenAi, qui vient de revenir à la tête de l’entreprise, cet article explore les ambitions françaises dans le domaine de l’intelligence artificielle (IA) appliquée à la défense. Il cherche à mettre en lumière la dynamique française et les défis à relever, notamment en matière d’innovation, de réglementation et d’éthique.

À l’occasion du salon Viva Technology (14 au 17 juin 2023), le président de la République a rappelé les ambitions françaises en matière d’intelligence artificielle (IA), à savoir développer un écosystème de talents, diffuser l’IA et la donnée dans l’économie et l’administration, promouvoir un modèle éthique équilibré entre innovations et protection des droits fondamentaux. Depuis 2017, la France s’est engagée dans la voie du développement de l’IA, orientations renforcées par le rapport Villani, « Donner un sens à l’intelligence artificielle, Pour une stratégie nationale et européenne » (8 septembre 2017–8 mars 2018), le rapport parlementaire de l’Assemblée nationale rédigé par Olivier Becht et Thomas Gassilloud, « Les enjeux numériques des armées » (mai 2018) qui a mis en évidence le défi de l’IA comme « un défi pour la R&D et la BITD française ». (cf BITD pour Base industrielle et technologique de défense.)

Un dernier point retient également l’attention : France 2030, qui correspond à un plan d’investissement d’un montant de 54 milliards d’euros sur une durée de cinq ans. Ses objectifs concernent la création de nouvelles filières industrielles et technologiques, le soutien aux acteurs émergents et innovants à fort potentiel (startups et licornes de demain) afin de remédier au retard industriel français. Seules la consolidation et la continuité des actions déjà menées permettront aux entreprises de la BITD françaises de tirer leur épingle du jeu.

La donnée au cœur de la compétition des puissances
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Avant d’aborder le cœur du sujet, il est opportun de définir l’intelligence artificielle. De quoi s’agit-il ? Selon le Journal Officiel, elle est le « champ interdisciplinaire théorique et pratique qui a pour objet la compréhension de mécanismes de la cognition et de la réflexion, et leur imitation par un dispositif matériel et logiciel, à des fins d’assistance ou de substitution à des activités humaines » (9 décembre 2018). Cette technologie réunit conjointement des capacités de perception, de compréhension et de prise de décision, c’est-à-dire qu’elle reproduit de manière artificielle, comme son nom l’indique, le processus de pensée humain, voire au-delà. Subséquemment, l’IA est devenue un outil incontournable dans notre quotidien et offre de nombreux services (application météorologique à reconnaissance vocale, robot à usage domestique, GPS, etc.). Corrélativement et sans commune mesure, elle concerne également la défense (aide à la décision et à la planification, renseignement, combat collaboratif, robotique, opérations dans le cyberespace, logistique et maintenance).

Le champ d’application de l’IA est donc dual : source de transformations rapides et d’échanges où l’innovation joue un rôle d’accélérateur. Dans cet écosystème spécifique, elle suscite de plus en plus l’intérêt. Ainsi, son essor tient à deux principales raisons : la potentialité quasi illimitée de traitement automatique d’une masse de données dans un temps restreint ainsi qu’une capacité d’apprentissage, et la création d’applications qui touchent une multitude de secteurs. En ce sens, une compétition mondiale a été lancée de manière effrénée où les États-Unis et la Chine imposent leur rythme tandis que l’Europe accuse un certain retard. Toutefois des efforts sont consentis, à noter la date du 30 octobre 2023 qui correspond à la deuxième réunion trilatérale entre la France, l’Allemagne et l’Italie dédiée au développement d’une vision stratégique sur l’IA dans le cadre d’une politique industrielle commune.

La dynamique française

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Face à cette course, la France affirme sans détour, dans son discours politique, que pour être souveraine trois points doivent être maitrisés : la convergence des algorithmes, la collecte des données et la capacité de calcul. Dans la pratique, les priorités françaises sont la modernisation de ses activités avec la rénovation de son infrastructure numérique. Elle aura pour perspective soutenir l’accueil de la masse de données et les algorithmes nécessaires au développement de l’IA. Durant l’année 2022, la conduite de cette stratégie s’est matérialisée par la création de 590 startups dédiées à l’IA, et de notamment 16 licornes qui ont généré une levée de plus de 3,2 milliards d’euros (contre 556 millions d’euros en 2018).

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Appliquée à la défense, la supériorité technologique (IA, essaim de drones, quantique, etc.) des armées figure parmi les objectifs de la Loi de programmation militaire 2024-2030. Notamment, il est prévu un financement à hauteur de 10 milliards d’euros pour l’innovation. Dans ce cadre, l’engagement d’un ensemble d’acteurs s’avère essentiel, orientation soutenue par l’Agence innovation de défense (AID), à savoir aussi bien les secteurs industriels (entreprises de la BITD, startups) et académiques (universités, centres de recherche), tout en favorisant l’ouverture et la discussion avec le domaine militaire. L’IA comporte des progrès significatifs qui doivent être exploités, toutefois les potentialités quasi illimitées des technologies de l’IA exigent une plus grande maturité et de fiabilité.

Un développement compétitif et fiable de l’IA

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L’intelligence artificielle est souvent assimilée à une sorte de « boîte noire » qui tient à une certaine opacité de la donnée. Plus précisément, la difficulté résulte de la méconnaissance des algorithmes utilisés et de leurs corrélations. La question de la discrimination par la donnée et la menace de voir s’installer des systèmes autoritaires fait également partie des discussions. Ainsi, les critères liés aux données utilisées et à leur qualité, et par extension les biais algorithmiques, constituent un des points faibles de cette technologie. Dans cette perspective, le critère d’explicabilité d’un algorithme, c’est-à-dire la transparence des résultats transmis par l’IA et la bonne compréhension des mécanismes de son apprentissage statistique (de sa création à son utilisation), correspondent aux principaux axes d’effort à fournir. À titre d’exemple, en cas de données erronées, l’algorithme sera inévitablement impacté et les résultats de ce dernier appliqué à une situation réelle risquent par ricochet d’être altérés également.

L’absence de réglementation, les règles de mise en œuvre et les dispositifs constituent des zones grises, notamment au sujet de la responsabilité des concepteurs et celle liée à l’utilisation de données biaisées. Ainsi, la seule compétition et les défis de l’industrie de défense française ne se situent pas uniquement dans le cadre d’une rivalité mondiale. Pour se réaliser, en plus d’être novatrice, elle doit intégrer un cadre juridique inédit ; gage d’autonomie, de souveraineté technologique et de la généralisation future de l’IA. Entre innovation et normes, les entreprises de la BITD sont à même de développer des solutions inédites eu égard aux efforts entrepris et de leur savoir-faire qui ne se fondent pas exclusivement sur la donnée. D’ailleurs, des équipements déjà existants et opérationnels servent de supports aux logiciels de l’IA permettant de prendre un chemin d’évolution plus sûre et progressif.

Un comité français de l’IA

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A l’interface des sciences, des techniques et des sciences humaines, l’intelligence artificielle génère des enjeux de toute sorte (opérationnel, maîtrise technologique, souveraineté, autonomisation, juridique, éthique, etc.). De ce fait, de nombreux défis doivent être relevés et les entreprises de la BITD françaises ont à poursuivre les efforts réalisés. Une attention particulière est portée afin que celles-ci ne soient pas écartées de la compétition mondiale avec le risque de perdre leur autonomie.

L’IA est loin d’avoir terminé sa course et elle pourrait constituer dans un horizon très proche une part essentielle des futurs systèmes d’armes. Elles offrent un panel d’application extrêmement large qui intègre aussi bien les intérêts militaires que civils et l’on ne saurait la réduire au simple champ létal. Ces perspectives mettent en avant la nécessité de privilégier la dualité et la coopération entre les différents acteurs pour le développement d’une IA forte et dans le respect d’une communauté de valeurs. A savoir, si la mise en place, par la première Ministre en septembre 2023 d’un comité de l’intelligence artificielle générative (composé d’acteurs des secteurs économique, de recherche, technologique, de recherche, et culturel), permettra dans les prérogatives fixées à 6 mois de consacrer une feuille de route novatrice.


Sources photos : Pixabay

Source photo bandeau : Cliquez ICI

 

(*) Océane Zubeldia, chercheur Domaine Armement et économie de défense, Institut de recherche stratégique de l’Ecole militaire (IRSEM).

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