De la guerre 
et de ses origines …

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Jean-Claude Favin Lévêque (*)
Anthropologue
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La guerre fait l’objet de multiples approches, stratégique, politique, historique, pour ne citer qu’elles. L’anthropologie ne l’aborde qu’à partir du second XIXe siècle, lorsqu’elle accède au statut scientifique avec d’une part la reconnaissance de l’homme préhistorique et d’autre part la révolution darwinienne. Mais quel est son domaine de pertinence pour un tel sujet ?

Depuis quand la guerre ?
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À cette question, l’opinion répond majoritairement par un simple « depuis toujours ». Hélas, cette formulation ne signifie pas grand-chose. Certains esprits peuvent chercher à être plus précis : depuis le premier homme. Là encore, hélas ! si vous demandez à un paléoanthropologue qui est ce premier homme, il se lancera dans un exposé sur l’évolution et le buissonnement des espèces qui ont précédé l’émergence du genre Homo. Il rappellera aussi que les découvertes de nouvelles espèces se sont récemment multipliées à côté des bien connus Neandertal et Sapiens : Floresiensis, Denisova, Naledi, Luzonensis. Donc,  depuis le premier homme ou depuis toujours, ces expressions n’ont pas grand sens anthropologique.

Pourquoi la guerre ?
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Voilà une autre question délicate. Il faut d’abord distinguer le pourquoi« les hommes font-ils la guerre » du pourquoi « le phénomène existe ».  Pour la première proposition, les hommes savent pourquoi leur groupe se bat à un moment donné et pourquoi en tant qu’individu, ils y contribuent. Cela s’appelle des motifs de guerre. Ils varient d’un conflit à l’autre, selon les circonstances, les cultures et l’histoire. Mais cela n’explique pas l’émergence du phénomène.

Certains ont bien avancé que la guerre serait « utile ». Notamment, ce serait un outil de la sélection naturelle qui permettrait le succès des groupes les plus performants, l’élimination des plus faibles et cela pour le plus grand progrès de l’espèce humaine. Mais la science n’aime pas ce genre d’explications téléologiques.

Donc encore une bonne question sans réponse ! Alors que faire ? Comme les scientifiques sont des gens pragmatiques, ils savent momentanément restreindre leurs recherches à ce qui est à leur portée. De fait, ils ont quelques outils à leur disposition.

Quoi, qui quand, où ?
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L’archéologie préhistorique permet d’établir certains éléments de ce qui a existé au-delà du passé historique (du temps de l’écriture). Prenons l’exemple de l’illustration de couverture. Elle reproduit un crâne venant du site espagnol de Sima de los Huesos. Ce prénéandertalien a l’âge respectable de 420 000 ans. Il porte une blessure mortelle au frontal. L’existence de deux impacts permet d’exclure l’accident et d’affirmer l’intentionnalité meurtrière. Quant à l’ancienneté, les méthodes de datation se sont multipliés au XXe siècle (C14, ADN, radioactivité, etc). Soit on date l’objet lui-même, soit son environnement, par exemple la couche dans laquelle on l’a trouvé. Quant aux petites figurines qui entourent la tête, elles sont reproduites de peintures pariétales découvertes au Levant espagnol qui montrent des combats d’archers, à la datation discutée du Néolithique.

Les armes fournissent par ailleurs des objets pleins de sens. Il existe quelques épieux en bois d’environ 400 000 ans, des pointes lithiques qui furent emmanchées, il y a 500 000 ans, etc.

Mais dans les deux exemples cités ici, il reste une question fondamentale : comment fait-on le lien avec la guerre ? L’argument principal va s’appuyer sur le nombre de fossiles, le positionnement des armes, etc. Les structures défensives peuvent également fournir un indice.

En résumé, l’archéologie préhistorique accumule tout un ensemble de faits dans la profondeur du temps qui permettent de jalonner le phénomène dans la longue histoire de l’humanité tout en ayant des difficultés à apporter des preuves irréfutables.

C’est quoi la guerre ?
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Bien sûr, l’histoire du vingtième siècle fait que tout un chacun croit bien savoir ce que cela veut dire. Une autre approche est celle des ethnologues partis observer les sociétés traditionnelles, et donc leurs comportements plus ou moins guerriers.

 Au XIXe siècle, les populations étudiées furent notamment les aborigènes d’Australie et les Amérindiens du Nord. Puis, les tribus amazoniennes et celles de Nouvelle-Guinée ont été les principaux sujets d’études au XXe. Dans une société de taille plus modeste, il est plus facile de faire ressortir les éléments essentiels d’une activité déterminée. Les observations ont porté sur la conflictualité, les armes, les pratiques, les tactiques, les cultures, les pertes, le traitement des prisonniers, des corps, etc.

Il ressort de cette masse de données accumulées par les scientifiques quelques idées majeures. Tout d’abord, la guerre est un quasi universel. Hors une poignée de petits groupes (les San d’Afrique du sud par ex.), toutes les sociétés humaines connaissent le conflit armé. En revanche,  elles montrent une grande diversité de cultures et de pratiques, avec certaines qui paraissent « inhumaines » (cannibalisme, chasse aux têtes) à un regard occidental. Dans cette diversité, des quasi standards apparaissent : une activité très majoritairement masculine, les mêmes armes (massue, hache, épieu, javelot, lance, propulseur, arc) et quelques tactiques de base (raid, embuscade, bataille rangée).

Les tactiques de chasses collectives ne devaient guère différer des tactiques d’embuscades pour massacrer ses ennemis.
Dessin educaplay.com.

La comparaison avec le monde animal est un classique. Les hommes aiment bien dire que ce monde est très violent et sans pitié. Les insectes sociaux permettent de faire des analogies troublantes : des fourmis soldats qui montent la garde ou font des rondes et des colonies qui s’exterminent. Mais la distance phylogénétique avec les humains est quand même grande.

Ce n’est pas le cas des chimpanzés, nos plus proches cousins. Et certains de leurs comportements, découverts dans les années 1970, nourrissent une comparaison scientifiquement soutenable. Voilà un bon argument pour renvoyer l’origine de la guerre bien avant…le premier homme.

La guerre, un sujet scientifique
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La démarche scientifique est d’abord une recherche qui se nourrit de faits et de beaucoup de questions auxquelles essaient de répondre des hypothèses d’explications. Si la guerre est un universel, elle remonte à une origine. Il est légitime que la science se pose cette question comme elle se pose celle de la station debout ou du langage. Si c’est une invention récente, il faut qu’elle en donne le moment et le mécanisme d’apparition. Si c’est un lointain héritage, il faut qu’elle remonte jusqu’à « l’origine » au sens de l’émergence du phénomène et décrive le long processus d’évolution qui aurait conduit à la guerre telle que nous la connaissons.

Certains scientifiques nourrissent aussi l’espoir que la réponse, quelle qu’elle soit, aidera l’humanité à sortir de cette malédiction. Car si certaines cultures ont magnifié la guerre, notre civilisation dispose aujourd’hui du pouvoir de s’autodétruire. La science, cela peut être aussi le savoir au service de la sagesse.


Source/ Légende bandeau : Armes de jet du Magdalénien. Mortillet 1881

 

Jean-Claude Favin Lévêque est docteur en préhistoire. Ancien officier supérieur, il est diplômé de l’École de l’Air et de l’École supérieure de guerre aérienne. Il est chercheur associé de l’UMR 7194 Histoire naturelle de l’Homme préhistorique (MNHN, CNRS, université de Perpignan). Il vient de publier chez L’HARMATAN « L’origine de la guerre »


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