Mission à haut risque
en Syrie
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Pascal Le Pautremat (*)
Rédacteur en chef d’ESPRITSURCOUF
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Quelque dix années après le début de la guerre civile et confessionnelle en Syrie, la publication du témoignage d’Enora Chame, ancien officier du renseignement militaire français, résonne étrangement. Il nous dévoile des aspects méconnus de cette effroyable tragédie.
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La personnalité même de l’auteure, qui écrit sous pseudonyme, est singulière. Femme d’action, mais aussi fine analyste dans une société militaire dont on connaît les a priori et les réticences quant à la place des femmes dans les unités spécialisées. Enora Chame a su faire preuve de détermination, d’un professionnalisme exemplaire au sein de l’Armée de l’Air, salué par tous, notamment au Sahel où elle est intervenue.
À bien des égards, elle laisse à penser qu’elle appartient à la catégorie d’êtres hors normes. Il y a un siècle, si les femmes avaient pu disposer de toute leur place dans la société, nous aurions pu la voir œuvrer dans l’entourage immédiat du colonel Lawrence, du Commandant Pisani et ses éléments spéciaux, français, fins connaisseurs d’un Proche-Orient passionnant et passionné, conflictuel face aux Ottomans.
Arabisante, Enora Chame a suivi un cursus capital à l’INALCO (Institut National des Langues et Civilisations Orientales). Sidérée, elle souligne d’ailleurs au passage que les étudiants islamistes y font pression auprès des Chargés de cours quant aux sujets abordés en cours ou en conférence. Ce sont eux qui font tout pour écarter des enseignants qu’ils estiment indignes pour parler de l’islam, parce que non-musulmans…Et cela, avec l’assentiment d’une administration bien au fait de cette réalité scandaleuse (comme dans bien des universités de la Seine Saint Denis), sans que le ministère de l’Education nationale et de l’Enseignement supérieur ne s’en émeuve.
Intégrée dans les rouages de l’ONU, Enora Chame travaille un temps à New-York et découvre ainsi tous les rouages d’une administration tentaculaire, entre ses inerties humaines et technocratiques, et ses figures emblématiques, pleines de dynamisme communicatif.
Elle accomplit plusieurs séjours au Proche-Orient, notamment au Liban et en Syrie, et parvient, contre toute attente, à être intégrée à la seule mission d’observation de l’ONU. Mission exceptionnelle, qui perdure quelques mois, grâce à la détermination de Kofi Annan. Emissaire de l’ONU et de la Ligue arabe, il a obtenu, en avril 2012, un cessez-le-feu…qui ne dura pas.
Ainsi, au sein d’un corps de 300 observateurs, non armés, Enora Cham se rend dans une Syrie qui a basculé depuis peu dans une guerre civile qui devient peu à peu confessionnelle et internationale. Sur le terrain, les observateurs consultent les divers partis en présence et découvrent l’horreur d’une guerre fratricide. Ils sont appelés à intervenir sur les tous les lieux d’incidents, de massacres, pour y recueillir des témoignages, prendre des photos de cadavres, dont de nombreux enfants. Des situations éprouvantes, difficiles à vivre pour la plupart des observateurs qui n’étaient pas vraiment préparés à découvrir de telles atrocités et ignominies.
De surcroît, ils se trouvent plongés au cœur d’un conflit aux manipulations permanentes. Ils vont ainsi découvrir l’Armée syrienne libre et observer dans ses rangs la progression de l’islamisme radical, conduisant à son implosion et à la disparition de sa dimension laïque. Enora Chame perçoit aussi nettement la montée en puissance des mouvements djihadistes, à l’instar de Front al-Nosra ou Jabhat al-Nosra, d’abords affiliée à Al Qaïda avant de prêter allégeance à l’État islamique (ou Daesch). Elle frôle d’ailleurs la mort quand son convoi est pris dans une embuscade par des djihadistes. Elle crut son heure venue et son exécution prochaine… Le destin en a décidé autrement…
Au cœur de la crise syrienne, le stress est donc omniprésent. L’impact psychologique sur les observateurs est réellement dévastateur. Nombre d’entre eux subissent des syndromes de stress post traumatique. Enora Chame y compris ; même si, dans son cas, ce syndrome résultait surtout de longues années opérationnelles antérieures, au cœur de conflits atroces, à commencer par l’ex-Yougoslavie où elle a pu découvrir en marge des affrontements, les trafics d’être humaines depuis des camps de réfugiés, sans que l’ONU ne fasse quoi que ce soit d’efficace pour y mettre un terme. Enora Chame finit par maîtriser et dépasser cette blessure profonde à l’âme, grâce à des méthodes développées par la médecine spécialisée de l’armée israélienne.
Aujourd’hui elle témoigne (« Quand l’ombre s’avance », éditions Mareuil). Car le conflit n’a rien de binaire. Manipulation et duplicité existent des deux côtés. La violence jusqu’au-boutiste et les atrocités incommensurables aussi. |
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(*) Pascal Le Pautremat est Docteur en Histoire Contemporaine, diplômé en Défense et Relations internationales. Conférencier et chargé de cours dans l’Enseignement Supérieur, il a enseigné à l’Ecole Spéciale militaire de Saint-Cyr, et au collège interarmées de Défense. Il intervient aussi dans les sociétés et les structures publiques en matière d’analyses géopolitiques et géo-économies. Auditeur de l’IHEDN (Institut des Hautes Études de Défense nationale), ancien membre du comité de rédaction de la revue Défense, il est le rédacteur en chef d’ESPRITSURCOUF. |
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