Retour sur la LPM
(Loi de programmation militaire)
Victor Denis (*)
Etudiant en relations internationales
François Chauvancy (*)
Général de brigade (2s)
Quel regard porter sur les besoins de nos armées ? Quels choix budgétaires avons-nous fait ? Qu’est-ce que cette LPM raconte des relations entre politiques et militaires ? L’auteur nous propose quelques éléments de réponse dans son entretien avec le général François Chauvancy (2S).
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Après 90 heures de débat, l’Assemblée nationale s’est prononcée. A une écrasante majorité, les députés ont voté pour la loi de programmation militaire 2024-2030, désormais transmise au Sénat. Cette LPM alloue 413 milliards d’euros au budget des armées, un chiffre en hausse de 40% par rapport à la précédente. La raison ? Une prise de conscience du monde politique devant la montée des périls : retour de la guerre de haute intensité en Ukraine, menace d’escalade nucléaire, menace chinoise dans l’indopacifique, persistance du djihadisme en Afrique et au Levant…
A quoi notre armée est-elle prête ? Quelles sont ses limites et ses besoins ? Pour répondre à ces questions, l’étudiant trouve vite l’interlocuteur : un ancien militaire étoilé qui vient donner des cours dans son université, le général François Chauvancy, dont beaucoup de journalistes se souviennent pour l’avoir connu comme Off-Com (officier communication) hors normes au Sirpa ou en opérations.
Pour quoi faire
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La réponse est claire et concise, le général semble rôdé à l’exercice : « Nos armées sont prêtes à intervenir sous des formats réduits, sous format de corps expéditionnaires. Nous pouvons projeter dans la durée environ une force mécanisée importante, interarmes, environ 5 000 hommes, contre un ennemi asymétrique et sous-équipé par rapport à nous. Au niveau aéro-maritime, nous sommes capables de projeter un groupe aéronaval avec une capacité de frappe au sol ou en mer. Nous pouvons contrôler une zone maritime importante ». « Concernant les forces aériennes, nous sommes sous-équipés. L’armée l’air estime qu’il lui faut 180 Rafales pour assurer ses missions, alors qu’elle n’en a que 130 ».
Le général ajoute : « Contre un ennemi peu équipé, ou équipé d’une manière légère, on est capables de faire. Toutefois, face à un ennemi traditionnel, ou conventionnel, comme en Ukraine, on voit qu’on n’a pas tous les équipements militaires adaptés et suffisants ». Il est vrai que nous avons négligé, en France, le retour des guerres conventionnelles. La fin de la guerre froide semblait abolir à jamais la menace d’un conflit symétrique à haute intensité.
« La 1ère loi de programmation militaire [du président Macron] a été une LPM de réparation. Le chef d’Etat-major a essayé de préserver autant que possible une armée avec toutes ses capacités, même sous forme échantillonnaire ». Nous avons une armée « bonsaï », capable de faire de tout, mais en petite quantité. Là où d’autres pays créent une interdépendance des savoir-faire, ce qui, dans un contexte de coalition, n’est pas illogique, la France préfère quant à elle conserver ses capacités dans tous les domaines, quitte à produire moins.
Regard sur la LPM
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Pour le général, « la 2ème LPM dépasse le niveau de la réparation. On en arrive à une forme de reconstruction pour se donner des capacités d’action ». Il met toutefois en avant des choix budgétaires contestables.
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Pour lui, il faut apprendre de la guerre en Ukraine. Il rappelle les chiffres : A Bakhmout, le nombre de morts russes est estimé à 20 000, contre 10 à 15 000 côté ukrainien. En France, nous disposons de 12 000 fantassins, ce qui paraît très peu. Quant aux réservistes : « Ce n’est pas parce qu’on nous promet 90 000 réservistes dans la LPM qu’ils sont utilisables en temps de guerre », ajoutant qu’il faut d’abord s’assurer de leur entrainement et de leur capacité opérationnelle.
Au regard de la vitesse de consommation des équipements militaires sur le terrain ukrainien, la question des équipements militaires se pose également : « L’argent qu’on met dans nos chars, qui sont coûteux, font-ils la différence avec des chars beaucoup moins chers et beaucoup plus nombreux ? Cela vaut-il le coup d’avoir des chars à plusieurs millions d’euros, qui peuvent être détruits par des missiles à quelques milliers d’euros ? ». Avec un constat global : nous manquons de chars et de Rafales, même s’il faut souligner la hausse du budget pour le maintien en condition opérationnelle.
Ces « manques » dans la LPM sont rapidement mis en parallèle avec les 13% des crédits alloués à la dissuasion nucléaire. Le général Chauvancy se questionne : « avons-nous besoin de perfectionner l’arme à ce point-là ? Les équipements qu’on met en place sont-ils totalement justifiés ? ». Qualifiés d’« excessifs », ces 13% signifient beaucoup quant à la place que tient le nucléaire dans notre stratégie. L’objectif affiché est de développer cette dissuasion, notamment par une modernisation des composantes aériennes et océaniques, afin de faire appel à moins de forces conventionnelles. Pourtant, pour le général, « nous ne ferons pas la guerre avec le nucléaire ». Il expose le risque de développer cette dissuasion aux dépends de nos capacités militaires. Pour lui, « il faut que les LPM, dans leur conception, montre notre détermination à être capables de se battre. Le fait d’être capable de se battre et de l’exprimer par la LPM et les moyens financiers qu’on y met, doit être capable de dissuader. Là ça a du sens, au même titre que la dissuasion nucléaire ». Et il émet quelques doutes sur la capacité de cette LPM à répondre à cette approche.
Le politique et le militaire
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Le général Chauvancy l’affirme : « Je suis très critique sur les relations entre le politique et le militaire sous la Vème République », évoquant notamment les LPM non respectées. Avant 2015, celles-ci étaient systématiquement bafouées. Il y a, dans l’esprit du politique, l’idée que le budget de la défense serait une forme de réserve permettant d’amortir le choc des conjonctures économiques. Les politiques, pensant que la guerre était devenue impossible depuis la chute du mur de Berlin, n’ont pas suffisamment préparé nos armées aux conflits contemporains. Le général met également en cause le rôle du chef militaire, qui est celui d’exprimer clairement les besoins de l’armée aux politiques.
Il revient alors sur la « séquence De Villiers » : « [Avec la démission du Général De Villiers], Emmanuel Macron découvre que l’armée a son mot à dire, lui qui ne connaissait pas le milieu militaire. L’armée attend que le pouvoir politique écoute […], les militaires savent qu’ils servent l’Etat et la nation, et que le politique n’est que l’expression d’une majorité à un moment donné », qualifiant le président de « locataire », à contrario des militaires qui ont une expérience plus longue. L’armée attend donc une forme d’humilité de la part du pouvoir politique.
Aussi, « le président Macron, qui ne connait pas trop le milieu militaire, profite de l’opportunité du 13 juillet 2017 au soir pour se faire le Général de Villiers. Le problème, c’est que ça ne se fait pas ». Alors, quand le général De Villiers quitte son bureau, après avoir démissionné, il est applaudi par le personnel militaire. Loin d’être anecdotique, cette séquence envoie un message fort au président de la République : « la communauté militaire a un sens global de la mission et du devoir et n’a pas du tout accepté le rôle du politique et son comportement vis-à-vis du CEMA », rappelle le général Chauvancy. Ce n’est qu’à la suite de cet épisode, qui frappe l’opinion publique, que les rapports s’améliorent entre politiques et militaires : la première loi de programmation militaire tient la route, et a globalement été respectée.
Le général Chauvancy revient sur les conséquences de la démission : « Le président Macron a découvert que le miliaire était une communauté particulière, où le sens de l’engagement réel, sans contreparties, est un fait. Il peut compter sur les militaires, puisqu’ils sont là pour les missions qu’on leur donne ». Il poursuit : « Les militaires sont le dernier recours de la République face aux menaces et aux extrémismes, face à la déstabilisation de l’Etat, et je reste convaincu que le président Macron l’a bien intégré. D’où la place des militaires, discrètes mais avec une reconnaissance : la LPM est un témoignage de reconnaissance envers les armées. C’est l’expression politique et financière de la reconnaissance du pouvoir politique envers les armées ».
(*) Victor Denis est actuellement étudiant en Master 2 « Conflictualités et médiation » à l’UCO. Il est diplômé d’une Licence d’Histoire avec pour spécialité les sciences politiques. Après de premières expériences en politique et au sein d’ONG, il choisit de s’orienter vers la géopolitique et la sécurité internationale. |
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(*) François Chauvancy, général de brigade (2S), est Saint-cyrien, breveté de l’Ecole de guerre et Docteur en sciences de l’information et de la communication. Il a servi en opérations au Liban, en ex-Yougoslavie, en Albanie, au Kosovo et en République de Côte d’Ivoire. De 2002 à 2012, il a été représentant français auprès de l’OTAN pour les opérations militaires d’influence, les opérations sur l’information, la communication stratégique et l’environnement humain des opérations. Il est aujourd’hui enseignant, et consultant en géopolitique, notamment sur LCI. Il anime un blog hebdomadaire « Défense et Sécurité ». |
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