Les dictateurs finissent
toujours par déraper

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Renaud Girard (*)
Journaliste

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Est-ce la contagion de coups d’Etat militaires en Afrique qui a poussé l’auteur à s’attarder sur le sort des dictateurs ? Toujours est-il qu’il traite, pour la première fois à notre connaissance, le leader chinois Xi Jinping de dictateur.

A la fin du mois d’août 2023, la Chine a publié une bien curieuse carte géographique. Elle inclut dans son territoire l’Etat indien d’Arunachal Pradesh (nord-est de l’Union indienne), ainsi que le plateau montagneux d’Aksai Chin. Cela a provoqué une protestation indignée du gouvernement de Delhi, auquel Pékin a demandé de ne pas « sur-réagir »… Le 31 août 2023, les gouvernements de Malaisie et des Philippines ont également émis une protestation contre la prétention chinoise à accaparer, dans cette carte officielle, la quasi-totalité de la Mer de Chine méridionale comme sa ZEE (zone économique exclusive).

La réaction indienne a provoqué la décision du président chinois Xi Jinping de ne pas se rendre en Inde pour le sommet du G-20 les 9 et 10 septembre. Joe Biden a regretté cette décision de son homologue chinois, avec lequel il comptait avoir un échange en tête-à-tête, comme il en avait eu un en novembre 2022, à l’occasion du G-20 de Bali. Depuis six mois, l’administration Biden consacre beaucoup d’efforts à essayer d’arrêter la glissade vers l’enfer des relations sino-américaines.

Il y a une contradiction dans la stratégie du tout-puissant empereur de Chine. D’un côté, il veut prendre le leadership des BRICS dans leur contestation du joug « néocolonial » que l’Occident aurait la prétention de vouloir maintenir en Afrique et en Asie, mais de l’autre il traite de manière pour le moins cavalière l’Inde, qui est pourtant un pilier majeur des BRICS. En agissant de la sorte, Xi a réussi, en moins de dix jours, à casser l’incontestable élan que le mouvement des BRICS avait réussi à prendre, lors de son sommet de Johannesburg du 22 septembre.

Dictature en Chine

 Avec Xi, la Chine est passée en dix ans d’un régime autoritaire à direction collégiale à une dictature personnelle encline au totalitarisme. Il n’existe plus, dans les régions, les municipalités, les entreprises, les universités et les médias chinois, la moindre marge de contestation possible de la ligne du parti. Le chef a toujours raison, parce que c’est le chef. Même les chauffeurs de bus sont astreints à prendre des cours de la pensée Xi Jinping. Il est dangereux d’envoyer à ses amis, sur WeChat, des critiques du gouvernement, car la police espionne les conversations privées.

Le durcissement international du dictateur chinois se fait parallèlement à un durcissement interne. L’étatisation, la centralisation et le contrôle ont pris de telles dimensions qu’ils inhibent désormais l’énergie des jeunes entrepreneurs et cadres chinois. La folle gestion du Covid par le parti communiste a sapé la confiance de la population. Nombreux sont les jeunes talents qui ont préféré s’expatrier. Quant à ceux qui ont déjà réussi en Chine, ils ne rêvent, sans le dire, que d’une chose : d’un passeport australien pour eux et leurs familles.

L’élite chinoise qui a fait des études supérieures est toujours très patriote. Elle est fière de sa civilisation, la plus ancienne de l’Histoire des hommes. Elle partage l’objectif du parti d’une récupération de l’île de Taïwan. Mais, dans la vie quotidienne, elle commence à étouffer sous la férule de Xi.

Dictature ailleurs

L’Histoire nous a appris que les dictateurs, qui n’ont de comptes à rendre qu’à eux-mêmes, finissent toujours par s’enfermer dans leurs obsessions, puis par déraper. Pour Mussolini, cela s’est appelé la déclaration de guerre sans nécessité à la France et l’Angleterre en juin 1940. Fût-il resté neutre qu’il aurait entamé l’après-guerre en partenaire privilégié des anglo-saxons, qui l’appréciaient.

Pour Vladimir Poutine, le dérapage fut le coup de force militaire raté contre Kiev à la fin février 2022. Quand les canons se tairont sur les rives du Dniepr, la Russie en sortira affaiblie économiquement, avec une influence très détériorée dans le monde slave. Quand on se souvient de la manière dont Poutine rabroua en public son chef du renseignement extérieur Narychkine le 21 février 2022, on comprend que le maître du Kremlin n’est plus disposé à entendre le moindre avis divergent.

Quel sera le dérapage de Xi ? Une attaque soudaine de l’île de Formose ? Une torpille contre un bâtiment de guerre japonais en mer de Chine ? Une offensive sur la frontière sino-indienne ? Le risque n’est pas nul d’un tel dérapage extérieur, dans l’espoir de retrouver la ferveur de l’opinion chinoise. Xi n’a plus aucune instance autour de lui capable de lui prêcher la modération.

Les démocraties occidentales ne peuvent pas prétendre au monopole du bon sens dans les relations internationales, comme l’ont montré leurs catastrophiques expéditions militaires en Irak (2003) et en Libye (2011). Mais leurs systèmes de « checks and balances » (freins et contrepoids entre les pouvoirs exécutif, législatif, judiciaire et médiatique) demeurent quand même les plus utiles des antidérapants.

Cet article est extrait de la chronique internationale du Figaro du mardi 5 septembre 2023.


(*) Renaud GIRARD, diplômé de l’Ecole Normale Supérieure et de l’ENA, est journaliste et a couvert la quasi-totalité des conflits de la planète depuis 1984. Il est éditorialiste de politique étrangère au Figaro depuis 2013. Auteur de sept livres consacrés aux affaires internationales, il a reçu de nombreuses distinctions, dont le prestigieux prix Bayeux des correspondants de guerre pour son reportage « l’OTAN dans le piège afghan à Kandahar ». Il est également professeur de stratégie internationale à Sciences-Po.

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