« Industrie verte »
De quoi parle-t-on ?
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Anaïs Voy-Gillis (*)
Chercheuse associée à l’IAE de Poitiers
Réindustrialisation, réchauffement climatique, biodiversité, épuisement des ressources. Voilà des thèmes qui agitent nos réflexions, mais qui mettent notre auteur mal à l’aise. Car elle s’inquiète en voyant ces préoccupations s’empiler, se mélanger, se noyer dans une sorte de magma confus qui masque les vrais enjeux et la vraie priorité.
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Le gouvernement met au point un futur projet de loi sur l’industrie verte dont l’ambition est de répondre à deux objectifs. D’abord faire de la France la championne de l’industrie verte et des technologies qui vont permettre la décarbonation (pompes à chaleur, hydrogène décarboné, panneaux photovoltaïques, batteries, etc.). Ensuite accompagner l’industrie dans sa décarbonation, une industrie qui représente aujourd’hui 19 % des émissions de gaz à effet de serre en France.
Des groupes de travail ont été organisés, ils ont présenté leurs propositions début avril, et une consultation publique a été ouverte pour alimenter la réflexion. Mais avant tout chose, qu’est-ce qu’une industrie verte ?
Comme toutes les activités qui se voient « affubler » du mot « vert », il est souvent difficile d’en définir les contours. On pourrait néanmoins considérer qu’il s’agit :
- de productions qui sont réalisés dans le respect de l’environnement et des écosystèmes naturels ;
- d’entreprises qui placent les enjeux environnementaux, sociétaux et climatiques au cœur de leur stratégie ;
- de fabricants qui utilisent de manière responsable les matières premières et les ressources naturelles ;
- d’activités qui placent l’économie circulaire au cœur de leur modèle.
Mais certains seraient tentés d’aller plus loin en ne considérant que les entreprises régénératives.
Le risque, avec l’idée d’industrie verte, est d’en limiter l’approche à un verdissement de l’économie, quand la lutte contre le réchauffement climatique appelle à des transformations radicales des systèmes. Il s’agit de réduire les consommations, ce qui aura un impact fort sur les équilibres économiques des entreprises et posera la question de nouveaux leviers de création de valeurs, notamment autour de l’économie de la fonctionnalité. Il s’agir de repenser les produits pour réduire leurs impacts environnementaux, notamment sur les matières utilisées, en développant des produits faciles à réparer et in fine facilement recyclables. Il s’agit de réorganiser les productions en raison des effets volumes/décarbonation de celles-ci et d’une réduction globale des impacts environnementaux
Il faut se réjouir que la réindustrialisation soit centrale dans le débat public, mais profitons de ce projet de loi pour poser des questions essentielles.
Quel projet de société portons-nous à travers notre ambition de réindustrialisation ? Les nombreuses propositions, construites dans le cadre de cette réflexion collective mentionnée plus haut, manquent de liant entre elles et rendent nécessaire une clarification de la vision. L’enjeu est bien de mettre l’industrie au service d’un projet de société, pas de réindustrialiser pour réindustrialiser
Quelles sont les ambitions environnementales que nous portons ? La France commence à peine à donner une place centrale à la décarbonation qui, si elle demeure absolument nécessaire, est loin d’être suffisante pour limiter le réchauffement climatique. La raréfaction des ressources en eau, l’effondrement de la biodiversité, la pollution en raison des microplastiques sont des sujets vitaux pour notre avenir. Les propositions effleurent les sujets d’économie circulaire, mais intègrent peu les sujets sobriété et frugalité
Quel écosystème construisons-nous autour de l’industrie ? Il n’y aura pas de réindustrialisation pérenne sans capacité à innover et à transformer nos innovations en produits, sans énergie décarbonée, disponible, à prix contrôlé, sans infrastructures pour assurer la logistique des matières et des produits.
L’ambition de réindustrialiser est centrale et c’est une nécessité absolue. Néanmoins, dans cet élan presque vital, nous oublions collectivement de nous poser une question : quel projet de société voulons-nous construire ?
Il est nécessaire de savoir où nous allons collectivement avant de penser les mesures techniques, nécessaires mais insuffisantes, sans avoir une vision claire et partagée du chemin que nous prenons collectivement.
Cet article est extrait d’une vidéo diffusée sur XerfiCanal le 15 mai 2023.
(*) XERFI CANAL est répertorié dans la rubrique Think Tank de la Communauté Géopolitique, Économie, Défense et Sécurité d’Espritcors@ire
(*) Anaïs Voy-Gillis est docteure en géographie et géopolitique de l’Institut français de Géopolitique (IFG). Ses travaux portent sur les enjeux et les déterminants de la réindustrialisation de la France. Elle travaille également au sein du cabinet June Partners et conduit des missions de conseil opérationnel auprès de clients industriels. Elle est membre de l’Observatoire Européen des Extrêmes. |
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