France – Maghreb
Navigation houleuse

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Pierre Pascallon (*)
Universitaire, ancien parlementaire

On assiste ces derniers temps à une dégradation des relations entre la France et ses anciennes possessions d’Afrique du Nord, le Maroc et la Tunisie, qui étaient des protectorats, et l’Algérie, longtemps considérée comme le prolongement de la métropole. Ces turbulences ne plaisent pas à notre auteur, qui a mené une carrière politique. Il plaide ici pour un renouveau de ces relations, avec, manifestement, la volonté d’y prendre part.

Les relations entre la France et les pays du Maghreb ne peuvent être banales, et elles ne sont pas banales, compte tenu du passé et de la proximité de ces nations dans l’Histoire.  La Tunisie, “à la dérive”, n’aura pas de place significative, à tort sans doute, dans nos réflexions centrées sur l’Algérie et le Maroc, les deux nations dominantes du Maghreb.

Les relations franco-algériennes, depuis l’indépendance de l’Algérie en 1962, sont complexes, marquées par des périodes de rapprochement et des périodes de tensions. Les séquelles de la colonisation et de la guerre d’indépendance s’invitent de façon plus ou moins régulière dans le débat.

Nous avons vécu dans la période récente (on ne vise pas à l’exhaustivité pour ces rappels) de vives tensions entre Paris et Alger autour des visas et des laissez-passer consulaires. Le climat s’est encore dégradé au prétexte que la France a accueilli une journaliste opposante au régime algérien. Madame Bourdaoui, qui s’était réfugiée en Tunisie après une condamnation en Algérie, a en effet rejoint l’Hexagone au début de l’année 2023.

 

France-Maroc : des vents contraires
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La relation d’amitié et de coopération entre la France et le Maroc est de longtemps. Le général de Gaulle recevait le Roi du Maroc à l’Élysée le 26 juin 1963 en lui déclarant : “La France souhaite marcher avec vous sur la route de l’avenir”. La relation est à son zénith sous la présidence de

Jacques Chirac. Du 19 au 22 mars 2000, Le Roi Mohamed VI effectue à Paris sa première visite d’État à l’étranger depuis son accession au trône.  Et le Président français, lors de la première journée de sa visite d’État à Rabat, exalte en octobre 2003 l’amitié “indéfectible” entre la France et le Maroc.

Il y a eu bien sûr, comme il y a entre amis, des accros dans cette relation. On pense à l’affaire Ben Barka, cet opposant au roi Hassan II, disparu et assassiné à Paris, ou à la publication du livre “notre ami le roi”, dévastateur pour l’ancien monarque chérifien. “Broutille” que tout cela par rapport à la dégradation des rapports entre Paris et Rabat en ce début 2023, avec l’affaire Pegasus (espionnage par les marocains des communications téléphoniques du gouvernement français), les restrictions sur les visas et surtout sur le problème du Sahara occidental.

Pour mémoire, le royaume chérifien considère comme terre marocaine le Sahara occidental, une ancienne colonie espagnole appelée autrefois Rio de Oro. Il s’y est installé par la force. Mais les indépendantistes du Front Polisario, soutenus par l’Algérie, y mène une guérilla sans fin. La France souhaite qu’un référendum permette à la population sahraouie de choisir entre indépendance ou rattachement au Maroc.

Le Maroc a construit un mur de sable pour protéger ce qu’il appelle ses territoires du Sahara occidental des incursions des combattants du Polisario. Photo FAR (Forces armées royales).

Nicolas Beau titre son article du 25 janvier 2023 dans Mondafrique : “le régime marocain vent debout contre Emmanuel Macron”. Il faut en outre, avec ces derniers développements, prendre en compte le “durcissement” simultané des relations au niveau des pays du Maghreb, entre l’Algérie et le Maroc plus spécialement. Après les relations « verticales » de la France vers ses anciennes colonies, nous voilà an niveau des relations horizontales.

Relations horizontales
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Les relations entre l’Algérie et le Maroc sont difficiles, en dents de scie. On se souvient que les liens diplomatiques avaient été rompus une première fois entre les deux pays quand le 7 mars 1976 Alger avait reconnu la République Arabe Sahraouie Démocratique autoproclamée par le front Polisario. Une nouvelle rupture des relations diplomatiques entre Alger et Rabat a été annoncée le 24 août 2021 par le Ministre Algérien des Affaires étrangères, les “actions hostiles” du royaume chérifien à l’encontre de l’Algérie s’étant accumulées.  La Tunisie, qu’il ne faudrait pas complètement oublier, fait monter la tension en recevant en août 2022 le leader du front Polisario, provoquant une tempête diplomatique avec Rabat qui rappelle son ambassadeur.  

Bref, aujourd’hui, un climat de guerre froide s’est installé au Maghreb. Et il se trouve des observateurs qui n’hésitent pas à avancer qu’une guerre n’y est plus à exclure.

Vision pessimiste ? Pas tant que cela, lorsqu’on aura rappelé si besoin est que nous sommes aujourd’hui dans une montée des tensions et des désordres de notre monde multipolaire, nous sommes dans une guerre chaude russo-ukrainienne à résonance mondiale, enchâssée, surplombée dans une guerre froide mondiale sino-américaine.

Alger le Blanche, assombrie par les orages qui menacent. Photo DR

Il convient de rappeler ici que les pays arabes du Maghreb, riverains de la Méditerranée, ont cherché hier à institutionnaliser leurs relations et leur coopération. C’est le projet “d’Union du Maghreb Arabe” (UMA). Fondé en 1989, il avait pour objectif de créer des rapports de fraternité entre les 5 pays du grand Maghreb : Algérie, Libye, Maroc, Tunisie et Mauritanie, le siège du secrétariat général de l’UMA étant à Rabat. Mais dans les faits, cette Union n’a pas eu une grande influence sur la politique des États membres. Le Conseil des chefs d’État ne s’est plus réuni depuis 1994, l’UMA est restée prisonnière des différends entre chacun des pays existants.

Il convient aussi de se souvenir que l’on a cherché à développer les relations et les coopérations entre les pays riverains des deux côtés de la Méditerranée avec les partenariats “euro-méditerranéens”.  Les principaux ? Il y eut d’abord le projet de Forum des pays de la Méditerranée occidentale, fin 1990, avec quatre États de la Communauté Européenne (Espagne – France – Italie – Portugal) et les 5 États de l’UMA. Malte est venu s’ajouter plus tard, on a alors parlé du “groupe 5 + 5”. Puis il y eut le Processus de Barcelone en 1995, la politique de voisinage de l’Union européenne en 2002. Et enfin « l’Union Pour la Méditerranée » (UPM) en 2008… Le sommet des chefs d’État qui devait avoir lieu en France pour véritablement lancer ce projet de l’UPM en novembre 2010 a été au final annulé.

Force est de constater l’échec, le mot n’est pas excessif, de tous ces projets qui se sont bousculés avec sans doute trop d’acteurs aux intérêts trop contradictoires.

Le rôle de la France

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Dans cette situation difficile, que peut faire, que doit faire demain la France vis-à-vis des pays du Maghreb ? Comme hier, plus qu’hier encore si c’est possible, travailler à retrouver des relations bilatérales plus chaleureuses avec nos partenaires de l’autre côté de la Méditerranée, il faut les considérer comme tels et il ne serait pas excessif qu’il nous considère eux aussi comme tels.

Avec l’Algérie, la prochaine visite à Paris du Président Abdelmadjid Tebboune, acquise désormais dans la deuxième quinzaine de juin, devrait permettre de retrouver des relations plus sereines, avec des accords sur les questions mémorielles, sur les questions économiques (le problème du gaz…).

Avec le Maroc, un épais malaise paraît s’être installé entre Rabat et Paris. Emmanuel Macron s’est fait rabrouer lorsqu’il a parlé de ses relations personnelles “amicales” avec le Roi du Maroc. On ne peut en rester à cette situation conflictuelle. Il convient absolument de retrouver des relations diplomatiques “normales”, de se parler, de se rencontrer …

On voudrait attirer l’attention sur l’important dossier TGV. Rabat souhaite prolonger la ligne existante qui va de Tanger à Casablanca vers Marrakech et Agadir, soit 1300 kms de nouvelles lignes. Cette ligne TGV Tanger-Casablanca avait été accordée à la France sous la présidence de Nicolas Sarkozy, et le président Emmanuel Macron s’était déplacé le 15 novembre 2018 au Maroc pour l’inauguration de cette ligne ferroviaire aux côtés du roi Mohamed VI. Aujourd’hui, la France n’est pas seule à vouloir un chantier de plus de 75 milliards de dirhams. L’Espagne est intéressée par ce projet et veut profiter de la crise entre Rabat et Paris pour l’emporter. Des entreprises chinoises pointent leur nez. Ce serait un signal fort de “réconciliation” entre Rabat et Paris si la France pouvait emporter le projet.

Surnommé Al Boraq, le cheval ailé, le premier TGV africain relie Tanger à Rabat et Casablanca.
Photo © DR-ONCF Maroc

JMais le plus important est encore et surtout le problème du Sahara occidental. Il faut très clairement que la France rappelle, elle l’a fait avec Jacques Chirac, cela a été repris par la voix des Présidents et ministres des affaires étrangères successifs, que la “solution” démocratique à ce douloureux et délicat problème passe par l’application du plan de règlement de l’ONU, prévoyant par référendum l’autodétermination du peuple du Sahara. C’est bien, il faut y insister, la seule solution qui peut et doit être acceptée par toutes les parties. La France doit y travailler de toutes ses forces.

Un projet
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Même si “le climat” ne paraît pas des plus propices, mais les difficultés le rendent encore plus indispensable, on voudrait plaider pour la mise en place d’une organisation intergouvernementale méditerranéenne France-Maghreb, qui favorise le partenariat et la coopération dans tous les domaines (économie, environnement…) entre ces pays qui ont une géographie et une histoire communes.

Nos pays ont en effet une géographie commune avec la Méditerranée.  Cette façade maritime est évidente pour le Maroc, l’Algérie, l’un des principaux riverains de la Méditerranée et la Tunisie. Mais la France, cœur et résumé de l’Europe, a aussi une dimension méditerranéenne.  

Une géographie commune, mais aussi une histoire commune, avec ses hauts et ses bas sur lesquels il faudrait pouvoir s’arrêter s’il était nécessaire de convaincre. On nous pardonnera seulement de rappeler qu’Alger a été entre 1943 et 1944 la capitale de la France libre.  

Une géographie et une histoire communes. Il y a bien, avec cette “communauté”, justification et obligation à rapprocher, et à rapprocher institutionnellement, ces nations qui sont en profonde solidarité, dans le respect de leur identité.

Nous entendons déjà se moquer et se gausser. On parlera peut-être, pour celles et ceux qui seront les plus indulgents, d’un rêve adossé au mythe de la Méditerranée. Et bien, oui, pourquoi pas un rêve, puisqu’il nous faut des rêves – on pense à Goethe : “j’aime celui qui rêve l’impossible”.  

Nous avons la volonté de nous battre pour rendre ce rêve possible, nous souvenant de Guillaume d’Orange, je le cite : “là où il y a une volonté, il y a toujours un chemin”.

(*) Pierre Pascallon, Professeur Agrégé de Faculté (sciences économiques et sociales), a enseigné à l’Université de Clermont-Ferrand (dont il a été le vice-président), mais aussi à Paris, au Maghreb, en Afrique noire, au Québec. Il a publié quelques soixante-dix ouvrages, plus particulièrement sur les questions de défense et les problèmes géostratégiques, et plus de cent cinquante articles dans des revues et journaux français (Le Monde, le Figaro…) et étrangers (Républica…).

Son parcours politique est marqué par deux mandats de Député (1986-1988 et 1993-1998). Il a été conseiller général du canton d’Issoire, conseiller régional d’Auvergne, élu cinq fois conseiller municipal d’Issoire, et a été trois fois Maire (1989-2008) de la cité de Saint-Austremoine..


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